Tunic
7.7
Tunic

Jeu de Andrew Shouldice, Isometricorp Games et Finji (2022PlayStation 4)

Oui.
Oui vous avez bien lu.
Oui, par ce titre, j’établis une connexion directe entre ce Tunic et Elden Ring.
Oui oui, vous ne rêvez pas : j’entends bien comparer dans ma critique ce jeu tout mignon à base de renard choupi et souriant avec l’épopée brutale et sans concession de From Software.
Ça vous choque ? Rassurez-vous, je pense que ça m’aurait aussi choqué si j’avais été confronté à pareil énoncé avant de découvrir le jeu d’Andrew Shouldice.


Parce que bon – on ne va pas se mentir – s’il y a bien un jeu auquel on aurait davantage envie d’associer spontanément ce Tunic c’est bien The Legend of Zelda plutôt qu’ Elden Ring.
Entre la tunique verte, l’épée et le bouclier et même ce choix d’action-RPG s’inscrivant dans une sorte de vraie-fausse 3D isométrique, toutes les cases du bon vieux Zelda à l’ancienne semblent cochées. D’ailleurs elles le sont bien. Et on pourrait même ajouter à cela ce rendu visuel – très coloré et auréolé d’un flou périphérique façon tilt-shift – qui pour le coup ne peut que nous évoquer la direction artistique du récent remake de Link’s Awakening sur Switch.


Alors certes, il n’est donc pas non plus absurde de voir dans ce Tunic une parenté évidente avec les aventures de Link.
Il est vrai qu'au-delà même des mécaniques d’action-RPG, on retrouve rapidement – et cela dès les premières minutes de jeu – des motifs ludiques qui apparaissent comme plus que familiers pour quiconque a déjà touché à un vieil épisode de la légendaire saga de Nintendo : un monde très ramassé et très lisible qu’on invite à fouiller de fond en comble, des coffres à ouvrir, des objets à collecter, des ennemis à neutraliser, et même déjà des dispositions intrigantes – comme des coffres isolés sur des corniches inaccessibles – qui nous amènent déjà à nous questionner sur la manière dont il nous faudra déjouer les mystères de ce Cocolint goupilesque.
Et pourtant…


Et pourtant surprise : il ne m’a vraiment pas fallu attendre longtemps pour comprendre que, malgré ses allures de « Zelda-like », ce Tunic entendait bien quelque peu bousculer les habitudes.
Première surprise – et non des moindres – c’est qu’ on est très vite mis en difficulté.
Ce n’est pas parce que l’esthétique de ce jeu est choupinette que le niveau de jeu requis l’est tout autant. On n’a pour commencer notre partie qu’un bâton tout pourri ; bâton qui n’a d’ailleurs que peu d’allonge. Du coup, pour occire les ennemis, il faut se rapprocher. Alors tant qu’il s’agit de petites larves toute molles, ça va. Mais sitôt rencontre-t-on des larves plus vénères – voire carrément des machins qui sautillent et envoient des pics – ça devient tout de suite plus compliqué. On n’est clairement pas à l’abri de se ramasser des coups et le problème c’est que notre jauge de vie baisse vite et surtout qu’elle ne se régénère pas.


Peut-on espérer que des PV tombent de temps en temps pour nous refaire ? Même pas.
En fait la seule solution qu’offre ce jeu pour nous regénérer c’est d’aller prier au pied d’une statue. Seulement voilà, de 1) des statues il n’y en a pas partout et surtout de 2) la regénérescence de nos vies regénére aussi les ennemis.
Autant dire que ça nous invite clairement à faire des choix dans notre manière de solliciter ces statues, tant les lieux qu’on visite sont infestés d’ennemis et tant il est long et fastidieux de nettoyer une zone pour enfin espérer l’explorer en paix.
Seulement voilà, d’un autre côté il faut aussi savoir prendre en considération le fait que si on meurt, on perd une partie de nos richesses qu’on abandonne alors sur place. Survient alors un respawn à la dernière statue priée et un retour à la vie de tous les ennemis. Autant dire que, dans ces conditions, on n’a pas la garantie de récupérer ce qui a été perdu !


