Super Meat Boy Forever
6.2
Super Meat Boy Forever

Jeu de Team Meat (2020PC)

C’est un peu toujours le même dilemme pour les restos bon marché. On est tiraillé entre deux états de fait : on ne peut pas s’attendre à de la grande qualité en raison du prix, mais on veut quand même manger un minimum correctement. Chez gros Mich’, dernière brasserie en date où j’ai pu me restaurer, c’est cette problématique.


Comprenez-moi bien. Pour dix euros, on vous sert une bavette avec des frites. Franchement, c’pas cher ! Alors, on ne sera pas exigeant. Tant que les cafards restent au sol, c’est honnête. Mais vient une première déception : ce n’est pas la cuisson demandée. Vous êtes des gens de goût, comme moi, c’est évidemment saignant ou bleu. Mais là, non, c’est à point ! À point, bordel ! Et dans n’importe quel resto, on taperait un scandale. On hurlerait, on renverserait les chaises, on foutrait le feu au bouge ! Mais pour dix euros… ben, on ne dit rien parce que c’pas cher. Alors on mange sa bavette trop cuite avec ses frites trop molles. C’pas si dégueu, au fond. Ça passe. Une fois le bide rempli, on sort un billet crado de sa poche qu’on pose négligemment sur le comptoir, puis on se casse sans dire au revoir. La base.


On en revient donc au point de départ, est-ce que ça valait le coup ? Pour le prix, oui. Aucune intoxication alimentaire subie, les cafards sont restés sagement entre eux, c’était du bœuf et pas du rat. On ne va pas demander plus pour dix balles.


Finalement, en prenant en compte le prix, ce sera tout de même trois étoiles sur cinq pour la brasserie Chez gros Mich’ (la déco ambiance foot + les posters pornos donnent 0,5 point en plus). Attendez… merde, je me suis trompé de site, je ne suis pas sur lafourchette.com ! OK, reprenons.


Hum, alors… Super Meat Boy Forever.



Dans l’ombre de son ancêtre



Premier problème chez le jeune Forever, il subit constamment la comparaison avec son grand frère. Et ce dernier est brillant. SMB Forever traîne un lourd héritage, qui, forcément, va le desservir. C’est toujours le problème des suites d’un jeu incroyable. Vous voyez Zelda 2 sur NES ? Les gens crachent dessus en le faisant passer pour une merde sans nom parce qu’il n’atteint pas le génie de son grand frère. Mais c’est assez injuste pour Zelda 2, qui proposait tout de même des mécaniques de jeu intéressantes. Il essayait de se démarquer de son frère par tous les moyens, en vain. On lui rappelait sans cesse que son grand frère était meilleur en tout, peu importe ce qu’il essayait d’accomplir.


Est-ce qu’on peut transposer ce problème chez SMB Forever ? En partie, parce qu’il est clairement loin d’être brillant, tout juste passable. C’est loin de la merde annoncée par les premiers acheteurs, toutefois.



Run to the hills, run for your lives



Réglons tout de suite le problème numéro un : oui, c’est un runner. En soit, ce ne signifie pas que c’est de la merde. Le level design a été adapté pour ce nouveau gameplay, et c’est plutôt solide.
Malheureusement, on sent quand même les limitations : un bouton pour sauter ou faire une action, c’est assez confus et frustrant. Parfois, on veut frapper et l’on saute, ou inversement.
Cela réduit également les possibilités du level design : on dose beaucoup moins les sauts, on a moins de chemins alternatifs, on ne tempère plus la vitesse de son personnage. Généralement, les niveaux sont prévus pour être terminés d’une seule façon, avec des sauts parfaitement précis au pixel près. Et c’est très souvent frustrant, surtout quand on galère à changer le sens de notre personnage, qui reste collé au mur.


Et l’orientation puzzle game du jeu ne fait que confirmer que ce n’est pas vraiment amusant. Vous serez régulièrement bloqué parce qu’il faut comprendre l’énigme du passage, et la résoudre. Parfois, c’est très mal suggéré et l’on ne sait pas vraiment quoi faire. On pose la manette, et l’on regarde alors notre personnage courir et mourir en boucle, par dépit.



N’est pas Edmund qui veut



Le level design de Forever est bien ficelé. On sent que le développeur a lu Le Petit Guide du level designer. C’est très scolaire, mais efficace : on introduit progressivement une nouvelle mécanique, puis on la complexifie. Mais là où ça devient parfaitement absurde, c’est que cette nouvelle mécanique n’est exploitée que le temps d’un niveau. On l’aborde vite fait, puis on lui dit au revoir au stage d’après, comme un plan Tinder. C’est d’une tristesse.


Même si le level design est bon et qu’il nous introduit à de nouvelles mécaniques très sympathiques, ça n’atteint pas le souci du détail d’Edmund Mc Millen. Je vous conseille honnêtement de relancer le premier Meat Boy et d’y être attentif. Chaque tableau est travaillé à un degré purement maniaque. Chaque élément est placé au bon endroit. C’est du niveau des vieux Mario 2D de Nintendo, des jeux conçus avec un souci du détail particulièrement japonais. Dans le premier, les mécaniques introduites sont exploitées sur plusieurs niveaux, jusqu’à devenir d’une grande difficulté (souvenez-vous des portails).


