Je n'ai pas aimé The Witcher 3, mais j'ai essayé. J'ai persévéré jusqu'au Baron Sanglant et aux sorcières en faisant le gros des quêtes secondaires et même quelques contrats. Cela représente plus de 10 heures de jeu. Or, 10 heures, c'est beaucoup, lorsqu'on ne s'amuse pas. Je trouve avoir été admirable et c'est tout empli d'un profond sentiment de légitimité que je me propose de traiter comme il le mérite ce jeu en vérité fort médiocre.


Si j'y ai joué plus de 10 heures, c'est que le jeu a quelques qualités, dont une qu'il serait malaisé de nier tant elle agrippe les yeux : le jeu est prodigieusement beau. Par sa beauté même, il parvient à être immersif. C'est que le jeu, bien que très esthétisé, arrive à susciter une forte impression de réalité. Cela tient à un ensemble de petits détails : l'architecture réaliste des bâtisses, les coiffures un peu ridicules, les fripes très détaillées et parfois hautes en couleur et pourtant relativement sobres, et bien sûr le physique des personnages. Le jeu propose une variété de physiques extraordinaire. On trouve de tout dans The Witcher 3 : des rougeots, des gros, des minces, des mâchoires atrophiées, des nez péninsulaires... et ces pittoresques trognes ne sont pas réservé qu'aux tordus ou aux seconds couteaux. Beaucoup de personnages importants ont un physique peu commun et/ou à contre-emploi. Cette qualité du charac design se manifeste aussi dans les nombreuses créatures monstrueuses peuplant l'univers. Il faut les voir les trois sorcières des marais. Dieu qu'elles font peur, dieu qu'elles sont belles.


Une seconde qualité importante, moins flamboyante que la première cependant, est que le jeu est bien écrit. Pas de gras poncifs, des prises de risques (le Baron Sanglant est déjà célèbre), de l'ambiguïté, du non dit, de la crasse, des gueux à la grammaire approximative... Vraiment, c'est chouette, on s'amuse bien. Néanmoins, on ne touche pas non plus au sublime. Si le jeu n'est jamais navrant, il n'est que rarement captivant. D'ailleurs, assez vite, on saisit les recettes appliquées. Un personnage trop bon finira toujours par dévoiler une face plus sombre (ou vice-versa). Une mission trop noble cachera toujours quelque intention moins louable, un choix trop évident aura des conséquences inattendues et adverses sur le long terme... Bref, tout tend vers le gris. Attention, l'écriture n'en reste pas moins plaisante, voire très plaisante, mais elle n'est pas assez exceptionnelle pour passer outre les défauts, immenses les défauts, que je vais vous exposer présentement.


Ces défauts pourraient se résumer en une phrase simple : le gameplay est mauvais ; mais je doute qu'une sentence aussi laconique vous satisfasse et je veux en outre m'assurer que vous saisissiez bien à quel point et pourquoi c'est pourri.


Commençons par le plus évident : les combats.


Relativement aux autres jeux de rôle/action, il y en a relativement peu, et pourtant beaucoup trop.


Imaginez Dark soul, mais une version très pauvre, sans variété, confuse, avec des contrôles approximatifs et mous (la lenteur des déplacements durant les combats est à peine croyable) ; ou encore, imaginez Batman, mais avec un personnages dont les coups sont très lents et engagent le personnage (impossible de les annuler par une garde ou une esquive), et où les adversaires sont prudents et défensifs. The Witcher 3, c'est tout ça. C'est une tentative d'hybrider deux systèmes de combat à la mode, l'un posé et tactique, l'autre bourrin et frénétique, et échouer lamentablement à en faire quelque chose d'intéressant ou juste de plaisant. Sans doute est-ce par manque de talent, peut-être est-ce parce que le croisement est contre nature ; quoi qu'il en soit, le résultat est là : chaque élément tiré d'un système semble conspirer contre ceux repris de l'autre. Ainsi, les coups lents, engageant fortement le personnage, et les ennemis prudents et défensifs (éléments "souliens"), empêchent de retrouver le fun frénétique des Batmans. À l'inverse, la simplicité des coups, le grand nombre d'ennemis, le fait que les attaques du héros sont contextuelles et déplacent le personnage (les rendant peu prévisibles) empêche de retrouver la rigueur et à la profondeur tactique des Souls.


Le mécanisme de lock est représentatif du manque de pensées derrière les combats. Vous le savez probablement, le système de combat de Dark Soul est basé sur la possibilité de bloquer la caméra sur un ennemi ; pas celui de Batman. Il y a de bonnes raisons à cela. Il s'agit en effet d'un mécanisme qui marche assez mal lorsqu'il y a plein d'ennemis et que ceux-ci entourent le personnage. Ce n'est pas le cas des souls, où les ennemis sont généralement peu nombreux ; c'est par contre le cas pour Batman, qui a par conséquent le bon ton de ne pas s'appuyer sur un tel mécanisme. Seul The Witcher 3, dans son singulier génie, a choisi de combiner les deux.


Vous me direz que ce n'est pas dramatique, qu'il suffit de ne pas l'utiliser lorsqu'on affronte un groupe d'ennemi. Après tout, le jeu propose aussi, à la manière d'un Batman, un mécanisme de ciblage automatique. Le lock ne servira donc que pour les gros ennemis isolés et c'est tout. Mais ce serait charitablement sous-estimer la confusion totale dans laquelle se trouvaient de toute évidence les développeurs. Car figurez-vous que le mécanisme de lock ne marche pas sur tous types d'ennemis. Il existe en effet un type d'ennemi qui, pour quelque impénétrable raison, à l'étonnante méta-capacité d'être immunisé à tout verrouillage de caméra sur sa personne. Ce type d'ennemis -- vous allez voir c'est fort drôle -- ce sont les boss. Yep, les adversaires pour lesquels, justement, le système de lock serait le plus utile ; bah, on ne peut pas.