Ah mais c’est que ça mettrait presque une pression cette façon de faire !
D’un côté on a envie de la jouer safe et de revenir souvent en arrière sitôt on se sent trop amoché, mais de l’autre on se dit qu’il faut aussi savoir avancer ; quitte à prendre des risques tout en espérant qu’une nouvelle statue de prière ne soit plus trop loin.
Roh mais quelle torture ! On se croirait vraiment dans…
…Ah bah oui. Ne faites pas les surpris : je vous l’ai annoncé dès le titre de la critique. Là voilà donc notre mécanique à la Elden Ring.


Pas convaincu ?
Avouez qu’il y a quand-même beaucoup de ressemblances : combats punitifs, points de prière qui remet tout comme à l’origine, que ce soit pour le héros comme pour les ennemis, abandon des richesses accumulées à l’endroit de la mort… Il y a même un système de potions similaires…
…Même dans l’esprit global du jeu on est finalement dans la même veine : à la base on n’est personne mais v’la-ti pas qu’on est invité à lutter contre un grand Mal afin de sauver le monde. On est guidé sans l’être, on peut contourner certaines difficultés, se questionner sur la pertinence d’affronter certains gros ennemis tout de suite…
Moi j’ai vraiment retrouvé toutes mes sensations d’ Elden Ring dans ce jeu…
…Mais en mieux.


Alors bon, OK, c’est vrai que vous allez beaucoup moins avoir la sensation d’être un übermâle alpha en allant vous attaquer à un chef de la garde rondouillard plutôt qu’en allant croiser le fer avec Margit ou Radagon ; là-dessus on est bien d’accord. En termes d’atmosphère anxiogène – et même en termes de difficulté – on n’est clairement pas dans le même genre de proposition…
Mais par contre, en termes de game design et de mécaniques ludiques, on se retrouve clairement avec la même formule
…C’est juste que cette formule m’apparait dans Tunic comme beaucoup plus efficace que dans cette du jeu de From Software.


Qu’on le sache d’ailleurs avant d’aller plus loin : je ne suis pas client d’ Elden Ring ni des jeux From Software en général.
Ce n’est pas la difficulté qui me dérange, ni même qu’un gameplay puisse se concevoir comme punitif. Ce qui me dérange dans les jeux From Software c’est la rigidité, le manque de réactivité et l’imprécision du gameplay. Et si je me doute que celles et ceux qui n’étaient pas au courant de ma position à ce sujet seront peut-être choqués que je puisse affirmer une telle chose, je leur demanderais juste – s’ils veulent réagir sur ces points – de le faire dans l’espace commentaires de ma critique d’ Elden Ring plutôt qu’ici, car à chaque page ses sujets, et ici le sujet c’est justement Tunic. ;-)
Parce que si je me permets malgré tout d’évoquer ici mon rapport conflictuel avec le jeu de From Soft’, c’est surtout pour que vous compreniez mieux ce que je perçois de pertinent dans les choix opérés par Andrew Shouldice.


L’air de rien, à chaque problème que j’ai pu rencontrer dans Elden Ring, Tunic y apporte (presque) à chaque fois une solution vraiment satisfaisante.
Notre Sans-éclat était lent à balancer ses coups ? Notre goupil lui frappe plus vite que l’éclair.
Le lock était perfectible et nous faisait régulièrement taper à côté quand on joutait du côté de Caelid ou de Raya Lucaria ? Dans Tunic le lock ne nous déçoit jamais. Il n’est jamais pris au dépourvu quand les cibles se multiplient. Il est très réactif. Et les rares moments où il peut éventuellement nous agacer ce n’est que lorsque plusieurs cibles se révèlent assez éloignées de nous.
Et la caméra ? On en parle de la caméra ? Parce que l’air de rien c’est aussi l’un des vrais grands apports de cette vraie-fausse 3D isométrique ! Avec une caméra fixe, le joueur n’a plus à en gérer les cadres et peut dès lors davantage se concentrer sur ses actions ; actions qui sont d’autant plus claires et précises que l’aire de jeu est stable et toujours suffisamment large pour permettre des déplacements rapides et amples.
Alors après, certes, la proposition de gameplay n’est pas non plus totalement irréprochable (la gestion de la course est notamment le gros point noir de ce jeu, notamment lors des combats de boss), il n’empêche que, dans son ensemble, elle apporte ce qu’il faut en termes de fiabilité afin qu’on puisse accepter de challenger la difficulté qu’il propose.


