La perception du temps est une anomalie singulière du jeu vidéo. Chaque titre propose après tout sa propre temporalité en la matière qu'il s'agisse de la présence d'un cycle jour/nuit, de l'importance d'un calendrier dans l'accomplissement des actions du joueur ou de l'évolution de son propre protagoniste au fil des années. Mais plus important encore, l'oubli du temps réel au sein d'une expérience interactive est une variante qui distingue parfois un simple amusement d'un titre avoisinant l'excellence; combien de joueurs se sont étonnés de voir déjà minuit passé en consultant leur horloge avec un mélange de satisfaction et de culpabilité? Cette sensation n'est pas propre au médium interactif au demeurant : des spectateurs interrogés à la sortie d'une séance test seraient capables de vous indiquer tout et son contraire en ce qui concerne la durée du film projeté mais dans la mesure où c'est au joueur qu'il appartient d'interrompre sa partie de jeu vidéo au lieu d'être confronté à la fin traditionnelle d'un récit, le médium interactif semble receler le potentiel chronophage le plus évident et j'admets à titre personnel qu'il s'agit souvent là d'un critère qui trouve grâce à mes yeux : un jeu peut être cahoteux dans ses graphismes, son gameplay ou son scénario, s'il parvient à faire véhiculer cette savoureuse immersion qui nous amène à oublier le temps qui passe, c'est que souvent, l'alchimie est bien en train d'opérer.
Ça tombe bien car The Longing se propose de faire exactement l'inverse en nous faisant prendre conscience irrémédiablement du temps qui passe en faisant ici de l'attente (comme son nom l'indique) une barrière qui risque d'être sacrément rebutante pour de nombreux joueurs. Le principe est simple : un Roi nous donne la vie (?) au commencement de l'aventure en nous formulant cette requête sommaire : de le réveiller au bout de 400 jours. Tel un héritier spirituel de l'Arbre Mojo, le bougre sombre dans le sommeil en nous laissant penaud avec cette simple directive comme indication et aucune réponse à nos questions : Qui sommes nous? Où sommes nous? Pourquoi n'y a-t-il plus personne aux alentours? C'est le Roi de quel Royaume au juste? Et la plus importante de toute: Qu'est ce qu'on va faire en attendant? Bah, on s'emmerde justement car au cas où vous vous poseriez la question, il s'agit bien de 400 jours en temps réel à patienter et pas les journées qui s'écoulent en minutes comme dans la plupart des jeux vidéos. Et pour couronner le tout (hohoho), on ne peut que marcher car comme le personnage le dit si bien lui même "A quoi bon courir avec tout le temps à notre disposition?". Merde mais il fait vraiment que marcher ce con; ça commence mal, cette histoire.
Vous l'aurez compris, The Longing est un titre qu'il est très difficile, voir même quasiment impossible, de conseiller au premier abord; de manière très pragmatique, votre expérience va se résumer à déambuler littéralement à deux à l’heure dans des environnements vides et dépeuplés au sein de niveaux souterrains parfois labyrinthiques et tortueux tandis que votre ombre infortunée se lamentera sur son isolement imposé. Ça ne vend pas du rêve, c'est certain et ce n'est de toute façon pas l'intention de ce projet qui s'achemine progressivement comme une métaphore non seulement de la solitude, mais vraisemblablement aussi de la dépression, avec cette langueur permanente de notre protagoniste vite englué dans ses habitudes et la crainte de chercher une autre alternative. Fort heureusement, le jeu recèle également une autre spécificité inattendue : le temps s'écoulera ici plus rapidement au fur et à mesure que vous améliorerez votre maison et la rendrez de plus en plus confortable; là aussi une analogie existentielle finalement loin d'être conne. De quoi favoriser l'exploration afin de trouver quelques décorations pour votre caverne platonienne, mettant ainsi en évidence le talent du jeu pour quelques moments de découverte DarkSoulienne qui viendront rompre la monotonie de l'ensemble (pour une fois, un jeu semble s'inspirer de l’œuvre de Miyazaki pour la saveur du mystère, ses marques d'un passé tumultueux et ses vestiges d'une grandeur déchue au lieu de simplement tourner comme un con autour d'un Boss affublé d'une barre rouge).
Une expérience déroutante qui mérite clairement votre intérêt si vous êtes lassés de l'obsession rythmique qui caractère de nombreuses productions modernes là où certains titres semblent vouloir renouer avec un éloge de la lenteur (Death Stranding, Shenmue 3) et que vous êtes également sensibles à ces jeux qui semblent dépeindre l'anxiété de l'enfermement après la crise sanitaire avec une approche de la temporalité souvent singulière. Malheureusement, même en étant séduit par le procédé, je n'ai pas été totalement convaincu par l'aventure dans son ensemble pour des écueils peut être inhérents au concept mais qu'il me paraissait pourtant possible d'éviter :
-Déjà, on a beau dire mais c'est quand même chiant de marcher au bout d'un moment dans le jeu vidéo. Ce n'est pas vraiment un problème en soit quand vous restez aux alentours de votre caverne accueillante mais la progression dans le jeu va évidemment vous amener à vous éloigner grandement de votre repaire et même parfois à multiplier vainement des allers retours en espérant qu'un élément bloquant a été contourné par l'écoulement du temps. Au demeurant, The Longing ne doit pas être vraiment appréhendé comme un jeu traditionnel mais plutôt comme une application à faire tourner en arrière fond de son PC (prévoyez quand même deux ou trois Podcasts pour l'occasion).
-Le jeu dispose d'une surface explorable finalement assez limitée dans la diversité de ses secrets; l'illusion opère durant les premières heures de jeu mais ce constat arrive un peu trop rapidement en donnant l'impression (véridique) de tourner en rond.
-Peut être trop inspiré par son modèle Dark Soulienne, la dernière partie du jeu s'avère assez abscons dans son déroulement, au point qu'une soluce sera sans doute envisageable à un moment donné. Essayez néanmoins de conserver la surprise car le doute tenace à l'égard de cette résolution est pour le coup très cohérent avec l'anxiété vécue par notre frêle protagoniste et la responsabilité qui lui incombe désormais.
A titre personnel, il m'a fallu une soixantaine d'heures pour en venir à bout mais je n'ai eu le sentiment d'avoir véritablement joué que durant une dizaine d'heures. Ce n'est pas un problème en soit car je suis plutôt client des expériences inégales mais audacieuses dans leur démarche qu'une énième variante formatée d'une formule qui a déjà fait ses preuves. Bref, donnez donc sa chance à ce Longing, voulez vous mais sachez quand même dans quoi vous mettez les pieds.
Oui parce que 400 jours, c'est long quand même. :p