Deux phénomènes sont apparus durant ma brève garde sur le domaine vidéoludique et ils sont tous deux représentatifs de l'état actuel du monde du divertissement. Le premier, anodin mais censément profond, n'est autre que Le Simulateur de Randonnée. Tel est le nom que des journalistes que l'on imagine difficilement grabataires ont décidé d'offrir à un domaine d'activité où l'on vous joue divers extraits d'audiobooks tandis que vous regardez défiler un décor virtuel tout en restant calé sur une chaise. Dire de ce type d'activité qu'elle frise le niveau zéro du jeu vidéo ne me semble pas excessif. Par la forme ce type de tentatives repose plus sur les fondamentaux du Livre Dont Vous Êtes le Héros qu'autre chose. Ce qui n'a rien de grave, hein, mais souligne avec aisance que l'on ne lit même plus de nos jours ces petits recueils qui ont autrefois introduit bien des enfants en quête d'aventure au plaisir de la lecture. L'autre, un brin plus valide, peut être résumé sous le titre fourre-tout des Jeux d'Aventure Graphique Épisodique façon Telltale. Ils ne sont jamais que les lointains descendants – l'originalité en moins – des jeux d'aventure d'antan... mais conservent malgré tout un peu de leur charme. C'est le genre de ludiciel dans lequel l'on peut perdre une heure tout en s'acquittant de l'une ou l'autre tâche ménagère telle que – au pif – mettre un smoking à un chimpanzé en vue d'une soirée mémorable de débauche dans le centre ville. Ils existent en deux saveurs. La plus populaire repose sur l'univers d'une propriété intellectuelle déjà établie et prétend étendre ses confins tout en lui offrant l'équivalent officiel d'un peu de fanfiction. (Les personnages issus dans ces produits dérivés n'ont jamais aucune forme d'impact sur les licences dont elles découlent.) Ou, ce qui est à peine mieux, des tentatives façon Life is Strange d'établir un univers qui puisse à son tour être étendu à grands coups de séries télévisées, peluches, et autres méthodes moderne d'exploiter un public crédule. Remarquons au passage que le cible démographique de ces « jeux » est la plupart du temps celui des livres pour adolescent(e)s. Encore une défaite pour ce que l'on appelait encore il y à quelques années par pure dérision « l'alphabétisme » mais qui est devenu une notion bien réelle sous l'impulsion de l'Unesco.
Or, si ces deux domaines peuvent prétendre avoir quelque chose en commun c'est bien d'exclure de leur arsenal celui du gameplay. Un paradoxe qui ne manque pas de piquant quand on pense que ces produits sont malgré tout vendus sur les mêmes étals métaphoriques que les plus grands classiques de la discipline. Ici, n'ayez pas peur, il ne faut pas exceller. Il suffit la plupart du temps de comprendre qu'un stick fait bouger le personnage principal tandis que l'autre bouge la caméra. Ah, et l'on s'attend à ce que vous sachiez lire à un niveau équivalent à celui d'un enfant de douze ans pour suivre les indications affichées à l'écran. Enfin, disons au niveau de lecture d'un enfant de douze ans du milieu du vingtième siècle. Vous savez, c'est là que l'éducation semblait encore porter ses fruits. Tels sont les outils dont vous aurez besoin, point de gomme ou de paires de dés, pour participer à une aventure du style de celle proposée par Tacoma. C'est, pour ceux et celles qui suivent de près ce genre d'affaires, le nouveau titre de la compagnie Fullbright autrefois responsable du bien plus sympathique Gone Home. Là où ce titre – dont j'éviterai de vous gâcher les principaux twists car ils méritent d'être vécus – vous proposait d'explorer une grande bâtisse un brin abandonnée à la recherche de ses habitants... Tacoma vous propose de faire le tour d'une station spatiale désertée afin d'enquêter sur la disparition très Mary Celeste de son équipage. Par chance, vous êtes envoyé par une compagnie d'assurance pour percer le mystère et l'on vous a confié une sorte de laptop capable de lire les enregistrement biométriques de ces chers disparus via votre interface neurale. (Oui, c'était bien une référence à Evelyn Waugh ; je vois que vous connaissez vos classiques dit-il en levant au passage son auriculaire tout en buvant son thé.) Ceux-ci vous permettent de suivre de manière contextuelle les agissements des protagonistes d'une catastrophe dont vous découvrirez les grandes lignes durant les trois heures, facturées vingt euros, de ce titre réalisé sous Unity.
En termes pratiques, par contre, cela veut dire que vos cent-quatre-vingts minutes de délassement plus ou moins vidéoludique consisteront à rembobiner sans relâche les divers témoignages de l'équipage. C'est à vous de subir les dialogues mal joués des divers intéressés. Ou de constater les malhabiles tentatives de vous mettre sur une fausse piste contenues dans les nombreux témoignages qui constituent ce récit. Peut-être même tomberez-vous sous le charme tout relatif d'un de ces blobs constructivistes non texturés censés figurer la présence holographique du précédent tour de garde. Qui sait ? J'imagine qu'ils étaient sembler sympathiques à l'un ou l'autre stade de la conception de ce titre et cela même si leur exécution laisse à désirer. Toujours est-il que l'ensemble sent le studio atteignant dès son second titre les limites de sa compétence. Et cela tant d'un point de vue de l'écriture que des moyens employés pour raconter cette histoire en fin de compte assez générique. Gone Home avait une étrange qualité atmosphérique qui fait défaut à Tacoma. Une sorte d'ambiance calfeutrée de nuit de tempête où abrité dans une maison qui était autrefois la vôtre vous tentiez de découvrir ce qui s'est passé pendant votre absence. Son histoire, racontée par le biais de divers journaux intimes plutôt bien écrits, menait à un final surprenant dont l'efficacité a rarement été répliquée dans le domaine du Simulateur de Récit Léger.
Or, ici, toute personne ayant lu un tant soit peu de science-fiction verra avec aisance le twist s'acheminer vers sa conclusion avec toute la grâce d'un professeur de morale se dandinant sous basse gravité. Ce qui pourrait vous surprendre, hein, maintenant que j'y pense : l'on lit tellement peu de nos jours.