7 ans après la sortie du premier épisode sur PS3, c’est peu dire que The Last Of Us 2 cristallisait des attentes folles auprès de sa communauté mais aussi dans l’esprit des quidams peu coutumiers de la licence. On sait combien l’accueil des joueurs peut s’avérer délicat, dans ce contexte si particulier – et si trompeur - des titres qui suscitent un intérêt énorme. Alors, qu’en est-il ? The Last Of Us 2 est-il un chef-d’œuvre absolu ou un pétard complètement mouillé ? Ni l’un, ni l’autre, à vrai dire. Chronique d’une oeuvre dont les grandes qualités sont hélas contrebalancées par des défauts encombrants et qui risque bien, en définitive, de diviser les joueurs.
Une histoire sombre et mature, sans manichéisme
Les aventures d’Ellie, de Joël et de leurs compagnons d’infortune – c’est le cas de le dire - reprennent là où le premier opus s’était arrêté et autant le dire tout de suite : le scénario est indubitablement l’énorme force de The Last Of Us 2. Il démontre, s’il le fallait encore, la capacité sans commune mesure de Naughty Dog à nous raconter des histoires puissantes, à défaut d’être forcément passionnantes et surprenantes d’un bout à l’autre. Ainsi, si on peut reprocher au scénario quelques facilités, un rythme inconstant et quelques choix pas toujours judicieux, on appréciera le fait que les développeurs aient choisi de raconter leur histoire, sans concession et sans la volonté de plaire à leur communauté. C’est peu dire que l’intrigue de The Last Of Us 2 divisera tant, à certains moments, elle prend une direction surprenante – voire dérangeante - mais c’est à mon sens une grande force créatrice, si rare dans l’industrie, qu’il faut saluer – et espérer voir se généraliser.
Mais plus que ses rebondissements fracassants, plus que sa violence, plus que ses thèmes forts dont la vengeance - à moins que ce ne soit l’amour, en fait - est le pivot central, plus que sa fin déroutante, c’est avant tout son absence de manichéisme qui sidère. Les gentils deviennent les méchants et vice-versa au fil des heures de jeu si bien qu’à la fin de l’aventure, on a le sentiment que la frontière entre le bien et le mal n’a jamais été aussi floue. Rares sont les œuvres – viéoludiques ou autres – à parvenir ce tour de force remarquable !
Le scénario de The Last Of Us 2 se présente donc comme une vaste montagne russe qui vous fera passer par de nombreuses émotions étonnantes et ce malgré quelques ventres mous regrettables et le plus souvent dispensables.
A cela s’ajoute l’écriture des personnages d’une grande finesse. Vous allez en apprécier certains, en détester d’autres, mais aucun ne vous laissera indifférent. Anciens ou nouveaux protagonistes, chacun a ses forces et ses faiblesses, sa part d’ombre et de lumière ; dans le fond, chacun exhale une humanité terriblement réaliste, avec ce que cela comporte de qualités mais aussi de vices. Un véritable régal, tout simplement.
Une technique bluffante au service de l’émotion !
Mais la réussite du scénario est assurément renforcée par la qualité technique et graphique du jeu. Alors, c’est vrai, d’un strict point de vue visuel, on ne prend pas la même baffe que celle que nous avait assénée Uncharted 4 en son temps – on sent bien qu’on est arrivé au bout du bout des capacités de la PS4. Mais, tout de même, quelle réussite ! Naughty Dog a le chic pour avoir plusieurs longueurs d’avance sur la majorité de la concurrence et pour tirer au mieux profit de l’architecture des consoles de Sony, c’est évident. Attribuons en outre une mention spéciale aux animations ; que cela concerne les mouvements du corps ou du visage, le tout est d’un réalisme sidérant et contribue largement à l’immersion et donc, in fine, aux émotions que le joueur ressent. En guise d’exemple (ATTENTION SPOILER),
cette séquence, au début du jeu, au cours de laquelle Ellie joue une reprise de Take On Me sous le regard de Dina. Quel autre jeu peut se permettre une séquence de trois minutes, sans dialogues, où tout est basé sur les non-dits, sur les regards, sur les gestes fugaces, sur les expressions faciales ?
C’est peu dire que ce passage – franchement du jamais vu, à ce niveau, dans un jeu vidéo - prend aux tripes, comme d’autres au fil de l’aventure. Du grand art !
Un gameplay à la traîne pour un titre qui confond quantité et qualité !
