Man of Medan se veut le premier jeu d'une anthologie horrifique et se déroule dans un bateau hanté, deux choses qui le rapprochent d'un certain Ghost Ship (Le Vaisseau de l'angoisse), sympathique nanar du début des années 2000, lui aussi produit dans le cadre d'une collection de films d'horreur sous le giron de Dark Castle Entertainment. J'ai retrouvé beaucoup d'éléments du film de Steve Beck dans ce Man of Medan, à commencer bien sûr par le bateau en décomposition qui sert de décor au film, mais aussi dans beaucoup d'autres références plutôt sympathiques qui m'ont donné envie de me replonger dans les premiers films du label de Robert Zemeckis (13 Fantômes, Gothika, la Maison de cire...). Mais surtout, Man of Medan est la suite spirituelle d'Until Dawn, slasher interactif qui a connu son succès d'estime sur PS4 et que je classe personnellement comme mes meilleures expériences de cette génération. Pour résumer Until Dawn, disons que c'est un jeu Quantic Dream dans lequel on aurait remplacé le melon de David Cage par la vision passionnée de "simples" faiseurs de série B : soit un jeu d'aventure évidemment dirigiste et pauvre en gameplay, mais pour le coup carrément passionnant du point de vue de l'histoire et de l'ambiance, avec des scènes horrifiques à se damner, une écriture cinématographique solide et des personnages ultraréalistes (on y retrouva d'ailleurs au casting Rami Malek et Hayden Panettiere) auxquels on s'attache durablement.
Du coup, j'ai un peu de mal à comprendre ce qu'a tenté de faire Supermassive avec Man of Medan. En prenant le parti de réaliser un jeu "AA" vendu à 30 euros, les développeurs ont naturellement sorti un jeu nettement moins travaillé qu'Until Dawn. Pas la peine d'être surpris, le jeu est souvent à la ramasse en termes de technique, de mise en scènes ou de dialogues. La narration est bourrée d'ellipses maladroites, les décors sont mornes et très répétitifs, et la plupart des aspects du jeu donnent l'impression visible que Supermassive a voulu industrialiser sa formule, la développer rapidement, plutôt que de produire un jeu du même standing que leur exclusivité PS4. Le seul point qui tient réellement la comparaison avec Until Dawn est le détail de la modélisation et de l'animation des personnages, toujours aussi splendides, avec un léger syndrome Uncanny Valley, mais tout de même très impressionnantes (on y retrouve d'ailleurs Shawn Ashmore, également modélisé comme héros dans Quantum Break).
Les développeurs ont repris tous les ingrédients d'Until Dawn, en les privant malheureusement de tout ce qui en faisait le sel. Le système de prémonitions, qui divulgue des indices sur les actions à réaliser plus loin dans le jeu, est toujours là, mais fonctionne beaucoup moins bien. Je n'ai en fait quasiment jamais été confronté à la réalisation d'une prémonition, et la seule fois où ça a été le cas, je n'ai pas compris quelle influence j'avais eu dessus. L'insaisissable narrateur, sorte de psychopompe personnel du joueur, est là également, mais sa présence ne fonctionne pas vraiment, il n'apporte rien au récit. Le jeu est parfois extrêmement maladroit dans sa narration, avec des dialogues particulièrement mauvais et des situations qui n'ont ni queue ni tête. Et surtout, il échoue à faire peur. Sur les trois heures et demie que compte le jeu, j'ai du compter maximum une quinzaine de minutes de jeu réellement angoissantes ou tendues. La fin du jeu arrive comme un cheveu sur la soupe : aucun de mes personnages n'a péri alors que je n'ai pas eu l'impression de fournir le moindre effort. Dans Until Dawn, j'avais transpiré à grosses gouttes pour n'en sauver que deux. Cela dit malheureusement quelque chose sur la nature de l'expérience de Man of Medan, qui noie trop ses effets dans des jump scares sans enjeu et dans trop peu d'occasions d'échouer. De plus, conséquence naturelle, le jeu manque cruellement de gore compte tenu de sa promesse et m'a sincèrement laissé sur ma faim de ce point de vue, à l'inverse donc d'Until Dawn dont la richesse en mises à mort affreuses était l'un des atouts qui le rapprochaient des "véritables" films d'horreur que ces deux jeux cherchent à imiter.
Avec une mise en scène maladroite, un mixage sonore à l'ouest (les voix font n'importe quoi), des plans bouche-trou par dizaines, des ellipses bizarres, des cinématiques mal construites, Man of Medan a tendance à régulièrement éjecter le joueur du récit, pourtant efficace lorsque ces éléments fonctionnent en harmonie. C'est que par sa nature même, le jeu ne tolère pas les approximations techniques... et bien évidemment compte tenu de son positionnement tarifaire, il en regorge. Ce n'est pourtant pas un mauvais jeu, loin de là. Il a le mérite d'essayer de transposer l'expérience Until Dawn hors de la PS4. Il est également pensé pour jouer en coop, même si la peur n'y est pas plus présente qu'en solo et les approximations techniques ou narratives, visibles. Pourquoi pas. Mais son positionnement reste absurde. Annoncer immédiatement une série de huit jeux sans prendre la peine de parfaitement fignoler ce premier épisode est quasiment suicidaire. Le choix d'en faire une série pensée pour le jeu à plusieurs n'est guère compréhensible, en obligeant les designers à cravacher deux fois plus pour une expérience qui n'est finalement pas particulièrement réussie dans un cas ou dans l'autre. Du coup, même si le talent à l'oeuvre reste largement visible sous la couche de métal rouillé à travers l'élégance des graphismes, même si ce genre de jeux reste assez rare voire quasiment inédit, je n'ai pas pu m'empêcher d'avoir mal pour les développeurs, qui ne finiront sans doute jamais leur anthologie. Man of Medan n'est déjà pas très bien noté. Il ne sera pas mémorable. On peut difficilement commencer une série de cette manière. Il ne reste plus qu'à y jouer distraitement, avant de remettre la galette d'Until Dawn dans sa PS4. J'achèterai sans doute Little Hope, le prochain chapitre annoncé, tout en craignant qu'il soit aussi le dernier. Pourvu qu'on me donne tort.