A bien y réfléchir, ce serait peut-être même d’ailleurs sur la question de la difficulté que la comparaison se révèlerait surement la plus instructive.
Car si on prend bien la peine de tout poser, la difficulté du jeu de From Software ne reposait pas seulement sur les errances du gameplay et le manque de permissivité de ses combats. Il reposait aussi clairement sur sa propension au crypticisme.
Dans Elden Ring on n’explique rien ou peu de choses. On n’explique pas les classes. On n’explique pas les menus. On n’explique pas les objets. On n’explique pas les sorts. On n’explique d’ailleurs même pas où il conviendrait au mieux d’aller… C’est au joueur de deviner, de tout expérimenter, et de se faire sa connaissance des mécaniques du jeu par lui-même…
Alors certes, le procédé n’est pas totalement dénué d’intérêt. Mais quand on n’a vraiment très peu de culture en termes de RPG et surtout qu’on n’a pas des centaines d’heures à perdre par rapport à ça, ce crypticisme d’ Elden Ring on a très vite envie de le foutre au cul de ce cher Hidetaka Miyazaki.


Or sur ce point-là je trouve que Tunic a su trouver une formule plus subtile.
Pourtant il est certes vrai que Tunic pourra apparaitre au premier abord comme fort dirigiste, et à raison.
Bien que peu bavard (et c’est un euphémisme !) Tunic utilise les bonnes vieilles ficelles de level design pour nous baliser le sentier.
A peine notre partie commence-t-elle qu’une seule direction nous est imposée. On se réveille sur la plage. Le seul chemin se trouve le long d’un promontoire qui s’engage dans les terres. Au bout du sentier a été laissée une porte ostensiblement ornée d’un objet accueillant qui nous invite implicitement à rentrer (ici une boîte-à-lettres). On franchit la porte. On trouve un coffre. On s’en approche. Un bouton « X » apparait à l’écran. On appuie. Le coffre s’ouvre. Obtention du premier objet : le bâton. Rapide, clair et efficace… Crypticisme zéro…
Oui mais sauf que…


…Sauf que, pour ma part, une fois le bâton acquis que je n’ai pas vu mon personnage l’avoir en main.
« Arf… C’est sûrement qu’il doit falloir l’équiper » me suis-je alors dit en joueur sensibilisé aux mécaniques de RPG que je suis… Mais comment faire ? J’appuie sur « Options » pour voir s’il existe un onglet du menu où les touches sont indiquées, mais rien. Ah bah bravo…
Pas grave : je ne me décourage pas et je touche à tout pour voir ce qui peut bien fonctionner. Pif-paf-pouf. Un inventaire finit par apparaitre sur un côté de l’écran avec mon bâton de représenté dedans. De l’autre côté trois touches de la manette sont représentées. OK, j’ai vite fini par comprendre le principe d’assignation. Ce n’était certes pas la mort en soi, mais je me souviens m’être dit que ce jeu avait quand-même sacrément confiance en l’esprit d’initiative de ses joueurs et surtout en leur connaissance des codes usuels parce que ça aurait clairement pu paraître comme un manquement de pédagogie. Après tout ça ne coûtait rien d’expliciter davantage les choses…
… Saut qu’en fait si.


