Que vous avez de grandes dents !
(Contient quelques légers spoilers)
Ça y est. L'intégralité de la saison 1 est enfin disponible. J'ai donc enfin pu profiter de cette nouvelle aventure signée Telltale Games, les développeurs de la très bonne surprise de 2012, The Walking Dead. Etant donné que de toute façon je comptais m'y mettre les yeux fermés, j'avais essayé de me documenter le moins possible avant de lancer le jeu. Je n'avais donc aucun a priori, je ne savais même pas de quoi ça parlait.
Le début est vraiment prometteur, avec un premier épisode particulièrement réussi. Dès les premières images du jeu, le style graphique nous met une baffe. C'est l'exemple même du jeu qui ne brille pas pour la technique mais qui nous impressionne grâce à une direction artistique maîtrisée et une identité propre. L'ambiance polar installée dans The Wolf Among Us cohabite constamment la crasse du bas-fond new-yorkais façon Max Payne avec des couleurs flashy osées. Le contraste fonctionne à merveille.
De plus, l'introduction plonge direct le joueur dans le vif du sujet. Dans un quartier de New York nommé Fabletown, des personnages de contes de fées sont forcés de vivre parmi les humains en cachant leur véritable identité. On incarne Bigby Wolf, un détective connu également sous son véritable identité du "grand méchant loup". Il possède un charme particulier et la façon dont Telltale a commencé cet épisode est brillant : le "loup" intervient pour arrêter le bûcheron en train d'agresser une femme, ce même bûcheron qui était là pour chasser le loup et sauver le Petit Chaperon rouge dans le conte. Cette situation ironique introduit parfaitement cet univers décadent où les personnages de nos contes préférés n'incarnent plus forcément les mêmes rôles.
L'intrigue du jeu débute sur le meurtre d'une femme et est ponctué de moments forts, des dialogues avec des personnages intéressants tels que le Crapaud ou Colin le cochon. Les passages où on est lâché sur la scène du crime et où on doit trouver des preuves rappellent les jeux d'enquête. Ça fait toujours son petit effet.
Et puis, après ce début magnifique, j'éprouvais une certaine déception.
Petit à petit, au fil des épisodes l'intrigue devient de plus en plus classique, dilué dans des dialogues trop bavards, des scènes sensées être fortes mais mal exploitées, des personnages secondaires inutiles, ou encore des conflits entre les personnages qui s'arrêtent aussitôt qu'ils ont commencé, comme cette fameuse scène où la Bête surprend Bigby et la Belle. Contrairement à l'épisode 1, les personnages aux apparences humaines deviennent plus fréquents avec le temps. Je sais que c'est l'univers qui veut ça (les personnages aux apparences animales ou monstrueuses sont renvoyés de Fabletown), mais parfois j'oubliais presque qu'ils s'agissent de personnages de contes, et je finissais par voir Nerissa comme une simple prostituée et non pas comme une ancienne sirène, par exemple.
Dans l'ensemble, je trouvais que le rythme était moins maîtrisé que dans The Walking Dead, avec des temps morts, des séquences presque inutiles (la maison de la sorcière qui n'apporte pas assez d'éléments intéressants selon moi à l'histoire) et des cliffhangers un peu forcés. On sait très bien par exemple que la personne sur la photo à la fin de l'épisode 2 n'est pas le vrai coupable, vu qu'il y a encore 3 épisodes derrière.
Heureusement, les moments plus mous sont compensés par des passages plus réussis, comme la fin de l'épisode 3 ou plus ou moins l'intégralité de l'épisode 5.
De plus, il y a quelque chose que je trouve regrettable comparé à The Walking Dead, c'est le manque d'intervention du joueur dans l'histoire. C'est assez étrange car The Wolf Among Us semble à la fois proposer plus de choix et moins de libertés au joueur, ce qui peut sembler contradictoire.
Bien que basé principalement sur les dialogues, The Walking Dead conservait un certain aspect point'n'click dans son gameplay. Le joueur avait régulièrement l'occasion de se balader pour observer le décor et trouver des objets utiles pour par exemple résoudre un puzzle. Ce gameplay était certes simple mais servait brillamment la narration. Au début de l'épisode 2, Lee doit distribuer le peu de nourritures qui restent parmi le groupe de survivants. Etant donné qu'il n'y en a pas assez pour tout le monde, il doit faire un choix. Ou plutôt, on doit faire un choix. On se déplace alors nous-même dans le décor, on discute, et on décide enfin à qui on allait donner : est-ce qu'on va favroriser les enfants ? Les vieux ? Les blessés ? Les amis ? Pour moi, le fait de se déplacer nous-même pour faire la distribution était lourd de sens, bien plus important que choisir entre la réponse A, B ou C.
The Wolf Among Us manque cruellement de ce genre de passages. Le 3/4 du jeu est uniquement composé de dialogues et de cutscenes. Les rares fois où on est libre de se déplacer dans un décor, c'est souvent dans des pièces étriquées de 10 mètres² avec 3 pauvres éléments à observer. Il existe un inventaire mais celui-ci est complètement inutile. Dans l'épisode 1, les objets qu'on ramasse s'entassent dans l'inventaire sans jamais trouver une utilité. A partir de l'épisode 2, cet inventaire devient beaucoup plus discret jusqu'à ce qu'on ne s'en sert plus jamais dans le reste vu qu'on ne ramasse rien dans le décor.
Soyons clair : en soi, je n'ai pas de problème qu'un jeu narratif ne comporte pas beaucoup de phases de gameplay. C'est plutôt la conséquence que je trouve dommage, car dans TWAU, j'avais plus l'impression de subir l'histoire que de la vivre comparé à TWD où j'avais l'impression de voir mon personnage évoluer selon mes décisions. C'est d'autant plus paradoxale car en réalité, TWAU demande aux joueurs de faire des choix plus importants qui impliquent la vie de plusieurs autres personnages secondaires. On peut très bien transformer Bigby en animal cruel qui tue le moindre suspect de sang froid si on le souhaite. C'est juste que la façon dans le jeu progresse a tendance à rendre le joueur trop passif pour lui donner l'impression qu'il a un véritable contrôle sur tout ça.
Signalons enfin le même défaut que TWD : l'absence de la localisation, un comble pour un jeu purement narratif. Je pense avoir un niveau d'anglais suffisant pour comprendre l'intégralité des textes, mais déjà ce n'est pas le cas de tout le monde et puis quand je rentre du boulot fatigué le soir et je lance une partie pour me changer les idées, je n'ai pas spécialement envie de me farcir des dialogues en anglais, surtout dans un jeu où le joueur est invité à prendre rapidement des décisions. Et qu'on ne me dise pas que Telltale n'a pas les moyens pour embaucher des traducteurs, on ne parle pas d'une petite équipe dans un garage mais d'une vraie entreprise de 180 employés et qui sont au moins sur 4 projets de jeux simultanément.
J'ai l'impression d'avoir été très négatif dans cette critique mais je n'ai pas détesté le jeu, loin de là. The Wolf Among Us reste pour moi un très bon jeu narratif, avec une pure direction artistique, un univers unique, et une enquête passionnante à suivre. La qualité de la narration et de la mise en scène reste supérieur à la plupart des produits AAA qui sortent aujourd'hui. C'est juste que j'ai l'impression que le jeu aurait pu être encore meilleur, peut-être que j'en attendais un peu trop.
Néanmoins, si vous n'êtes pas allergique à ce genre de jeux, je vous conseille vivement de découvrir l'histoire de Bigby Wolf.