Article réalisé à partir d’une clé Steam fournie par Warning Up.
Initiée en 2001 sur Gameboy Advance, la franchise Gyakuten Saiban (qu’on pourrait traduire par “retournement de situation au procès”) plus connue chez nous sous le sobriquet Ace Attorney, a largement contribué aux belles heures des consoles portables de Nintendo. Vingt ans plus tard, la série de Capcom a fini par s’étaler, au fil des portages et remasters de ses six épisodes principaux et de ses spin-off sur la grande majorité des supports. Mais il restait néanmoins deux irréductibles, cloitrés au Japon et n’ayant jamais profité d’une localisation occidentale. C’est désormais chose faite, pour le grand bonheur des amateurs d’investigations haletantes, puisque Dai Gyakuten Saiban 1 et 2 (respectivement sous-titrés Adventures et Resolve) daignent enfin pointer le bout de leur index inquisiteur chez nous, sous la forme d’une compilation intitulée The Great Ace Attorney Chronicles et disponible sur la majorité des supports. Une décision on ne peut plus pertinente, tant ces deux opus forment un diptyque complet mettant en scène leur propre épopée, sans lien avec les précédents épisodes. Nouvelle époque, nouveaux lieux et nouveaux personnages, bref, c’est un tout nouveau nouveau cycle qui commence. De quoi donner de bonnes raisons aux investigateurs vétérans comme aux nouveaux venus de découvrir un nouveau pan du lore Ace Attorney au travers de ses deux titres les plus chatoyants.
Tour de Meiji
Contrairement à ses grands frères, The Great Ace Attorney Chronicles ne dépeint pas un Japon contemporain (ou les Etats-Unis, pour les versions occidentales), mais revient un bon siècle en arrière. Nous voilà donc à l’ère Meiji, époque de grands bouleversements pour un Japon venant tout juste de mettre fin à sa politique d'isolationnisme et ambitionnant de se moderniser au travers d’alliances politiques aussi balbutiantes que fragiles. C’est dans ce contexte houleux que le titre met en scène les tribulations de Ryunosuke Naruhodo, ancêtre de notre bon vieux Phoenix, durant ses jeunes heures d’étudiant. Fidèle à la poisse de sa lignée, ce dernier se trouve accusé du meurtre de John H. Wilson, sommité en médecine légale de l’empire britannique invitée à enseigner sur son campus. Hélas pour lui, les enjeux diplomatiques sont tels qu’aucun avocat n’accepte de plaider sa cause, à l’exception de son meilleur ami Kazuma Asogi, brillant étudiant en droit, qui doit pourtant rester sur la touche de crainte de voir ses ambitions de voyage d’étude juridique en Angleterre réduits à néant si trop impliqué. Ryunosuke doit donc faire face, seul, à son destin et assurer sa propre défense, tout amateur soit-il. A cet instant, il est encore loin de se douter que cette affaire sordide n’est que le premier coup de pied dans un nid de vipères, ainsi que le premier pas sur le long chemin qui le mènera à fréquenter assidûment le tribunal criminel londonien du Old Bailey et à embrasser sa vocation.
Volte-Face victorienne
Ère du chamboulement ou non, la structure de The Great Ace Attorney Chronicles repose toujours, elle, sur son indéboulonnable mélange savamment dosé de Point and Click et de Visual Novel. On retrouve donc toujours l’alternance entre phases d’enquêtes, permettant de fouiller les scènes de crime et d’interroger les témoins afin de glaner indices et pièces à conviction, et séances de procès, où le joueur doit focaliser son attention sur les contradictions entre des témoignages rocambolesques et les preuves à sa disposition. Cette compilation tire toutefois parti intelligemment de son nouveau cadre historique et géographique pour apporter sa propre touche, au final plus victorienne qu’asiatique, l’action se déroulant majoritairement dans l’enceinte embrumée de la capitale britannique. Le choc culturel est brutal pour notre jeune avocat, qui doit assimiler de concert les mœurs juridiques et sociales locales ainsi que les évolutions des méthodes d’investigation d’une Angleterre alors en pleine révolution industrielle et donc elle aussi en plein chamboulement. Et comme si ça n’était déjà pas suffisant, il doit également composer avec les excentricités du “grand détective” Herlock Sholmes, accompagné de l’adorable Iris Wilson, sa petite acolyte et prodige de l’ingénierie du haut de ses dix ans, tous deux renommés pour cause de droits en occident. Heureusement, Ryunosuke peut compter sur l’appui de l’admirable Susato Mikotoba, son assistante juridique attitrée, pour arrondir les angles à sa façon quand nécessaire.
