Frustré de ne pouvoir y jouer, j'ai acheté une PS3 presque uniquement pour lui. Et bien ça valait le coup.


On tient là probablement le jeu ultime de cette fin de génération qui porte à l'accomplissement toutes les recherches de gameplay, de narration et de réalisme menées ces dernières années. The Last of Us, c'est avant tout l'application rigoureuse d'une recette parfaitement équilibrée entre ces trois axes. L'univers, l'histoire et l'expérience de jeu s'imbriquent sans rupture tant et si bien qu'on ne sait plus si c'est un environnement narratif qui est rendu jouable ou si c'est un ensemble de règles qui a été enjolivé de sa toile de fond. On navigue entre les phases d'infiltration, d'exploration et de combat sans heurts grâce à une map suffisamment ouverte pour rendre l'exploration gratifiante et suffisamment dirigiste pour donner une grille de lecture fiable aux situations d'affrontement qui ont beaucoup de modes d'approche (grâce à l'arsenal qui s'étoffe et se diversifie au fil de l'aventure) et de nombreuses variables (beaucoup de types d'ennemis différents). On ne combat pas les humains et les différents types d'infectés de la même manière car chacun correspond à des règles spécifiques (les clickers ne peuvent pas vous voir, mais vous repèrent au son et tuent en un coup, les runners sont moins puissants mais peuvent vous voir et sont souvent en groupe, les stalkers sont plus rapides et vous détectent mieux etc.), et chaque architecture de niveau favorise certaines méthodes d'approche (élimination discrète si les ennemis sont isolés, tir groupé au cocktail molotov s'ils sont rassemblés dans un endroit confiné etc.). Cela paraît élémentaire mais il y a à mesure que les situations se complexifient, une part de planification importante et gratifiante, surtout pour les combats contre les infectés (l'I.A. un peu faiblarde des humains les rendant moins intéressants).


Les phases d'exploration sont motivées d'abord par un système de crafting assez intéressant et suffisamment réaliste pour ne pas rompre l'immersion (comme c'est souvent le cas dans des jeux comme Bioshock qui tentent d'approfondir et de rendre visible leur univers par la collection). Logiquement le contexte survivaliste incite à rechercher des vivres, des munitions, et des moyens d'améliorer son arsenal et l'incroyable soucis du détail que développe le jeu naturalise cette mécanique purement vidéoludique. Et c'est cela peut-être la plus grande force de ce jeu, ce labeur incroyable qui a été accompli dans la transcription minutieuse de son univers qui offre des environnements ultra détaillés, diversifiés, dans un grand assemblage chaotique. Cette Amérique morte-vivante, désert délabré de vestiges du capitalisme envahi par une végétation luxuriante est à elle seule une raison suffisante pour s'immerger dans ce jeu tant elle marque les sens et imprègne la rétine.


Le même soucis du détail est apporté aux personnages que ce soit dans leur modélisation, animation, écriture ou dans la performance vocale. Leur jeu, leurs expressions, leurs attitudes scriptées les rendent incroyablement vivants. J'étais impressionné par la prégnance du corps de Lara Croft dans le récent Tomb Raider, sa matière, sa manière d'exister, ce qui marque dans The Last of Us c'est l'incroyable vie qui émane de ces personnages, c'est un jeu qui donne une âme plutôt qu'un corps. A ce titre, le personnage d'Ellie est un chef d'oeuvre à part entière. Son caractère, sa manière de découvrir le monde, de réagir aux situations créent un attachement émotionnel presque sans équivalent (à part pour Clementine dans The Walking Dead). Un exemple hallucinant: A un moment du jeu nous accompagnons un frère aîné et son cadet bien plus jeune, dans une cinématique, ce dernier ramasse un jouet dans un magasin et son frère lui interdit de s'en encombrer. Bien plus tard dans une autre cinématique, on se rend compte que Ellie a ramassé le jouet et le donne au gamin. Sauf que, après la première cinématique on revient in game dans le magasin et on peut visiter les lieux. J'ai alors surpris Ellie entrain de regarder par terre, le jouet qui avait été lancé par le gamin. Je continue mon inspection minutieuse des lieux et revient à l'endroit où le jouet était posé, il n'y est plus. Le jeu rend le personnage si crédible que je ne me suis pas dis "tiens c'est un bug, le jouet a disparu". J'ai su, sans jamais douter que le jouet avait été ramassé lorsque j'avais le dos tourné, et de constater cela par moi même m'a attaché bien plus que n'importe quelle cinématique à ce personnage.


C'est cette fusion des modes de présentation du jeu, cette continuité entre les différentes strates qui le rend si immersif. Une autre scène représente parfaitement cette imbrication organique entre le gameplay, l'univers crédible et la narration: la scène de la chasse. En plein hiver, nous devons chasser un cerf. Il apparaît au loin, j'ai un arc, la séquence commence. Je marche lentement pour ne pas lui faire peur: raté, il s'enfuit. J'ai vu où il s'était enfui alors je continue à l'approcher discrètement, je le vois de nouveau, je tire, je rate, il s'enfuit. Je l'ai perdu de vue alors je regarde au sol et vois ses empreintes inscrites dans la neige. Je le piste et le retrouve, cette fois-ci je le touche mais pas mortellement. Je continue de le poursuivre et désormais il y a des taches de sang au milieu des traces de pas. Je me rend compte soudain que j'arrive dans un endroit un peu civilisé, avec des bâtiments. Début de la cinématique.
Cette séquence est un vrai chef d'oeuvre de game design car à aucun moment je ne sens ses règles. Elles sont entièrement fondues dans la situation, absolument conforme à la réalité: suivre les traces de pas, tirer sur la proie lorsqu'on la voit, s'approcher discrètement pour ne pas l'effrayer sont des actions naturelles de chasseur. Et pourtant le jeu me dirige, il se sert de ma perception de la réalité pour me conduire où il veut c'est à dire dans les rails de sa narration. Les traces de pas ne sont rien de plus qu'une flèche sur le sol, une injonction à tourner les pages du récit et pourtant j'ai eu l'impression d'agir en toute liberté, de vivre absolument la situation.


Cet équilibre entre les trois mamelles gameplay, réalisme et narration pose un socle suffisamment solide pour ériger un grand jeu. Pourtant, The Last of Us va plus loin encore en le fragilisant dans un dernier tiers presque expérimental, tant en matière de gameplay que de narration. Un dernier tiers qui approfondit cette angoisse de la perte qui ne peut se dépasser que dans la transmission aux générations futures comme le développent beaucoup de jeux de ces dernières années selon une vague amorcée par Red Dead Redemption (The Walking Dead en tête, Brothers: A Tale of Two Sons, Gone Home, Dishonored de manière plus superficielle et même, moins sérieusement, Rogue Legacy). The Last of Us a la grande âme terrifiée des jeux de fin de génération. Le chant de cygne de l'obsolescence programmée qui en dit beaucoup, mine de rien, sur notre monde en crise.


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le 10 sept. 2014

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