Ce titre provocateur est bien sûr à prendre au sens Hegelien. Évidemment, le jeu vidéo n'a pas cessé d'exister après la sortie de Breath of the Wild, et divers titres continueront à sortir dans les jours, mois, années et siècles à venir. Mais le dernier épisode de la saga épique de Nintendo représente un tournant majeur, que je tenterai ici d'illustrer avec une autre œuvre de presque 100 ans son ainée.


En 1918, Kasimir Malevitch expose la toile Composition suprématiste : Carré blanc sur fond blanc. Une étape fondamentale du jaillissement de l'art abstrait, qui fut dans le même temps désigné comme "la mort de la peinture". Et une question revenait en boucle à son propos : "Après en être arrivé là, que peut-on encore faire" ?


Ne nous y trompons pas, tout comme Malévitch n'a pas débarqué un jour avec son carré sans prévenir personne, Zelda ne n'est pas non plus tombée du ciel telle une météorite déclenchant l'Apocalypse. C'est le fruit d'années de travail, d'étapes, d'observation, de théorisation et de remise en question qui ont permis son éclosion.


Il est très facile aujourd'hui de regarder le Carré blanc sur fond blanc d'un œil morne et de se dire qu'il ne s'y passe rien. Que l’œuvre est au mieux le produit d'un enthousiasme disproportionné, au pire l'expression d'un manque total d'inspiration et d'originalité. Ce serait ignorer (volontairement ou non, peu importe d'ailleurs) la volonté, le cheminement, les essais, les doutes et les angoisses de l'artiste. Car la toile, même si d'apparence "simple", cache dans sa figure géométrique inclinée un monstre de complexité artistique et philosophique. Elle n'est pas qu'un aplat de peinture, elle est le point final du manifeste de l'art abstrait au début du XXème siècle. Celle qui termine de le définir. Et celle qui dans le même temps établit une nouvelle base de départ, sur laquelle ont depuis germé d'innombrables œuvres contemporaines. Que l'on apprécie le genre ou non n'est pas le sujet, c'est ici la portée symbolique qui compte.


Il est également très facile aujourd'hui de regarder Breath of the Wild de loin, et d'adopter une posture désabusée face à une hype risible et caricaturale. On pourra ici encore dénoncer le manque de réelle nouveauté, en pointant du doigt le fait qu'on pouvait déjà grimper partout (notamment au sommet de tours) dans Assassin's Creed, que la survie est difficile depuis Dark Souls, qu'on combat des géants à dos de cheval depuis Shadow of the Colossus et bien d'autres exemples encore... bref, on pourra lire dans les colonnes les plus acides que ce jeu n'est jamais plus qu'un gloubiboulga de tout ce qui a marché, sans une once d'inspiration et d'originalité.


Mais The Legend of Zelda : Breath of the Wild est bien plus que ça. Ce n'est pas une simple étape de plus dans la longue liste des jeux marquants auxquels il a pu nous arriver de jouer. C'est la somme de tous les meilleurs ingrédients de ses précurseurs, au carré de la perfection de son monde. C'est un jeu vivant, organique, cohérent et dont l'alchimie globale relève presque du miracle. C'est une quintessence. C'est le jeu qui, manette en main, fera irrévocablement germer dans l'esprit du joueur la question fatidique... "Après en être arrivé là, que peut-on encore faire" ?


Breath of the Wild est un point final. L'ultime représentant d'un genre qui s'est cherché, qui a tâtonné, qui s'est trompé, qui a eu quelques éclairs de génie et de nombreux moments de doutes. C'est l'aboutissement d'années de recherches pour ce qui devait définir le plus exactement possible ce qu'est le jeu vidéo en monde ouvert du XXIème siècle.
Breath of the Wild représente également une page tournée, et le commencement d'un nouveau chapitre sur sa base. On sera certainement capable de faire " encore plus" dans les années à venir. Encore plus beau, plus grand, plus immersif et plus divers encore. Mais au bout du compte, lorsqu'il faudra se retourner et désigner un titre fondateur, c'est vers lui que les regards se tourneront immanquablement à l'avenir.

Invock
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le 30 juin 2017

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