Naruhodo, mon cher Wilson
Côté gameplay, si la formule n’est pas drastiquement bouleversée, on se retrouve tout de même avec des situations bien différentes de celles rencontrées dans les précédents jeux de la franchise. Ainsi, dans The Great Ace Attorney Chronicles, les phases d’investigation se trouvent délestées de tous les bienfaits scientifiques de notre époque et ce qui passe pour une révolution au 19ème siècle semble bien rudimentaire d’un point de vue moderne. On oublie les analyses sanguines, caméras de sécurité et autres relevés d’empreintes. Les photographies de qualité parfois grossière et l'examen des pièces à conviction à main et œil nus sont le pain quotidien de l’avocat de l’époque. La tâche se trouve en plus ponctuellement entrecoupée des fines déductions de Sholmes, aussi brillantes qu’on peut l’attendre du détective. Sauf qu’en fait, pas du tout. Si le bougre dispose bien du talent, du charisme et de l’égo qu’on lui connaît, disons poliment que niveau déduction, il n’est clairement pas le crayon le mieux taillé de la boîte. Il revient donc à Ryunosuke de le recadrer en intervenant aux moments clés de son monologue à l’aide des preuves adéquates ou en examinant l’environnement de plus près. Côté procès, la Cour de la Couronne procède différemment des tribunaux japonais. Non seulement les témoins comparaissent souvent en groupes, mais le verdict repose principalement sur l’avis du jury. Le moindre consensus en faveur de la culpabilité de l’accusé, et c’est un verdict qui tombe, à moins que Ryunosuke parvienne à faire à nouveau pencher la balance de Thémis du bon côté en confrontant les arguments des jurés entre eux pour les faire changer d’avis, à la manière de Professeur Layton vs. Phoenix Wright: Ace Attorney.
Le changement, c’est pas maintenant
Difficile pour autant de ne pas retrouver immédiatement ses marques quand on connaît la formule éprouvée depuis plus de vingt ans. Malgré tout, les nouvelles séquences que propose The Great Ace Attorney Chronicles ont le bon goût d’intervenir à point nommé pour conserver un tempo soutenu tout au long de l’aventure. La mise en scène du titre est bien plus élégante et pourvue en animations qu’habituellement, permettant de rompre la monotonie de façon certes artificielle, mais la magie opère encore une fois. En parlant d’élégance, la direction artistique à la fois baroque et steampunk est une franche réussite : Londres est une ville d’une personnalité folle, les environnements fixes sont aussi magnifiques, détaillés et colorés que les salles d’audience sont froides et oppressantes. Et que dire des musiques, si ce n’est qu’elles comptent assurément parmi les meilleures de la saga ? Violons, orgues et autres cuivres grandiloquents sont à l’honneur, pour des compositions soulignant les événements avec pertinence et virtuosité. Et ce n’est pas peu dire, tant l’écriture est qualitative, avec sa galerie de personnages toujours aussi loufoque (mentions spéciales à Sholmes, le best bro à qui on pèterait bien une rotule ou deux et à Susato, la meilleure assistante du monde) et ses mystères tous plus passionnants les uns que les autres. Capcom a également mis les petits plats dans les grands du côté de la localisation du titre (uniquement anglaise), tout bonnement irréprochable avec une grande variété de registres de langues, du vieil antiquaire au langage soutenu au malfrat des bas-quartiers à l’accent à couper au couteau. Un travail d’orfèvre pour quiconque maîtrise l’anglais, et qui pourrait pousser les plus frileux à s’y mettre, tant le jeu en vaut la chandelle.
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