On misait quelques billets sur ce jeu, parmi les rares indés de 2013 à ne faire appel ni au style 16-bit devenu norme autant qu'insupportable, ni même à quelque autre école de minimalisme ou de hardcoritude qui fait qu'aujourd'hui on y réfléchit à trois fois avant d'investir dans un jeu indépendant. Stick It To The Man a une bonne bouille, avec sa direction artistique bizarroïde, cartoonesque, vaguement malsaine, qui fait penser à une BD Fluide Glacial. D'ailleurs, le jeu contient des bulles. On y contrôle un personnage disposant de la capacité de lire dans l'esprit des gens, et de ramasser l'objet de leurs pensées pour l'utiliser dans le monde "réel" sous la forme d'autocollants. Bon, en fait, il y a déjà quelque chose qui cloche : la lecture dans les pensées et la pose de stickers n'ont rien à voir, la première n'est qu'une façon de dialoguer avec les PNJ sans aucune interactivité et la deuxième n'est qu'une fumisterie qu'on appelle inventaire dans les jeux d'aventure classiques. Le reste du jeu, un platformer 2D totalement mou, cliché et ennuyeux entrecoupé d'une poignée de phases de poursuite, est, malheureusement, à l'avenant. Il reste, donc, la direction artistique...
C'est dommage, parce qu'on avait vraiment envie d'être sympa avec ce jeu. Les graphismes sont réussis, les musiques sont originales, parfois ce sont des chansons, et les doublages très soignés en imposent. Mais tout cela ne sert finalement qu'à masquer une vacuité totale, dans le concept et dans l'exécution de celui-ci. Déjà, l'idée tient moyennement debout, on s'en rend compte après seulement quelques minutes : c'est affreusement répétitif, mécanique. On fait trois sauts, on tombe sur un PNJ, on enclenche directement la lecture dans les pensées et roulez jeunesse. Répétez le schéma cinq, dix, quinze, vingt fois par niveau selon sa complexité. Chaque personnage possède sa petite histoire, expédiée généralement en trois lignes plutôt rigolotes. On mettra au crédit des développeurs le fait de pouvoir lire des pensées inattendues et fendardes, en plongeant dans l'esprit d'un poisson rouge, d'un catcheur à trois têtes (!) ou d'une foldingue de l'asile. C'est rempli de références, aussi, à des films, à des jeux, impossibles à louper, un peu trop martelées (la tête de cheval dans le lit, le balancement au bout d'une corde pour briser une cage...). Ça voudrait parler à un public plutôt cultivé, donc ; mais ça oublie que ce même public ne saurait se contenter de ce genre d'appels du pied pour apprécier un jeu.
Pour terminer chacun des douze niveaux qui constituent le jeu, la démarche est simple : on explore toute la zone, on lit les pensées d'un PNJ dès qu'on en croise un et on récupère l'objet éventuellement lâché pour essayer de le coller sur un autre PNJ. Voilà. Aparemment, les développeurs voulaient que le joueur réfléchisse, mais c'est peine perdue : les situations sont totalement illogiques, systématiquement atteintes du syndrome "canard de bain", dans lesquelles il faut réaliser une suite d'actions imprévisible aboutissant à un résultat dont on ne sait pas davantage que faire. On colle et on décolle (soit : on ramasse et on pose, comme dans n'importe quel jeu d'aventure) au hasard des interactions autorisées, jusqu'à ce qu'une cut scene se déclenche et qu'on passe au niveau suivant. Basta. Apparemment conscients que c'était ennuyeux, les développeurs ont tout de même prévu la possibilité de faire avance rapide pendant les lectures de pensées. Il y a bien quelques niveaux sympa où une certaine logique de l'absurde est palpable, notamment les tout derniers... mais la plupart du temps, ce n'est que routine et sourires de plus en plus forcés.
L'histoire, qui aurait voulu être barrée et maline, agace tandis que le joueur progresse sans vraiment savoir comment. Sur Vita (version testée), le jeu est bugué, mal fini, avec des contrôles plutôt foireux : on ne peut pas utiliser les surfaces tactiles (un comble dans un jeu qui a un univers de papier où l'on colle des autocollants), la croix multidirectionnelle n'est pas gérée et la sensibilité des sticks dans les menus donne envie de s'arracher les cheveux. Le pire reste pourtant à venir, avec des cut-scenes se déclenchant sans le son (il faut alors quitter, puis relancer le jeu) ou encore la disparition des sous-titres pendant de longues minutes (alors qu'ils ont été faits : ils s'affichent correctement, aléatoirement, si on recommence le niveau)... Bref, à plus d'un titre, Stick It To The Man est une occasion manquée, un titre plutôt maîtrisé d'un point de vue artistique, mais dont les mécaniques sont si peu résistantes qu'on en vient à se demander si les développeurs ont réellement réfléchi à leur idée. Le délire se bouclant en deux petites heures, on lui préfèrera ses concurrents cachés, qui font à peu près la même chose sous un habillage à peu près identique : les jeux LucasArts, Pendulo, qui s'épargnent des phases de plates-formes inutiles et enrobent leurs énigmes dans une logique au moins vaguement perceptible. Des points'n'click, en fait.