Et puis, il y a cette histoire des niveaux générés aléatoirement. On nous en promet 7 000 en tout, incroyable, non ?
Cela pose de nombreux problèmes. Oui, théoriquement le jeu est très long, puisqu’il existe 7 000 niveaux possibles. Dans les faits, un stage va être découpé en plusieurs passages distincts. L’aléatoire du jeu repose uniquement sur l’ordre de ces derniers à l’intérieur du niveau. Le gros problème, c’est que ça défonce totalement la courbe de difficulté du jeu. Vous pouvez, dès le premier monde, vous retrouver sur un segment atrocement dur. Alors, ça va que la plateforme compliquée j’aime ça, mais honnêtement, je ne pense pas du tout que le grand public appréciera. La plupart des gens abandonneront dès ce premier pic de difficulté infâme.


Autre problème, le jeu est assez court. Puisqu’il se repose sur l’aléatoire, chaque seed (la génération globale de votre partie, qui créée l’ensemble des stages) ne propose que six niveaux + un boss par monde, sur un total de cinq mondes. C’est peu face aux vingt niveaux par monde du premier jeu. C’est dommage, parce qu’on voit que les développeurs ont passé beaucoup de temps pour créer tous les passages. Mais honnêtement, qui va s’amuser à refaire une partie pour générer de nouveaux niveaux ? Peu de joueurs. Je trouve que l’aléatoire gâche une partie du potentiel du jeu, il ne rend pas hommage au travail des développeurs.


Mais à qui s’adresse ce jeu, en fin de compte ? Les fans du premier vont sans doute détester l’aspect runner. Le grand public smartphone, habitué à des runners un peu pourris, va prendre une immense gifle face à la difficulté du jeu.


J’aimerais tempérer un peu mon jugement, qui semble jusqu’ici très négatif. Ça reste un bon jeu de plateforme, avec de très bonnes idées et un level design au-dessus de la plupart des autres jeux de plateforme actuels. Mais l’ensemble, son game design, est assez mal exécuté, ce qui ternit ses qualités. Et forcément, quand on doit le comparer avec son ancêtre, on ne peut qu’être déçu.



L’art du speedrun… aléatoire



Il y a un autre problème que je voudrais soulever, et qui m’a beaucoup énervé durant mes sessions de jeu. Comme dans le premier, les niveaux doivent être accomplis en un minimum de temps pour obtenir le fameux A+ et ainsi déverrouiller le stage alternatif « dark ». Pour remédier au problème que pourrait causer l’aléatoire pour le speedrun, le temps est en fait découpé en passages. Ainsi, chaque tableau du niveau possède un temps à battre. L’addition des temps de ces segments donne le temps cible global à battre. C’est plutôt malin.


Mais là où ça ne va pas DU TOUT, c’est qu’on ne peut pas recommencer un segment spécifique. En gros, si vous franchissez un passage et que vous vous rendez compte que vous avez été trop lent, ben c’est mort, il faut refaire le niveau en entier. Alors du coup, il vaut mieux se suicider juste avant de franchir le nouveau passage, pour recommencer le tableau. C’est complètement con, je ne comprends pas la pertinence. Ça aurait un sens si la mort n’arrêtait pas le timer, ou que, si l’on mourait, on retournait au tout début du niveau. Mais non, on refait le passage avec le timer réinitialisé.


D’ailleurs, c’est aussi le cas pour ramasser les tétines. Vous en voyez une au dernier moment, mais pas de chance, vous passez au segment d’après, donc c’est mort pour aller la récupérer ! Et parlons d’un dernier problème : il n’y a pas de bouton reset, le suicide est votre seule option pour recommencer le tableau ! What were they thinking? (C’était le cas dans le premier aussi, oui, mais bon, c’était l’occasion de corriger ce problème.)



Un joli enrobage, pour tenter de dissimuler les problèmes



Terminons par une note positive, parce que je ne savais pas où placer ces éléments dans cette critique pleine de sel.


La DA est excellente : tout est très bien animé, les mondes sont jolis, les personnages mignons et rigolos. La musique de Ridiculon colle parfaitement à l’ambiance. J’avais détesté leur travail sur la BO de Binding of Isaac : Rebirth, mais depuis The End is Nigh et The Legend of Bumbo, ils font du bon boulot. Enfin, les cinématiques du jeu m’ont beaucoup fait rire. Mention spéciale à Metal Gear Squirrel.


Finalement, la Team Meat nous sert un jeu assez bancal, qui tente de s’émanciper de son grand frère avec maladresse. Je ne suis pas un partisan du « faut faire comme avant, faut rien changer ». Je suis ouvert à des changements majeurs de gameplay, mais encore faut-il qu’ils soient intéressants et qu’ils améliorent la formule, pas qu’ils l’appauvrissent.


Je ne me sens pas super à l’aise pour éclater Super Meat Boy Forever. On sent clairement la volonté des développeurs de proposer quelque chose de neuf, d’améliorer la formule du runner, mais je suis loin d’être convaincu par leurs choix assez discutables. C’est globalement du gâchis. Une pièce de viande appétissante de l’extérieur, mais trop cuite à l’intérieur. Mais à même pas dix balles chez le taulier Epic, avec le ticket resto de Noël, ça passe.

Malakian
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le 11 janv. 2021

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