"If I ever were to lose you, I'd surely lose myself".
The Last of Us part 2 a, pour les plus mesurés d'entre nous, soit des défauts notables soit des choix scénaristiques qui portent à de nombreuses discussions. Pour les moins mesurés ce jeu est, pour citer Ellie, "a hot pile of garbage". Il n'est pas question ici de spoiler l'histoire à tout va (sauf en fin du texte) qui l'a déjà été bien suffisamment sur internet. Par chance, je ne suis tombé sur aucun spoiler.
Le choix fait par Joel à la fin du premier épisode a des répercussions sur tout le deuxième épisode et est à l'origine d'une spirale de violence encore jamais vue avec autant d'aplomb dans un jeu vidéo. La première réussite du jeu est de ne pas passer à autre chose, de ne pas raconter une autre histoire que celle qui découlait du premier. Le premier résonne donc totalement ici. Il est même largement réinvesti par le scénario du deuxième à la manière dont l'avait fait le DLC Left Behind avec les débuts d'Ellie en territoire hostile. Le dialogue entre les deux épisodes est donc dans une veine réaliste, opportun et surtout naturel grâce à un raccord très bien pensé qui n'est pas sans rappelé l'ingéniosité scénaristique du raccord entre RDR et RDR II.
La violence pave le périple proposé par le jeu et les rebondissements, qu'ils plaisent ou non, montrent bien que c'est l'histoire qui doit se raconter d'elle-même (à la seule liberté de ses créateurs) et non pas traduire les envies supposées des joueurs qui seront assurément déçus et tristes. J'ai moi-même été déçu, triste, dévasté, heureux, apaisé, énervé, confus, amusé, attendri, dégoûté, emerveillé et surtout marqué à jamais par ces personnages qui me plaisaient déjà tellement. L'histoire n'est pas faite pour nous flatter mais ne repose pas non plus sur des rebondissements totalement gratuits. Elle passe par tous les stades même les plus désagréables sans que cela ne rende le jeu un tant soit peu mauvais à mes yeux. Ils le rendent très marquant et oblige même à réfléchir avec plus d'introspection pour essayer de savoir si on a aimé ou non la proposition. A côté de cette violence il y a de nombreux moments de calme et de splendeur, que ce soit à travers les flasbacks, les paysages emplis de sérénité ou encore à travers la musique qui joue un rôle important notamment par l'usage de la guitare. La façon dont on joue de la guitare donne "réellement" l'impression d'en jouer par l'intermédiaire du stick pour les accords et du pavé tactile pour la gratte et la cover de Take On Me par Ellie... cela donne une idée du futur du jeu-vidéo (surtout dans les mains de studios de l'acabit de Naughty Dog), capable de mettre en scène une émotion toujours plus délicate et subtile malgré des personnages qui ne sont pas réels (à notre plus grande tristesse). Attention elle n'est pas automatique donc veillez à farfouiller les environnements.
Pour ce qui est du gameplay le jeu n'est pas difficile à jouer, d'autant plus qu'il permet de paramétrer de nombreux aspects pour laisser le plus grand nombre profiter de l'histoire et c'est tout à l'honneur de Naughty Dog (soucieux de faire tourner, j'ai donc déjà prêté le jeu à mémé !). C'est clairement une version mise à jour du premier jeu mais sans révolution. Il faut dire que le gameplay du premier n'a pas vraiment vieilli et il revient ici en mode plus intense grâce à une IA des ennemis plus approfondie. Il en appelle aussi à notre créativité pour venir à bout de certaines zones. Le système de craft est en tout et pour tout identique au premier, l'arsenal est assez limité et en mode normal on manque assez rapidement de balles même en faisant du loot dans tous les coins. Néanmoins on arrivera à s'en sortir en usant du poing ou d'autres méthodes plus explosives voire même de fuir. L'aspect "survival" est donc plutôt grand public dans un sens tout en étant intense et source de plaisir. On pourra s'orienter vers les difficultés les plus hautes qui sont proposées pour un véritable challenge hardcore. Certains niveaux peuvent être facilement "speedrunnés" en fonçant vers la porte de sortie tout en se faufilant entre les balles ou les coups de pattes des zombies comme un vrai lâche (j'avoue l'avoir fait une fois ou deux...). Mais cela n'a pas trop d'importance dans la mesure où le joueur peut choisir d'affronter la zone ou non et toutes les zones ne sont pas pensées comme cela dans l'absolu. Le level design oscille entre environnements de grandes envergures et couloirs sans manquer d'être beaucoup plus horizontal que le premier. Pour ceux qui appréhenderaient de jouer au jeu à cause de son ambiance horrifique par moment je dirai qu'il ne fait pas spécialement peur mais il met quelques coups de pression ici et là.
Le jeu est environ deux fois plus long que le 1 et les cinématiques sont d'un très haut niveau grâce à une caméra virtuelle faisant oeuvre d'une véritable cinématographie. Il n'y a quasiment pas de sentiment de "uncanny valley" car les personnages sont plus réalistes que jamais d'un point de vue des animations faciales et corporelles. On se prend même à imaginer la série actuellement développée par HBO entièrement en images de synthèse... plutôt que de risquer la déception d'un choix d'acteurs peu convaincants en Joel et Ellie. L'optimisation générale est à tomber même sur une bonne grosse PS4 de 2014, exclusivité Playstation oblige. Le jeu s'installe très rapidement malgré les 100 gigas, bien plus vite que Red Dead Redemption II par exemple. Le travail technique est vraiment phénoménal.
