The Witcher 2 est, paraît-il, excellent. Culminant à un beau 88% sur Metacritic, c'est, à en croire l'avalanche de reviews de l'époque (pas si éloignée : 2011), le nouveau mètre-étalon du RPG à l'occidentale, une leçon de storytelling, un modèle de maturité (?!)... n'en jetons plus ! A tête reposée, deux petites années après l'hystérie collective, repenchons-nous sur ce phénomène étrange, sur ses qualités – pour la plupart fantasmées – et ses défauts, si énormes qu'on en vient régulièrement à se demander : « c'est ça, le chef d' œuvre du RPG à l'occidentale ? » On comprend mieux, à ce compte, pourquoi certains ont porté aux nues Skyrim un an plus tard. The Witcher 2, y compris dans sa version très pompeusement nommée « Enhanced », est un festival d'occasions manquées.
Par où commencer ? Par le début, précisément : par ce tutorial délirant de maladresse et de lourdeur, d'abord hors-jeu, puis répété dans un prologue qui n'en finit pas de bavasser ses cinématiques et ses séquences jouables dans un rythme aussi aléatoire qu'épuisant. Des premiers pas proprement décourageants où l'on se bat, impuissant, face à l'obscurité d'une interface incroyablement foirée (sans rire, l'Enhanced Edition a amélioré les choses?) où l'on promène un curseur arthritique sur une quantité astronomique de données inutiles, où l'on navigue dans un inventaire bordélique rempli d'objets à l'usage inconnu. En bataillant, on finira par réussir à comparer les statistiques de deux armes ou à changer d'équipement en comprenant clairement le changement de l'un à l'autre. En persévérant encore davantage, on maîtrisera l'alchimie, invitation à la cueillette permanente de tous un tas d'espèces de plantes que le jeu se charge pour nous de mélanger sans qu'on y comprenne rien. Enfin, après quelques heures de jeu, on intégrera à quelles touches sont respectivement associées l'épée à monstres et l'épée à humains, même si Geralt, notre héros, a l'élégance de sortir la bonne arme lorsqu'il marche glaives au fourreau. Les déplacements, que ce soit au pad ou au clavier/souris, sont particulièrement étranges : il est impossible de reculer en faisant face à ses ennemis, tout comme il est impossible d'infléchir une direction précise à son personnage, qui semble se déplacer selon une poignée d'axes rendant le jeu d'esquives/parades épuisant (couplé à un système de ciblage automatique défaillant).
Au final : ouf ! Nous voilà à bout du tutorial. Gavé d'une somme d'informations astronomique, on clôture l'arène censée contrôler notre aptitude au combat avec la suggestion du mode de difficulté. Sur quatre modes, la plupart des joueurs se verront conseiller le mode Facile. Qu'à cela ne tienne... on embarque pour le prologue, où le jeu commence à faire étalage de sa technique de pointe, et où l'on sent naître cette science du storytelling tant promise – mature, adulte, émouvant, tout ça est très clair. Tout ça est aussi formidablement raté. D'abord parce que c'est un foutoir hallucinant, sans structure ni enjeux clairement identifiables ; ensuite parce que c'est quand même très racoleur, voire parfois stupide. On passe gentiment sur l'abominable faute d'orthographe qui ouvre littéralement le jeu. Il y a, donc, des seins et des gros mots. Il y a, aussi, des cut-scenes interminables entrecoupées de phases jouables à la durée et à la difficulté imprévisibles : on a l'impression, au départ, de chercher le rythme du jeu, complètement hésitant, à la merci d'une multitude de crâneries (cinématiques interminables aux ralentis esthétisants, l'instant d'après dialogues sentencieux ou QTE sous urgence) qui éparpillent le jeu dans toutes les directions. On en récupère les fragments, certes étincelants : ici un paysage fabuleux, là une cinématique réellement grâcieuse (la fin du prologue) – jamais, pourtant, une grâce dans le gameplay, à la fois brutal et bordélique, difficile et aléatoire, où la chance joue au moins autant que l'aptitude réelle. Vient, plus loin, le moment de gérer l'évolution de son personnage : le cauchemar continue, fidèle à l'irréalité du rythme, où l'on prend des niveaux et des points d'expérience sans comprendre clairement comment, ni pourquoi. Le jeu commence avec une difficulté assez impressionnante, voire rageante, distribuant avec parcimonie cette fameuse expérience dont on cherche à comprendre les tenants et aboutissants ; après les deux tiers du jeu, délivrera les montées de niveau par douzaines, transformant la progression en une promenade de santé qui sera toutefois interrompue par des boss extraordinairement mal foutus, imprévisibles, punitifs.