Jusqu’alors, on serait évidemment tenté de dire que The Last Of Us 2 enchaîne les excellentes notes. Mais vous sentez venir le bémol, bien sûr… Oserais-je dire que le principal défaut du jeu, c’est son gameplay ? Je l’avoue, un tel parti pris peut sembler malhonnête et risque de choquer de nombreux joueurs. Peut-être suis-je trop blasé. Mais, à mon sens, ce postulat trouve une justification tangible. Il me semble en effet clair que cette seconde partie campe, presque stricto sensu, sur les acquis de sa grande sœur. Plus globalement, on retrouve cette formule assez typique des jeux Naughty Dog, finalement très similaire à ce que propose la série Uncharted, d’ailleurs. Mais quel est le problème, me direz-vous ? C’est assez simple. Bien qu’efficace, ladite formule a toujours manqué de diversité (et peine surtout à se renouveler), si bien que finalement, le principal écueil de The Last Of Us 2, c’est sa durée de vie. Certes, on peut se réjouir de la grosse vingtaine d’heures – au bas mot - qui nous attend manette en main. Néanmoins, au fil de l’aventure, deux constats s’imposent ; d’une part, le rythme s’avère finalement assez inconstant et, d’autre part, les séquences deviennent répétitives. Ainsi, soyons clairs : il y a trop de caisses à pousser pour escalader un obstacle, trop de portes qu’on ne sait pas ouvrir avec un passage miraculeux à quelques mètres, trop d’actions contextuelles inutiles, trop d’ennemis qui vous attaquent par surprise quand vous émergez d’un trou ou d’une fissure, trop de jump scare déjà vus dans le premier épisode, trop de coffres-forts avec le code donné à quelques mètres dans une lettre (et trop de lettres, en fait), trop de munitions et de collectibles forcément dissimulés à l’extrémité d’une zone, etc. En outre, il y a un réel décalage entre la maturité et l’audace du scénario et la dimension trop vidéoludique de tous ces éléments qui, d’une certaine façon, cassent l’immersion. A quand un titre qui ne nous imposera pas des idioties comme les ennemis plus survitaminés que les autres, avec forcément la carrure d’un gorille et une barre de vie démultipliée pour bien nous rappeler à quel point ils sont dangereux, par exemple ?
Quant à la structure même du jeu, elle répète, comme à l’accoutumée, une alternance entre phases d’exploration - bien qu’il n’y ait fondamentalement pas grand-chose à explorer, ni un intérêt foncièrement déterminant à le faire, en dehors de quelques munitions et collectibles - et phases d’action qui peinent, là encore, à surprendre les habitués des jeux du studio tant elles se déroulent selon un schéma trop classique, trop prévisible, de sorte qu’on en vient rapidement à prédire ce qu’il va se passer dans la minute qui suit.
Les combats, enfin, sont toujours aussi agréables (et même meilleurs que dans The Last of Us 1), même si, comme pour les phases d’exploration et d’action, leur répartition et leur fréquence manquent encore de finesse.
Au final, on a parfois le sentiment que les développeurs ont étiré en longueur une intrigue qui n’en avait pas besoin, au risque de la déforcer, pour atteindre une durée de vie confortable mais qui confond quantité et qualité. C’était déjà un problème dans Uncharted 4 qui ne devait son salut qu’à un rythme plus frénétique, des dialogues percutants et une grande diversité des lieux parcourus, ce qui suffisait à amoindrir largement les limites d’un gameplay qui, résolument, stagne depuis plusieurs années dans les productions Naughty Dog. Nul doute qu’il s’agit de leur principal chantier pour leurs futurs jeux.
Un sentiment de déjà-vu !
Ce gameplay timoré aboutit en tout cas à un clair sentiment de déjà-vu. Sentiment renforcé par une faible diversité dans les environnements parcourus – par rapport au premier épisode – et par un manque de liberté qui devient toujours plus criant au fil des années.
Clairement, les environnements peinent à se départir des lieux visités dans The Last Of Us 1. Evidemment, c’est une nécessité imposée par le scénario mais, à titre personnel, j’ai tout de même été déçu de ne pas voir plus du pays. Il faut de fait attendre la toute fin du jeu pour espérer un quelconque dépaysement.
Quant au manque de liberté, il est vrai que certaines zones – mais elles sont finalement peu nombreuses – sont plus vastes. Cela dit, pour tout joueur qui a pratiqué Uncharted 4, ce n’est pas franchement une surprise. D’autant que, malgré tout, comme c’était déjà le cas du premier épisode, The Last Of Us 2 ne parvient jamais vraiment à nous faire oublier que nous évoluons dans des couloirs. Bien sûr, au cœur d’une forêt, il y aura régulièrement deux chemins possibles mais, non seulement cet artifice était déjà présent en 2013 dans The Last of Us 1, mais, en plus, ce qui pouvait faire illusion sur PS3 ne marche franchement plus en 2020 sur une PS4 en bout de vie. Fondamentalement, je n’ai rien contre les jeux-couloirs mais, en l’occurrence, il serait opportun que Naughty Dog fasse un choix plus clair dans la formule retenue pour ses prochains jeux.
Des doublages au top, une bande originale efficace !
Par contre, en ce qui concerne tant les doublages que la bande originale, on peut clairement dire que The Last Of Us 2 réussit presque le parcours sans faute. Les musiques, bien que parfois discrètes ou trop proches de celles proposées dans le premier épisode, soulignent toujours efficacement la tension ou les émotions de la séquence dans laquelle on évolue. Quant aux doublages français, on les prend rarement en défaut. Du plaisir pur pour les oreilles, en somme !
Une aventure poignante, à défaut d’un chef-d’œuvre !
Tout cela, au final, pour vous dire que, oui, j’ai aimé The Last Of Us 2. Pour ses personnages, pour son histoire, pour ses choix sans concession, pour les émotions qu’il a su susciter en moi, pour sa réalisation léchée. Et, pourtant, son gameplay sans ambition, ses quelques ventres mous et ce sentiment d’une confusion régulière entre qualité et quantité empêchent d’en faire un chef-d’œuvre global, au-delà de sa stricte dimension narrative.