Dans le macrocosme vidéo ludique où repousser les limites techniques suffit à la presse spécialisée et aux streamers sponsorisés pour crier au chef d'œuvre, la technologie a tout de l'appât rutilant. Se promener sans limites dans des open world toujours plus grands, évoluer auprès de personnages virtuels toujours plus réalistes, massacrer des lignes de codes dans des univers toujours plus saisissants, ces rêves d'enfants deviennent toujours plus proche de la réalité. Don Draper nous disait que l'idée la plus essentielle dans la publicité est la nouveauté. Créer une démangeaison que le produit viendra apaiser comme une lotion. Donner l'impression que ce nouveau jeu va changer les choses, qu'il n'est pas complètement comme les précédents, que le besoin de se le procurer est réel sous peine d'être dépassé par des mécaniques révolutionnaires. Mais il est aussi possible d'engager le public sur un plan plus sentimental et de capitaliser sur un lien plus profond avec le produit: la nostalgie. Sentiment délicat mais terriblement puissant, la nostalgie renvoie étymologiquement à une blessure ancienne qui fait toujours mal. La souffrance d'un enfant naïvement heureux d'incarner un ninja, mais condamné à mourir en boucle, incapable d'assumer une mission encore trop lourde pour ses frêles épaules, courage petit scarabée. C’est un pincement au cœur, teinté de regrets, bien plus puissant qu’un simple souvenir. Le désir insatisfait d'expériences inachevées que l'on aimerait revivre pour leurs donner de meilleures fins.
The Messenger porte un message d'espoir à ces joueurs martyrisés par les Ninja Gaiden et Shinobi, "N'ayez plus peur d'être un Ninja". Si découper des robots au katana et effilocher des démons avec des shurikens peut paraitre has been, le gameplay n'en est pas pour autant moins grisant. Une fois les vieux réflexes réactivés et la mécanique de double saut assimilée, on se surprend à traverser les tableaux sans même poser le pied à terre, léger comme une plume, ne faisant plus qu'un avec le vent. Oui, peut-être que le jeu est un peu trop facile. Ou peut-être qu'à force de manier l'arme le jeune Padawan est devenu Jedi, "On commence à vieillir quand on finit d'apprendre" disais le Sensei. Toujours est-il qu'abuser de la mécanique de recharge de saut pour rouler sans vergogne sur des boss globalement réussis ne doit jamais devenir un cas de conscience mais toujours être perçu comme un juste retour du karma. Et si l'on peut pointer du doigt un bestiaire limité tant sur l'aspect quantitatif que qualitatif, il est intéressant de noter: D'une part que le niveau de recyclage est loin d'égaler celui de Nioh, élu palme verte en 2017. D'autre part que le bestiaire relève ici plus de level que de game design. En effet, les différents ennemis ne sont jamais là pour proposer un quelconque challenge au combat, mais toujours conçus comme des obstacles visant à contrarier votre route ou au contraire à l'optimiser en vous permettant d'aller encore plus vite une fois toutes les compétences maitrisées. La vitesse, ce plaisir de speed runner ici accessible au commun des mortels, composante essentielle d'une rythmique de gameplay qui devient vite addictive.
Ce qui contraste malheureusement avec le rythme bien moins maitrisé de l'aventure proposée. Après un début de jeu sympathique bien que résolument très classique, l'aventure entre dans une nouvelle dimension grâce à un habile "twist" qui n'en ai finalement pas vraiment un puisque utilisé comme argument commercial dans tous les articles de presse. C'est à ce moment-là que l'on pense tenir la pépite indé de l'année devant ses yeux, s'apprêtant à sabrer le champagne pour se féliciter de la clairvoyance de ses achats en même temps que boire à la santé de sa vengeance sur tous les développeurs sadiques des années quatre-vingt. S'en suivra finalement une deuxième partie de jeu décousue sous forme de metroid-like, qui malgré de belles fulgurances de level design et le pouvoir divin de courir sur l'eau finira par lasser quelque peu. Enfin... restera toujours l'humour omniprésent et les dialogues savoureux avec le boutiquier (candidat pour le prix de PNJ de l'année) pour nous divertir. L'humour comme rempart contre l'inventivité, syndrome Shovel Knight, à défaut de proposer un univers particulièrement intéressant ou novateur, The Messenger joue la carte de la parodie, avec à son avantage un aspect méta qui fonctionne particulièrement bien.
Mais plus qu'un simple trip méta ou un concours de qui a le plus de bits, The Messenger est avant tout un voyage à travers le temps. D’une pression on avance.., et on recule, le gouffre qui séparait autrefois deux générations de consoles est désormais traversé en une simple fraction de seconde. Il nous ouvre les portes d’une époque perdue que l’on rêve parfois de retrouver. Cette époque ou les jeux vidéo étaient simplement conçu pour être fun, sans la prétention de raconter de grandes histoires ou de nous interroger sur les dérives de notre société. Ce qui ne veut pas dire que cette époque est meilleure que l'actuelle. A l'heure d'aujourd'hui où tout avatar qui se respecte est doté de faculté de téléportation, on ne peut que déplorer ces allers retours incessants qui nous obligent à traverser et retraverser chaque zones pour aller ramasser… des put** de notes de musique. On peut aussi se demander comment pouvait-on, enfant, subir de la musique chiptune à longueur de temps et atteindre aujourd'hui l'âge adulte sans séquelles. Mais sans doute tout cela fait partie du contrat, autant reprocher au player de Minecraft d'avoir une tête de cube. Si la pensée d'un homme est avant tout sa nostalgie, le retro gaming relève de la crise existentielle. Il y a en tout cas deux leçons à retenir après une telle bataille. Premièrement, ne jamais attaquer sans être sûr de vaincre. Et l’autre leçon ? Ne jamais escalader un arbre plein d’épines…