Mais qu'il ne soit pas dit qu'on se laisse abattre par une difficulté trop élevée à l'heure du tout casual (en mode normal, le jeu comprend des pics absurdes). On finira donc par passer d'acte en acte en suivant le récit d'un narrateur omniscient, déjà au courant de tout (bien), mais aparemment pas de sa propre imprévisibilité. Jaskier est un piètre conteur. La structure du jeu, en général, est incompréhensible, alternant espaces clos, espaces ouverts, quêtes fedex et quêtes principales avec une irrégularité, une absence de logique qui ne permet jamais de prendre ses marques. Le temps de comprendre la logique retorse d'une zone qu'on passe à la suivante ; le temps de cerner une quête ou un personnage qu'il ou elle disparaît à la faveur d'une ellipse ou d'un événement censé être percutant, mais qui ne réussit qu'à amplifier ce sentiment d'égarement qui guette en permanence. Le scénario est globalement un échec – échec d'écriture, échec de game design... - qui met au premier plan sa soit-disant maturité au risque de détruire le plaisir de jeu. De plus, il n'est pas si passionnant que ça, et il ne sera pas rare de ne pas comprendre le pourquoi du comment d'un revirement de situation. Les développeurs, bons princes, feront intervenir des quantités de dialogues astronomiques tombant aux moments les plus singuliers (Zoltan le nain qui se met à raconter sa vie au plus fort d'une bataille, Cyn la guerrière indépendante transformée à mi-parcours en frêle pucelle, Triss qui a le feu aux fesses au moment le moins opportun...), portant davantage de coups à un rythme imbitable. Il est toujours impossible de savoir combien de temps une session de jeu va durer : il faut attendre les aires de repos de la quête principale, rares, pour reprendre ses marques et faire le point sur les événements en épluchant des pages entières de journal, en sauvegardant sa partie à chaque instant dans l'angoisse de déclencher une cinématique marquant l'échec de telle ou telle quête.
Un mot, pour finir, sur la mention « Enhanced » fièrement annoncée : du vent. Le jeu est très beau, on ne va pas tergiverser là-dessus, bien qu'il faudra une machine de guerre pour en profiter toutes options à fond. Le problème est davantage dans les corrections effectives apportées par ce « patch géant » : de nouvelles quêtes (mal foutues, mal insérées), des cinématiques supplémentaires qui hachent davantage le rythme et accentuent le côté « poseur » du jeu (la dernière chose dont il avait besoin). Les problèmes les plus importants ne sont toujours pas résolus, comme l'interface miteuse, le manque de clarté du système de progression, les approximations de la jouabilité en combat, sans compter pas mal de bugs (impossibilité de jouer au clavier avec un pad branché, crachotements de son sur certains dialogues, soucis de localisation...) On finit le jeu avec un sentiment d'inachevé en bouche, en n'ayant pas compris grand chose, à la fois séduit par l'univers et frustré par une narration frisant l'amateurisme, attiré par le genre même du jeu mais exaspéré par ses innombrables approximations. The Witcher n'est une réussite ni en termes de storytelling (bordélique, fatigant, emprunté), ni en termes de gameplay (avec des idées, mais pourri par un équilibrage foireux et une certaine obscurité d'ensemble). C'est une réussite en termes d'ambiance, de graphismes, de style, bref : de publicité, d'une certaine manière. Malheur toutefois à celui qui grattera sous son vernis, car de mûre dans The Witcher 2, il n'y a guère que la volonté, copieusement gavante, d'en mettre plein la vue.