Pas de spoiler c'est difficile, la fin est-elle satisfaisante ? Cela dépendra des gens mais je pense notamment que le parcours d'Ellie et de Joel continue d'ancrer un peu plus ces personnages dans le panthéon des jeux vidéos. Si cette fin se fait attendre en mode "il m'en reste encore je vous le mets quand même ?" c'est au service d'une expansion sans précédent et valant largement le coup du monde de The Last of Us. Cela rend le jeu pleinement ambivalent et nourrira les critiques que vous lirez ici et là. Peut-être ne sommes-nous pas encore habitués à voir les choses de deux côtés différents de manière si directe dans un jeu vidéo ? Vous l'aurez compris tout ne tourne pas qu'autour d'Ellie et de Joel mais il ne faut pas en dire plus à part que cette ambivalence nous fait hésiter à lâcher la manette, à certains moments centraux, de peur d'accomplir les desseins qui se profilent à l'écran. Cette opposition rend le jeu à la fois beau et cruel. Au service d'une litanie frénétique et triste qui se joue entre les personnages comme un air de guitare entêtant. Ces deux jeux TLOU sont définitivement ma corde sensible en matière de jeux vidéos.
En conclusion, TLOU part II s'inscrit d'une part dans la lignée des récents blockbusters comme Red Dead Redemption II, Death Stranding et FFVII Remake en proposant une histoire très généreuse par sa durée et son ambition tout en développant, d'autre part, des personnages dont les contours sont plus fuyants, moins anguleux et psychologiquement plus difficiles d'accès. Certains pourront se demander quel est donc l'intérêt de montrer de tels personnages éloignés de l'héroisme habituel, moral et rédempteur qui parsème régulièrement les oeuvres que nous consommons aujourd'hui (et ce malgré des histoires qui cherchent de plus en plus à comporter leur dose de brutalité pour s'estampiller d'une maturité qui convainc à trop peu d'exceptions tout médias confondus). Je n'ai pas de réponse sur l'intérêt de tels personnages mais ce presque-film vidéoludique j'aimerais le voir continuer dans une troisième partie car on s'attache à eux. Il y a donc quelque chose qui fonctionne très bien avec cette histoire et cela tient peut-être aussi de ce que le jeu pourrait nous inviter à penser sans détour sur le monde dans lequel nous vivons nous-mêmes. Aussi le monde de The Last of Us semble immense comme le laisse sous entendre certaines lignes de dialogues, intimées par les scénaristes, évoquant d'autres contrées lointaines. Mais il reste qu'on voudra vivre cette nouvelle aventure sans être trop loin des personnages qui sont déjà dans nos coeurs.
Aparté SPOILER, ne pas ouvrir si vous ne connaissez pas l'histoire et ne voulez pas être spoilés :
Bandeau d'avertissement au cas où la souris glisserait dessus par mégarde ;)
Est-ce que ça me fait plaisir que Joel meurt ? Absolument pas...
Est-ce que ça me fait plaisir qu'Ellie n'aille pas au bout de sa revanche ? Non...
Est-ce que je comprends pourquoi Joel est mort et pourquoi in fine Ellie laisse tomber cette soif de vengeance qui la ronge au plus profond de son être ? Oui je comprends totalement la vengeance d'Abby et je comprends l'épuisement moral des deux femmes. L'une comme l'autre ont commis des actes horribles. Je pense aussi qu'Ellie, après avoir tué un personnage particulier, ne voulait peut-être pas à nouveau condamner un enfant en la personne de Lev (ça c'est de l'ordre de ma seule interprétation).
Bref l'épuisement de la violence et de la vengeance, la vie c'est pas forcément Kill Bill. A contrario si le jeu avait décidé d'aller au bout en mode Kill Abby j'aurais adoré mais que resterait-il de cette fin ? Autant que celle du 1 après déjà plusieurs années ? Il prend cet autre parti-pris qui me convainc un peu plus chaque jour. Ajoutons que cela laisse tout de même trop de victimes sur les chemins respectifs d'Ellie et d'Abby pour parler d'une quelconque rédemption des deux personnages (là où dans RDR2 on ne tuait globalement que des PNJ ou des personnages présentés comme des "vrais méchants"). Cette fin est la raison pour laquelle je repenserai à cette histoire encore dans longtemps, tout comme pour le premier. Le 1 finit sur un mensonge égoïste, le 2 finit sur l'abandon d'une vengeance, c'est très raccord et rend Ellie et Joel si humains voilà.
Pour finir (vraiment cette fois!) il y a beaucoup à dire sur ce dénouement que nombreux (?) considèrent déjà comme ayant tourné en eau de boudin. En tout cas on ne peut pas reprocher à Naughty Dog de s'être reposé sur ses lauriers alors que le jeu vidéo est tout de même une industrie comme les autres : il faut vendre au final, quitte à rejouer les mêmes recettes. Pour moi le risque scénaristique est ici largement payant et couillu par rapport au média et à la taille d'une telle production en particulier.