Dix minutes et une première chasse à la clef plus tard, voilà que je tombe sur un item qui se révèle être… Une page de manuel d’instruction.
C’était la page 10 représentant notre petit renard en train de chercher les solutions à ses besoins au sein du livret d'instruction. Un peu plus tard, c'est la page 12 sur laquelle on tombe ; page qui nous donne l'attribution de chaque bouton. J’ai souri en trouvant ça malin.
Malin de laisser le temps aux joueurs d’expérimenter et de chercher par eux-mêmes PUIS de leur mettre la solution sous le nez afin qu’ils puissent confirmer et compléter leurs déductions…
Malin aussi parce que, l'air de rien, en procédant ainsi, ce jeu nous reconnectait à une approche ancienne des jeux-vidéo qu'on a perdu aujourd'hui et qui avait aussi son charme : lire d'abord avant de jouer, puis jouer en se rendant compte qu'on a mal retenu ce qu'on a lu, puis aller relire et redécouvrir la richesse de la notice, puis aller rejouer et redécouvrir la richesse du jeu... Ah ça oui, c'est vraiment malin...
…Mais à ce moment-là je n’avais pas encore compris que ce que je pensais être malin - voire doublement malin - était en fait juste génial.


Parce que l’air de rien, en procédant ainsi, Tunic commence à poser la première pierre de son véritable édifice ludique.
Oui, le jeu peut expliquer – et la plupart du temps il va expliquer – mais comme il délivre ses instructions au compte-goutte, tardivement et souvent de manière parcellaire (car la plupart des pages du manuel sont en fait des doubles-pages qu’on ne récupère que par moitié ; lesquelles étant en plus de ça écrites en langues runiques indéchiffrables), le jeu d’Andrew Shouldice appelle clairement et régulièrement le spectateur à anticiper ce qu’on ne lui a pas encore dit. Il l’invite à combler par lui-même les trous. A déduire à sa façon les manques…
Contrairement à Elden Ring, Tunic n’est pas un vaste bloc opaque qu’on finit par clarifier à force de l’éprouver. Non. Tunic est même tout l’inverse.
D’un jeu clair et aux mécaniques classiques, il va progressivement nous faire basculer vers « un jeu derrière le jeu » ; un jeu auquel on ne peut jouer que si on parvient à se familiariser avec l’univers de Tunic.


Et c’est là que, l’air de rien, cette direction artistique à base de petits renards tout choupis n’en devient que plus pertinente.
Afficher un monde aussi simple, accueillant et proche des codes archi-connus d’un Zelda, c’est finalement le meilleur moyen d’inviter le joueur à aborder Tunic avec confiance, et cela dans le seul et manifeste but de mieux nous amener à nous déjuger par la suite, comme un Morpheus invitant Neo à voir et questionner la matrice.
Depuis le départ Tunic dispose en fait d’un autre jeu derrière le jeu. Un jeu qui est pourtant là depuis le départ – accessible d’entrée – mais qu’on n’a pas su voir parce qu’on n’a pas pris la peine de bien regarder.


Moi par exemple je me souviens encore du moment où je suis parvenu à déduire le fonctionnement des dalles jaunes conduisant au monde des morts.
A aucun moment la notice ne me dit qu’en maintenant trois secondes « X » la dalle allait s’activer. Seulement parce que j’ai fini par comprendre que tout ce petit monde fait système et qu’une autre page m’a appris que les obélisques s’activaient en maintenant « X » pendant trois secondes, j’ai eu idée d’expérimenter la chose sur ces foutues dalles.
En soi ce n’était pas si difficile à comprendre, mais c’est néanmoins quelque chose qu’on parvient à découvrir sans que le jeu nous l’explique – en plus quelque chose qui est vraiment essentiel dans le jeu ! – et ça, moi, je l'ai vraiment vécu comme si je venais de cracker le code quand j’ai découvert ça ! Une vraie belle source de jouissance ce genre de moment…


Ce jeu derrière le jeu – ce crypticisme qu’on nous invite à déjouer par déduction – c’est vraiment la grosse force de ce Tunic
…Et pourtant – ô paradoxe – c'est aussi ma plus grande source de frustration.


Ah ça ! Mais quelle idée géniale ! …Et quel dommage qu’au final elle laisse un tel goût d’inachevé.
Parce qu’en effet, autant je trouve l’idée finale brillante – tout comme la manière de l’amener – autant je trouve malgré tout que la façon de l’appliquer et de l’explorer est très mal ficelée.
C’est terrible mais, en ce qui me concerne, ça a vraiment tenu à une question de progressivité et de dosage dans la manière de lâcher le joueur face au dernier grand challenge proposé, mais aussi à de mauvais choix opérés dans les mécaniques mobilisées.


