Un jeu terrible.
Terriblement bugué, mais terriblement réussi sur certains aspects. On peut ne pas être réceptif au titre mais personnellement j’ai adoré explorer les divers environnements travaillés. Chaque donjon...
Par
le 16 févr. 2020
2 j'aime
1
Brian Fargo continue son opération de résurrection des anciennes gloires du CRPG à grands coups de Kickstarters. Même si son financement a réussi, The Bard's Tale IV a terminé bon dernier du trio derrière Torment et Wasteland 2, en plafonnant à la moitié des sommes récoltées pour ce dernier (1,5 M$ pour The Bard's Tale IV contre 3M$ pour Wasteland 2). Ceci explique peut-être en partie pourquoi le jeu est sorti dans un état si déplorable en 2018, avec une pelletée de bugs, une gourmandise technique énorme et l'impression généralisée que le jeu était sorti trop tôt. C'est avec ce jeu qu'Inxile a récolté son premier vrai camouflet critique et commercial, au point de tenir à distance une bonne partie de ses fans habituels. J'avais personnellement fait une croix sur le jeu, jusqu'à l'obtenir par hasard dans la panière d'un bundle, dans sa version Director's Cut qui fait l'objet de ce test.
Sorti un an après la version originale, The Bard's Tale IV : Director's Cut corrige donc une grande partie des bugs, change la configuration de certains niveaux pour mettre en sourdine la partie énigmes trop prononcée au goût des développeurs eux-mêmes, et propose au passage un ravalement de façade pour permettre au jeu de tourner de façon fluide sur une bécane correcte. Le changelog de cette version étant apparemment énorme et connu surtout des "bêta-testeurs" de la version originale du jeu, je ne m'aventurerai pas plus à le décrire. C'est surtout la question du bien-fondé d'un tel procédé qui se posera, car si The Bard's Tale IV n'est pas le premier jeu du studio à profiter d'une version Director's Cut, il semble en revanche que c'est le premier à apporter autant de changements au produit original, faisant passer ce dernier pour une version anticipée (ce que beaucoup, en 2018, n'avaient d'ailleurs pas hésité à pointer du doigt). Une pratique regrettable dont Inxile aurait pu largement se passer, surtout compte tenu des innombrables largesses dont il a bénéficié de la part des mêmes joueurs qui l'ont directement financé… mais soit.
Alors, que vaut donc cette version Director's Cut, attrappée au hasard et sans trop en attendre, après toute cette hype négative autour de la version de base ? Eh bien, c'est un bon jeu. The Bard's Tale IV se trimbalera pour toujours son lancement désastreux et restera probablement dans l'anonymat dans lequel ses développeurs l'ont lui-même plongé en premier, mais reste que pour quelqu'un qui le découvre dans sa nouvelle version, le titre recèle de nombreuses qualités qu'on n'attendait pas forcément. Tout d'abord, et c'est important de le souligner, The Bard's Tale IV est un prolongement dans le plus pur esprit de la saga. De la même manière que Wasteland 2 et Torment : Tides of Numenera, le jeu respecte son propre héritage et ne cherche ni à le casualiser, ni à le dénaturer pour coller à l'une ou l'autre mode actuelle. On joue vraiment à The Bard's Tale IV et pas à The Bard's Tale : Open-World Ubithesda Edition. Le jeu reste dans la plus pure tradition du dungeon crawling et du combat tactique, avec juste ce qu'il faut d'assouplissements pour moderniser la recette. On se déplace librement, mais on ne peut pas sauter ; il y a moins d'énigmes qu'avant, mais au moins autant que dans n'importe quel dungeon crawler indé actuel... de manière générale, The Bard's Tale IV conserve la singularité de ses prédécesseurs historiques, et c'est un premier bon point.
Le deuxième bon point, c'est que le jeu possède un game design beaucoup plus pointu que ce qu'il veut bien laisser paraître. Au début du jeu, tout semble un peu fade et plat, à l'image de ces combats tactiques au tour par tour, sur une grille minuscule, où l'on tarde à monter de niveau en affrontant des ennemis tous plus ou moins identiques. On a l'impression, au début, de jouer à une version simplifiée et ennuyeuse des échecs. Mais après quelques heures de persévérance, on entrevoit un système de progression étonnamment bien pensé. Les personnages recrutables sont nombreux et variés, plus ou moins spécialisables dans des classes et sous-classes toutes très bien conçues, avec des arbres de compétences complexes mais pas rebutants, qui demandent ce qu'il faut de réflexion à chaque montée de niveau. Les possibilités de personnalisation sont énormes, avec des dizaines d'aptitudes déverrouillables vraiment intéressantes, et modifiables en profondeur par l'équipement et les synergies entre les différents membres du groupe. Plus on joue, plus le système de combat dévoile sa profondeur, au point de devenir impossible à lâcher.