C'est un détail, oui, mais merveilleusement révélateur de l'amateurisme tragique de CD projekt en la matière. Un amateurisme qui, du reste, ne surprendra pas le pauvre hère s'étant déjà échiné sur les précédentes productions du studio.


Chose cocasse, j'ai trouvé que les parties de Gwent, censé être le mini-jeu à la con, constituaient en réalité un type d'affrontement beaucoup plus amusant que les combats classiques. Ils sont plus rares, plus agréables à manier, plus stratégiques aussi, puis les cartes sont rigolotes, et il y a toujours à la clé une récompense sympa.


Voilà, c'était le premier gros problème du jeu. Mais tout seul, il n'aurait pas suffi à saloper entièrement l'expérience. Des jeux de rôle narratifs avec des combats tout nazes, ce n'est pas ce qui manque, et certains font partie de mes jeux préférés. Malheureusement, The Witcher 3 a d'autres problèmes, et l'un d'entre eux est que si l'on avait la riche idée d'en soustraire les combats, le jeu se muerait alors soudainement en walking game. C'est que jamais, au grand jamais, une quête n'exigera du joueur la moindre initiative, réflexion ou planification.


Allons dans les détails : une quête typique dans The Witcher 3 consiste généralement à suivre le marqueur de quête, à regarder des cinématiques, souvent à se taper quelques combats, parfois à faire un choix lors d'un dialogue, et de temps en temps à mener une enquête. A priori, ces deux derniers points semblent infirmer mes dires. Bien sûr, il n'en est rien.


Les choix dans les dialogues sont soit (a) des choix moraux, dont les conséquences sont imprévisibles, et qui ne peuvent pas, sans méta-connaissances, faire l'objet d'une stratégie ; soit (b) des choix concernant le moyen de résoudre un problème (exemple typique : en payant, en combattant, en utilisant un pouvoir). Dans ce dernier cas (et dans l'autre aussi, même si c'est moins problématique), les choix sont exposés de manière explicite au joueur, qui n'a donc pas à réfléchir lui-même à comment résoudre la situation ; car tous aboutiront à la résolution du problème : il n'y a pas de mauvais choix per se. Il ne s'agit au fond que d'indiquer au jeu sa préférence.


Quant au système d'enquête, il ne s'agit que d'appuyer sur un bouton permettant de faire apparaitre à l'écran un certain nombre d'indices (représentés par une couleur rougeâtre) avec lequel le héros peut interagir. Il suffit dès lors d'appuyer sur le bouton A à proximité de ceux-ci. Géralt se chargera tout seul du travail de déduction. Pour autant que j'en sache, il n'est pas possible de rater un indice. Le jeu ne réagira pas et ne permettra pas la progression avant que le joueur n'ait appuyé sur le bouton A à côté de chacun d'entre eux. Plus que jamais, absolument aucune initiative, aucune réflexion, aucune planification, n'est exigé du joueur. En fait, aucune initiative, aucune réflexion, aucune planification n'est tout simplement possible.


Il existe peut-être quelques joueurs n'étant pas chagrinés par cette passivité. De mon côté, cela m'endort, m'emmerde, et même plus, cela m'empêche toute immersion.


Enfin, dernier point, assez lié à celui du dessus, c'est que The Witcher 3 est à peine un jeu de rôle, du moins narrativement parlant. Il y a peu de choix dans les dialogues, et aucune action (à ma connaissance) en dehors de ceux-ci n'entraine une conséquence narrative. En outre, les choix dans les dialogues ne sont pas très variés et ne recouvrent qu'une palette de comportement très réduite. Geralt a une personnalité, et c'est uniquement dans les limites de celle-ci que le joueur peut agir. En soi, cela ne me pose pas de problème, mais il faut que le personnage soit intéressant. Géralt n'est pas intéressant. C'est un héros tout à fait banal comme on en a vu par milliers dans toutes les fictions centrées sur l'action violente. Il est ultra viril, c'est un combattant exceptionnel, il se veut neutre, mais il ne peut s'empêcher d'avoir de la sympathie pour les opprimés, c'est un paria qui fait peur aux gens du commun. Est-il seulement possible d'imaginer un héros plus convenu ? Même le chevalier sans peur et sans reproche est infiniment plus original.


C'est la fin de ma critique. Elle est loin d'être exhaustive. Je me suis concentré sur les qualités et les défauts les plus importants, occultant de multiples bonnes choses (la coloration des choix de dialogues, le côté sexy, etc.) et tout autant de mauvaises (la maniabilité pénible même durant l'exploration, les zones d'intérêt inscrites sur la carte...) : mais, en fin de compte, je ne pense pas que ces diverses petites forces et faiblesse compte beaucoup face à de tels géants.


The Witcher 3, j'avais envie de t'aimer. Tu es le premier jeu que j'ai essayé sur mon nouveau PC. Je n'avais pas d'attentes démesurées, mais je croyais en toi. Tu as déçu.

GéhenneFleurie
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le 15 févr. 2016

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GéhenneFleurie

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