Pourtant, au moment d’aborder la dernière ligne droite, tout avait été mené pour le mieux.


Une fois les lauriers obtenus qu’on peut enfin avoir accès aux pages du manuel d’instruction qui nous parlent des pouvoirs de la Sainte croix. Cette Sainte croix, on nous explique concrètement comment elle fonctionne et on nous montre en photos les trois portes sur lesquelles elle fonctionne. C’est une occasion qui nous est donnée de tester et de comprendre cette nouvelle mécanique afin qu’on puisse ensuite la mobiliser convenablement et cela dans l’espoir que, par la suite, on sache avoir les bons réflexes qui s’imposent quand viendra le moment de tomber sur les mêmes symboles directionnels.
Pour ma part – et je pense que c’était ce qui était voulu – il ne m’a pas fallu longtemps pour que je pense à la grande porte derrière la petite maison. Je m’y rends. J’y trouve une porte aux symboles manifestement similaires. Je reproduis la combinaison de la Sainte Croix. Ça ne marche pas. Je retente. Nouvel échec. Puis soudain j’ai l’illumination. Je constate que le symbole présent n’est pas exactement le même que celui du manuel. En fait les directions du trait semblent indiquer l’ordre de la séquence à accomplir à la croix multidirectionnelle. Je vérifie mon intuition. Bingo : la porte s’ouvre.
Une fois de plus, la mécanique de Tunic a su fonctionner du tonnerre : d’abord on transmet une logique, puis on espère que le joueur comprenne par lui-même que tout ce petit monde fait système et qu’une cohérence est à déduire. Ensuite on teste jusqu'à ce qu'on trouve. Sur ce point : pas de problème. La réussite est totale…



Seulement voilà, sitôt a-t-il été question d’enchainer que des choix plus que discutables sont venus enrayer cette belle mécanique.
Les idées deviennent obscures.


Il faut repérer des lignes dans le décor – parfois loin d’être lisibles –et les considérer comme des indicateurs pour l’usage de la Sainte-Croix.


Leur application se révèle parfois inutilement fastidieuse.


Je pense notamment à ces morceaux de stèle brisée qu’il faut être capable de retrouver, reproduire sur une feuille, reconstituer, pour ensuite accomplir la séquence qu’elle donne au bon endroit.


…Et parfois – pire encore – certaines applications induisent des règles implicites qu’il est parfois impossible à identifier.


…Comme c’est le cas par exemple des moments où il convient de reproduire une séquence d’ inputs PLUS RAPIDEMENT que la vitesse à laquelle celle-ci nous a été donnée !
…Mais comment j’étais censé savoir ça ?!


Au regard de la limpidité de tout ce qui a précédé, ce type d’erreur, pour moi, cela relève clairement de la faute.


Perso, je ne vois d’ailleurs pas comment on peut finir Tunic sans tricher. Et ça, franchement, ça me fait rager.
Aller zieuter une soluce, pour moi c’est vraiment un aveu d’échec. Et si parfois la responsabilité de l’échec peut me revenir – et cela je le concède sans sourciller – là j’estime clairement que l’échec revient au jeu.
Il y a des énigmes que j’avais comprises mais que je n’ai su résoudre à cause de critères absurdes. Il y en a d’autres par contre sur lesquels je suis resté bloqué comme un con – et à raison – parce qu’il me manquait un objet-clef dont j’ignorais jusqu’à l’existence.
Lire la soluce a été pour moi une accumulation de soupirs d’exaspération. Certaines énigmes nécessitaient clairement trop de facteurs et de bonnes intuitions pour être décryptées et accomplies par le commun des mortels.


Je pense notamment à cette énigme où il faut ralentir le temps pour lire une ligne contre une paroi. Non seulement il faut trouver la grotte en question (ce qui n’a pas été mon cas), détenir l’objet indispensable à la résolution de cette quête (ce qui n’a pas été mon cas), puis avoir l’idée de retourner dans cette grotte en se disant : « Eeeeh mais dites donc ! Ces reflets d’eau qui se projettent sur les parois, est-ce que ça ne serait pas, par hasard, une ligne appelant à une séquence exécutable à la Sainte-Croix ? »
Franchement, si quelqu’un parmi mes lecteurs a résolu cette énigme tout seul, je veux bien qu’il se manifeste et qu’il m’explique comment il a fait.