Et si on enchaîne les combats avec une telle boulimie, c'est que la plupart des caractéristiques de ce système apportent un twist appréciable et bien pensé par rapport au tout-venant du genre. Les points d'action ? Non pas attribués à chaque combattant, mais partagés entre tous les membres du groupe. L'intelligence ? N'affecte pas la puissance des sorts, mais la capacité à en caster sans être interrompu par un ennemi. La portée des coups ? Régie à la fois par l'emplacement du personnage sur la grille et par la compétence qu'il souhaite utiliser. La puissance d'une attaque ? Définie non seulement par la force du personnage mais aussi par les modificateurs liés à ses compétences et à son équipement. L'armure ? Dépendante de l'équipement, et aussi de la position et des nombreux buffs en tous genres dispensables par certaines classes. Le nombre d'actions par tour ? Au début lié à ces fameux points partagés, on réalise en progressant qu'il existe une multitude de manières d'altérer ce nombre, par d'audacieux jeux de déplacement ou combinaisons d'équipement. C'est enfin sans compter la diversité des techniques ennemies, qui obligent le joueur à bien anticiper chaque action et à gérer précisément les cooldowns des différentes aptitudes de chaque personnage. En définitive, le système de combat de ce jeu est une pure réussite, qui allie profondeur tactique, choix d'approche et accessibilité.
Enfin, la troisième réussite de ce jeu est aussi la moins évidente d'entre toutes : The Bard's Tale IV est un jeu magnifique. Certes, c'est difficile à croire au début, quand on se promène sur et sous Skara Brae, la ville qui sert de décor au premier acte. Les développeurs ont fait le choix étrange de situer les premières heures de jeu dans cette zone sans grâce, certes bien conçue d'un point de vue de level design (il faut cependant arriver à un stade avancé de la progression pour s'en rendre compte) mais relativement désagréable à regarder et à naviguer. Skara Brae concentre tous les petits défauts du jeu : ses personnages aux dialogues peu intéressants, ses "tunnels narratifs" qu'on zappe distraitement, ses écrans de commerce à l'interface préhistorique. Ce n'est qu'après une dizaine d'heures de jeu qu'on est autorisé à s'aventurer en-dehors de la ville, pour enfin partir explorer le monde. C'est vraiment là que le jeu déploie ses forces. Les ambiances champêtres sont incroyables, les éclairages sont fabuleux, la bande-son à base de chants celtiques est très envoûtante, et très vite on se moque bien de ne pas pouvoir sauter ou d'être parfois bloqué par des murs invisibles, tant l'univers à explorer est riche, beau et invite à la découverte. A partir de la moitié de l'aventure, on a carrément envie de mitrailler la touche F12 en permanence pour prendre des screenshots, tellement l'atmosphère des lieux visités est puissante, voire démente pour certains donjons facultatifs qui n'hésitent pas à faire passer d'une paix bucolique à la Oblivion au psychédélisme chamanique d'un Thumper (parce que c'est aussi ça, le charme d'un dungeon crawler).
Vient le paragraphe où l'on parle des gros problèmes du jeu. En réalité, cette Director's Cut n'en a pas vraiment, à l'exception d'une traduction française complètement cassée. Les énigmes, sans être un véritable point fort, restent agréables à résoudre et suffisamment variées pour maintenir le joueur dans un bon flow. Elles font partie du contrat de tout dungeon crawler et sont ici à base de rouages, fluides à orienter, blocs à pousser et tout le tralala : rien d'exceptionnellement inventif, mais ça reste toujours bien fait, avec cette particularité chère au genre de dissimuler des secrets facultatifs partout. La progression est très bien gérée, avec une difficulté équilibrée et stimulante. Un petit aspect "metroidvania" pas désagréable invite à revenir régulièrement dans certains lieux déjà visités, induisant des possibilités d'exploration qui vont en s'accroissant. Le scénario est en retrait pour son propre bien, avec peu de textes et des dialogues volontairement courts qui permettent de se concentrer sur les aspects tactique et exploration. Le seul hic est donc la traduction française affreuse, à bannir, ce qui n'est heureusement pas bien grave car The Bard's Tale IV n'est pas un jeu bavard. Il suffit de le laisser en anglais par défaut et de se forcer un peu les premières heures pour tomber durablement sous son charme. Au vu des critiques ayant pesé sur la version vanilla, on peut facilement considérer que cette version Director's Cut est en réalité le jeu tel qu'il aurait dû être à sa sortie en 2018. La pratique est forcément décevante, et cela reste le seul frein m'empêchant de lui attribuer le 8 qu'il mérite au fond de lui. Car The Bard's Tale IV est aujourd'hui un très bon jeu, qui a les moyens de séduire les anciens fans de la licence, comme les nouveaux joueurs désireux de se familiariser avec un genre injustement tombé en désuétude.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Seb C. - Liste commentée : Joués en 2020
Créée
le 3 mai 2020
Critique lue 548 fois
2 j'aime
3 commentaires
D'autres avis sur The Bard's Tale IV: Barrows Deep
Terriblement bugué, mais terriblement réussi sur certains aspects. On peut ne pas être réceptif au titre mais personnellement j’ai adoré explorer les divers environnements travaillés. Chaque donjon...
Par
le 16 févr. 2020
2 j'aime
1
Du même critique
La jungle, c’est cool. James Gray, c’est cool. Les deux ensemble, ça ne peut être que génial. Voilà ce qui m’a fait entrer dans la salle, tout assuré que j’étais de me prendre la claque réglementaire...
Par
le 17 mars 2017
80 j'aime
15
Le 8 décembre 2011, Monsieur Fraize se faisait virer de l'émission "On ne demande qu'à en rire" à laquelle il participait pour la dixième fois. Un événement de sinistre mémoire, lors duquel Ruquier,...
Par
le 5 juil. 2018
79 j'aime
3
J'ai toujours eu un énorme problème avec la saga The Witcher, une relation d'amour/haine qui ne s'est jamais démentie. D'un côté, en tant que joueur PC, je reste un fervent défenseur de CD Projekt...
Par
le 14 sept. 2015
73 j'aime
31