The Witness est un puzzle-game qui lâche le joueur sur une île contenant plus de 600 puzzles à résoudre dont la quasi intégralité consiste à tirer un trait sur une grille contenant différents éléments. Ca n'a pas forcément l'air comme ça, mais en réalité c'est juste génial.
Le joueur, en vue FPS, est en position de témoin privilégié et chaque pas sur cette île le fera s'émerveiller des splendeurs de la nature, le poussera à découvrir les règles qui sous-tendent ce monde, de la géométrie fractale (comme superbement évoqué sur la pochette) aux propriétés physiques des matériaux, du son et de la lumière en passant par les paréidolies omniprésentes. C'est là le premier propos du titre : témoigner de l'amour de Jonathan Blow pour la nature et la science, en laissant le joueur explorer une île qu'il a mis près de 10 ans à concevoir.
Le level design organique de l'île est une vraie réussite. Il semble directement inspiré de ce qui se fait de mieux en la matière : le semi-openworld de Dark Souls. L'exploration se montre linéaire la première demi-heure, puis on débloque une porte qui devient un raccourci vers un autre secteur ou le hub central, ouvrant les possibles en terme de circulation. L'île propose une bonne douzaine de secteurs : temple solaire, marais fleuri, forêt de bambou, château fort, cabanes dans les arbres...Chaque environnement, plein de couleurs et de formes riches et variées est un véritable enchantement et un hommage à la nature. Tous les éléments de l'île jusqu'au moindre caillou hurlent l'amour de Blow pour la science et la nature.
La grande force du jeu est de ne donner aucune explication, aucun tutoriel, aucune histoire autre que celle que se racontera le joueur en explorant un environnement naturel réaliste. Le jeu se concentre totalement sur l'exploration, l'observation et la résolution des puzzles. On débute ignorant puis on est confronté au monde sous ses différentes formes. Le processus d'apprentissage se fera en éprouvant son esprit scientifique, en adoptant le modèle classique de la démarche scientifique : observation, création d'hypothèses et vérification de celles-ci à travers l'expérimentation. Si on bloque sur un puzzle, il n'y a qu'à prendre un peu de recul, observer autour de soi ou explorer un peu plus loin, jusqu'à trouver une version moins élaborée qui nous donnera les clés. Chaque type de puzzle (il doit en exister une bonne douzaine basé sur ces fameuses grilles) se révèle extrêmement stimulant, qu'il repose sur les mathématiques ou les perceptions. Je ne pourrais même pas dire quels ont étés mes préférés, tous ont autant de sens.
A côté de ça, le jeu est très peu bavard. Le parti pris réaliste à même poussé Blow à livrer un jeu sans musique, chose rarissime sur ce média. Rien ou presque ne viendra brouiller le message. Les seules paroles viendront de quelques magnétophones cachés ici et là. Ils révèleront un peu plus s'il le fallait l'idéologie scientiste du titre en délivrant les pensées des plus grands scientifiques, un peu comme une sorte d'héritage, toujours pour témoigner de l'extraordinaire complexité de la nature, poser l'homme comme un parfait ignorant mais célèbrer sa curiosité, sa soif de connaissance et la façon dont il construit sa représentation du monde à partir de vérités scientifiques avérées, irréfutables (contrairement aux représentations du monde non-scientifiques, qui se soucient moins du principe de vérité). C'est le véritable enjeu du titre, questionner le rapport entre science et foi et plus spécifiquement de la question de la science comme croyance.
Seul point négatif, les déplacements sont très lents, plus lents que dans la plupart des FPS et on ne peut pas sauter, nous forçant parfois à contourner sur 15 mètres un muret de 20 cm. Je me serai senti plus libre avec plus de vitesse et la possibilité de sauter (voire avec un jetpack mais bon, ça aurait un peu détruit le level design).
En bref, Blow nous livre une fois encore une œuvre magistrale qui fera date. Il persiste à créer une cohérence remarquable entre le discours et le gameplay (servi en plus par un excellent level design). C'est la force des œuvres d'auteurs talentueux, là où les œuvres issues de collectifs font bien souvent trop de concessions sur le sens.