Dans un futur lointain, dans une galaxie lointaine, l’humanité, maîtrisant désormais les subtilités du voyage en vitesse sub-luminique, décida de s’étendre en fondant des colonies aux quatre coins de l’univers. Plusieurs générations après sa création, la colonie d’Halcyon s’éteint en silence, dans l'indifférence générale, confrontée à une pénurie de nourriture insolvable. Du moins, insolvable compte tenu de son organisation politique. Car le gouvernement terrestre décida que la colonie d’Halcyon à naître serait dirigée par un conseil non élu constitué des PDG des grandes corporations qui prendraient part au voyage.
Procédure habituelle ou expérimentation ponctuelle ? Toujours est-il que ce qui devait arriver arriva. Dotées de pouvoirs sans limite, les corporations modelèrent la colonie selon leurs désirs, des procédures de terraformation au droit du travail. La ruée vers le profit caractéristique de tout système capitaliste, sans instance de régulation pour en limiter les excès, prit un tour macabre. La déshumanisation des travailleurs fut poussée dans ses derniers retranchements et l’entreprise finit par envahir complètement tous les aspects de la vie à Halcyon. Toute personne naît, vit et meurt comme propriété d’une grande corporation. Sa valeur est jaugée à l’aune des services rendus à l’entreprise, le surtravail est la norme et toute absence sur son lieu de travail doit donner lieu à une compensation pour les pertes causée à l’entreprise. Oui, même en cas de maladie.
Obnubilées par le profit, les corporations ne se soucièrent plus des besoins des colons. La terraformation d’une planète habitée fut abandonnée en milieu de route pour causes de frais trop élevés, l’accumulation des bénéfices dans les mains de quelques personnes et la transmission du patrimoine de génération en génération permit la constitution d’une classe oisive habitant une enclave interdite d’accès. Et peut-être pire, face à la pénurie de nourriture, le conseil des grandes corporations renonça à engager des coûts de recherche ou à partager ses richesses. La préoccupation principale fut de maintenir la productivité des employés à un niveau suffisant par la conception d’un dentifrice capable de bloquer la sensation de faim. Ce qui à moyen terme est aussi efficace qu’un pansement sur une plaie hémorragique, mais les profits étaient saufs.
Votre personnage est un produit direct de cet univers cynique. En effet et de surcroît, la moitié des colons dépêchés vers Halcyon (y compris votre personnage) n’a pas été sortie du sommeil cryogénique en raison encore une fois de coûts trop importants. Vous êtes réveillé illégalement par un scientifique renégat du nom de Phinéas Welles qui compte sur votre aide pour sauver la colonie.
Un plan désespéré et non sans risque pour ce dernier puisqu’il ignore presque tout de celui qu’il sauve : êtes-vous un psychopathe meurtrier, un individualiste sans principes, un révolutionnaire ou bien tout simplement trop idiot pour mener vos missions à bien ? Il va sans dire que votre role play sera d’une importance capitale pour Halcyon et The Outer Worlds parvient, c’est sa plus grande qualité, à donner de la valeur à vos choix tout simplement en faisant en sorte qu’ils aient des conséquences. Préserverez-vous le statuquo souhaité par les corporations ? Quelle faction allez-vous porter au pouvoir sur telle planète ? Les solutions alternatives sont nombreuses et parfois cachées. Avec un peu d’effort et d’implication dans la vie des différentes factions, le jeu vous donnera progressivement accès à de nouvelles options pour résoudre un conflit. A vous ensuite de ne pas faire tout capoter par une phrase maladroite une fois que vous avez réussi à faire s’asseoir tout le monde à la table des négociations. En bref, on a affaire à du bon RPG.
The Outer Worlds se veut d’ampleur galactique et se retrouve à ce titre victime de ses ambitions. Car Obsidian est malgré tout un studio aux moyens relativement modestes. Et cela se ressent tout le long du jeu avec des environnements de taille très réduite, que ce soit en intérieur et en extérieur, qui nuisent à la sensation d’évoluer dans un univers vivant qu’on peut retrouver dans les jeux Bethesda (malgré l’avalanche de défauts qu’ils ne partagent pas avec The Outer Worlds). Une timidité qu’on peut aussi ressentir dans le quest design avec une quête principale somme toute assez courte et qui se termine d’une façon abrupte, sans prendre le temps de développer complètement certaines conséquences politiques de vos actions. Là où les quêtes annexes prévoyaient des nombreuses issues vos actions et mettaient en scène des factions aux motivations complexes qui rendent les choix très difficiles, la quête principale sur la fin est somme toute assez manichéenne. Les méchants sont tout désignés et c’est sans doute la conséquence de ce setting, assez amusant tant il entre en résonance avec l’actualité (de manière exagérée évidemment), dans lequel le cynisme des corporations est poussé à des extrémités insoupçonnées.
Si ce n’est cet excès d’ambition vis-à-vis des moyens disponibles, The Outer worlds est un très bon RPG double A. On peut déplorer ces gunfights fades, cette infiltration ratée et ces extérieurs assez laids, compensés par des intérieurs très soignés, mais le contrat d’une aventure dans un setting intéressant sur lequel on peut avoir de l’influence est respecté et bien exécuté dans ses grandes lignes. Avec une écriture supérieure à ce qui se fait dans la majorité des RPG à gros budget, et le tout sans micro-transactions, on a affaire à un titre honnête qui pourrait rappeler à l’industrie (avec Greedfall) ce que RPG signifie vraiment. Et que ce type de production peut trouver le succès. En espérant que le prochain titre d’Obsidian saura se donner les moyens de ses ambitions.