Alors oui, Tearaway est beau, oui, il a des idées parfois géniales, oui aussi, c'est un titre incontournable de la Vita. Seulement, le générique de fin passé, la victoire a un goût un peu amer. « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », dit le dicton. Face au désert quasi-total que constitue la concurrence retail sur le support, Tearaway est, déjà, presque un gagnant par défaut. C'est ce qu'on comprend quand on lance le jeu, quand on profite de ses multiples petites trouvailles, de sa poésie de papier vaguement touchante, de ses mécaniques intensément casual, voire ouvertement smartphonesques. C'est un jeu-vitrine, au sens littéral du terme : c'est le tout premier porte-étendard des fonctionnalités de la Vita (ce qui en soi est un peu sinistre, plus d'un an après la sortie de la machine), et il le fait de manière tellement directe, tellement kamikaze, qu'on frôle quelquefois la démo technologique. La grande idée du jeu, qui n'est pas vraiment la sienne, est de tenter de briser le quatrième mur, cette frontière qui sépare la fiction de la réalité, créneau déjà occupé par tout un tas de jeux pour enfants, parmi lesquels Skylanders et Disney Infinity. C'est bien, mais c'est aussi triste, car on comprend que l'usage qui est fait dans ce jeu des fonctionnalités de la Vita, dont le mal-aimé pavé tactile arrière et la caméra, ne pourra sans doute pas aller plus loin : du gadget, de la découverte, après quoi s'installe une routine qui ne sera malheureusement pas démentie.
Des nombreux problèmes dont souffre Tearaway, c'est sa superficialité qui agace le plus. Donc : non, ce n'est pas nouveau de faire une direction artistique à base d'éléments en papier. Non, le charme n'opère pas sur toute la durée du jeu. Non, le jeu n'est pas technologiquement épatant – au mieux, de bon goût. Et surtout : non, le gameplay, quand on le prend dans son ensemble et pas comme une somme de featurettes rigolotes, n'est pas follement original ni même réussi... Les sauts sont approximatifs, la caméra privilégie l'esthétisme des angles de vue à la lisibilité de l'action, le joueur reçoit souvent un mauvais feedback des zones navigables et de celles qui ne le sont pas. Combien de tentatives pour essayer d'accéder à une plate-forme mystérieusement placée ? Il faudra bien finir par se faire à l'idée que l'architecture du level design n'est qu'une succession de couloirs interrompue par de grandes zones vides qu'on a posé là pour le simple plaisir de la contemplation. Fadez-vous une étendue de sable interminable à la recherche d'un hypothétique contenu, avant de comprendre que les développeurs l'ont juste posée là parce que c'était joli. Essayez d'atteindre ce talus pour vous heurter à un mur invisible. Tearaway souffre d'une structure affreusement mutante en niveaux semi-ouverts, qui laisse systématiquement croire à une possibilité d'exploration alors que tout est sur rails. Avide de liberté, on essaye de s'émanciper de cette caméra infernale qui dissimule des plates-formes qu'on devinait pourtant accessibles l'instant d'avant, on foire un saut parce que l'angle est improbable... et, surprise : on recommence toujours juste avant la mort.
Tearaway est un jeu conçu pour n'opposer aucune résistance car il est impossible d'échouer. Le prétexte de donner au personnage un seul point de vie est totalement fallacieux, car l'agressivité des rares ennemis croisés est inexistante et le seul moyen de mourir est de tomber dans un précipice suite à une erreur d'appréciation des distances. On se dit, avec ironie, que Media Molecule aurait peut-être mieux fait de rester à la 2D : passé l'émerveillement esthétique, Tearaway commet tant d'erreurs (de game design, de level design, de pure jouabilité) qu'on se demande comment on pourrait ne serait-ce qu'un seul instant le comparer à n'importe quel Mario venu. Ses qualités sont à chercher dans ce qu'il propose, presque malgré lui : un scénario complètement naïf, une confusion touchante entre le jeu et le joueur. Tout repose sur l'interaction entre ces deux-là, et entre les débordements que l'un peut avoir sur l'autre. On reste dans un trip particulièrement naïf et basique, ce dont, toutefois, les développeurs ne sont pas dupes. Il ne s'agit que d'épater la galerie. Même le fameux contenu du fameux message, qu'on attendait tant, et l'aspect potentiellement très riche de la quête du joueur (se délivrer une lettre à lui-même), seront sacrifiés au profit d'un « simple » amusement de bas étage. Prendre une photo, découper une forme, faire des collages mutants sur le visage du pauvre messager, voir sa tête dans un soleil : c'est rigolo, mais vide, pas aidé par la froideur du gameplay qui ne liera jamais ensemble ces éléments, les condamnant à cohabiter dans l'anarchie. Pas forcément une idée qu'on se fait du grand game design qu'on nous aura vendu partout...
Pourtant, il faut l'aimer, ce Tearaway. Lui pardonner son inconséquence, sa répétitivité et son manque terrible de pertinence en tant que jeu de plates-formes. Il faut l'aimer pour ses tentatives de faire quelque chose de nouveau, de construire une expérience de jeu cohérente par-dessus la base mutante que constitue le hardware de la Vita. On touche, on écrase, on troue, on photographie, on penche, on trace, on déplie ou replie, on avance vers le soleil-joueur en se demandant bien ce qu'il se passera quand on le rencontrera enfin. Le dénouement atteint, il faut admettre qu'on ne s'est pas réellement amusé passé la première heure de découverte. Le tout dernier niveau (sur une dizaine) est le seul à oser être ce que Tearaway semblait promettre : un jeu de plates-formes exploitant le gyroscope et le tactile. On vivra cinq heures de petites expérimentations rigolotes dans un univers fendard, peuplé de petites interactions débiles qui font la différence (jouer à la balle avec un bébé yéti, piquer les noisettes des écureils qui ne l'entendent pas de cette oreille), on peut déverrouiller des origamis à imprimer depuis son PC et collectionner toutes les « pièces » pour débloquer de quoi personnaliser son avatar. Après l'avoir terminé, on n'y revient pas ; reste, pourtant, imprimé en soi ce singulier plaisir de la découverte, ce doigt perçant l'écran pour envoyer valdinguer des petits monstres ou déplacer des plates-formes. C'est beaucoup et peu à la fois, c'est très beau mais très vide, très ambitieux mais très simple, les couleurs pètent à l'écran et la musique enchante. Bref : c'est la Vita, cette console merveilleuse qui sera certainement condamnée jusqu'à ses derniers jours à se heurter aux limites de l'imagination et des moyens des développeurs, ce monstre de puissance aux fonctionnalités si nombreuses, parfois si innovantes, qu'il faut, pour l'employer à 100%, consentir à tant de sacrifices qu'on se demande après coup si ça en valait vraiment la peine. Comme la Dreamcast en son temps, c'est une machine en avance sur le sien, que Media Molecule a ici tenté de dompter dans la limite de ses moyens humains.
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