La sensation nauséeuse disparaît lorsque le bateau s'arrête au dessus du récif. Encombré par l'équipement, je me traîne maladroitement jusqu'au rebord de l'embarcation. Je m'y assois, effectue une dernière vérif' du matos puis me laisse basculer en arrière dans l'inconnu.
Baleine de Proust
Tous mes repères éclatent en rentrant dans l'eau. La désorientation totale me pousse à aller chercher le calme des profondeurs et j'entame la descente. J'atteint enfin la trentaine de mètres me séparant de la surface, mais la tranquillité du fond laisse place à l'angoisse face à une scène macabre. Un requin mort gît sur les coraux. C'est en détournant le regard de ce spectacle à la limite du supportable qu'il m'est apparu. Un squale semblable, bien vivant, s'avance à quelques mètres à peine. C'est un pointe blanche de récif d'environ deux mètres. Alors que l'animal s'approche et que son regard vitreux croise le mien, le temps s'arrête. Rien d'autre que ce moment n'existe. Tout devient à la fois follement insensé et rigoureusement cohérent, fascination et angoisse se mêlent, beauté terrifiante et laideur majestueuse ne font qu'une. De l'anxiété paralytique surgit l'ataraxie (l'azote c'est de la bonne, man).
Mise en abyme talassophobique
Ces émotions éprouvantes au fond de l'océan pacifique, je ne pensais pas les retrouver un jour, encore moins dans un jeu-vidéo. Et puis les types d'Unknown Worlds sont arrivés avec leur Subnautica sous le bras. Ils ont bien compris ce qui fait tout l'intérêt d'un bon jeu à monde ouvert : le vrai héros charismatique n'est pas un personnage, mais le terrain de jeu. Dans les open world réussis, l'environnement constitue à lui seul l'histoire, l'ambiance, tout en faisant émerger les meilleures pans de gameplay. Les jeux possédant un tel monde, riche, vivant, cohérent, dynamique, donnent l'impression qu'ils pourraient se passer du joueur, qui n'est qu'un témoin de passage. Subnautica fait partie de ces jeux.
Léa Passion : Toucher le fond
Si on a le bon goût de désactiver les mécaniques de faim et de soif en début de partie, les seules jauges à surveiller sont la santé et l'oxygène (Edit : l'équilibrage bouffer/boire est maintenant bien plus cohérent depuis la sortie du jeu et la progression est fluide passée les débuts de parties). On peut donc s'abandonner à la pure exploration débridée de cette planète-océan alien sur laquelle on vient de s'écraser. C'est assez naturellement que l'on cherche à fabriquer des palmes et une ou deux bouteilles avec les premiers éléments glanés afin de faciliter notre périple. On peut aller jusqu'à bâtir son petit chez soi (avec gestion de l'électricité et de la pression pour éviter les fissures et les inondations) et même construire, entre autres, un sous-marin customisable faisant office de base mobile. Mais tous ces à-côtés ne sont qu'un moyen pour faciliter la poursuite de l'objectif véritable : explorer. Explorer plus loin, plus longtemps, plus profond. Explorer toute la carte. La carte est d'ailleurs dessinée "à la main" par les développeurs ayant effectué un travail incroyable pour proposer une topographie, une faune et une flore d'une cohérence folle, donnant au passage au jeu la faculté de se transformer en machine à fonds d'écrans.
Ciel, mon mérou !
D'aucuns diront qu'il n'y a "pas grand chose à faire". Ils n'ont pas complètement tort mais ils se trompent. Certes, le jeu est en alpha, il y a encore beaucoup de boulot, de contenu à ajouter etc. Mais il est déjà possible de prendre un énorme pied, ne serait-ce qu'en se tapant un gros trip contemplatif. Si vous pensez que l'exploration ne peut constituer la principale composante d'un jeu, songez à Skyrim et à ces innombrables joueurs qui y ont passé plusieurs centaines d'heures sans jamais finir le scénario, car ils trouvaient leur plaisir dans la découverte des secrets dont regorge la carte, en l'arpentant en long et en large. On pourrait faire le même constat avec GTA. On pourrait aussi citer Notch, qui affirme que lorsqu'il relance Minecraft, ce n'est pas pour taper sur des monstres ou construire une maison, mais simplement parcourir la carte en contemplant le monde qui se révèle autour de lui.
Si vous avez la curiosité développée et la sensibilité bien placée, difficile de passer à côté d'un jeu comme Subnautica (surtout à ce prix là), qui magnifie les notions d'exploration et d'immersion comme aucun jeu n'a su le faire depuis le dernier STALKER.