Alors on pourrait me rétorquer que certaines de ces énigmes sont facultatives et qu’elles ne récompensent que celles et ceux qui ont vraiment pris la peine de retourner le jeu. Et sur ce point je serais d’accord.
Après tout le jeu donne bien à un moment donné les moyens de traduire les runes. Or, pour peu qu’on ait beaucoup de temps à consacrer à ça, c’est vrai que ça peut être effectivement gratifiant que d’être récompensé par davantage de lore. Pourquoi pas…


Bon par contre, là encore, je pense sincèrement qu'une difficulté supplémentaire est rajoutée quand on n'est pas anglophone, vu que la langue runique reproduit de l'anglais phonétique. Bref – et encore une fois – sans aide et sans une année sabbatique consacrée au jeu, je ne vois pas comment on peut espérer comprendre la logique de cet alphabet ni en décrypter tout le livret.


Le problème, c’est que tout n'est pas facultatif parmi ces mystères cachés. Or l’énigme finale – indispensable pour débloquer la vraie fin – cumule justement toutes les tares que je viens d’évoquer.


Qu’on comprenne que la grille numérotée soit associée à l'ouverture de la grande porte des montagnes et que les numéros qui figurent sur cette grille renvoient aux pages du manuel, ça encore je veux bien. En ce qui me concerne, ça faisait partie des hypothèses que j’avais soulevées…
Qu’il faille ensuite chercher un élément de séquence à accomplir à la Sainte-Croix dans chacune des pages, ça aussi, dans l’idée, je peux encore l’accepter… Mais dans la pratique comment imaginer un seul instant qu’on puisse identifier TOUS les éléments de séquence !?
…Parce qu’en plus il faudrait déjà savoir que ce qu’on cherche sur les pages ce sont des éléments de séquences ! Si encore tous ces éléments étaient représentés sous la même forme – c’est-à-dire un trait doré – j’aurais encore pu être interpellé par ces éléments. J’aurais pu me dire que ces symboles allaient certainement servir à quelque chose à un moment donné. Mieux que ça : j’aurais pu faire le lien avec le fameux « itinéraire doré »… Mais là…
Là c’est juste PUTAIN d’impossible !


La première page d’où par l’itinéraire doré, c’est la page 12.
Voici un lien vers la fameuse page : https://tunic.wiki/uploads/images/gallery/2022-03/image-1648000052877.png
Alors moi j’ai envie de vous dire : allez-y, jouez le jeu ! Trouvez-moi une séquence de traits qui compose le segment de combinaison de la case !
Qu’est-ce que ça peut bien être ? …Vous séchez ?
Attention réponse : la séquence est celle qui est inscrite dans le petit carré doré.
C’est-à-dire que pour saisir l’élément de réponse à l’énigme qui est présent dans cette page, il est indispensable :
1) d’avoir compris que, sur la page d’énigme finale, chaque numéro de la grille renvoyait à une page du manuel ;
2) de savoir qu’il fallait chercher sur cette page un élément de séquence sous forme de trait ;
3) d’avoir saisi que la séquence était indiquée par le carré doré ;
4) et enfin que je comprenne que le carré doré me désignait les deux traits brisés présents en son sein.
Or, je tiens à préciser que la grille comporte 25 cases ; que sur les 25 pages le segment n’est pas désigné de la même manière sur chacune d’entre elle et que donc – sur cette putain de page 12 qui est la première que j’ai pour ma part consultée – le segment n’est même pas représenté en doré !


A partir de là moi je pose juste une question : quel est le seul moyen dont dispose le joueur pour vérifier si ses intuitions sont justes ? …Eh bah il faut qu’il teste et espère qu’il ait tout juste du premier coup ! …Parce que sinon il ne pourra pas savoir sur quoi il a eu tort !
Bah oui ! Parce que quand bien même le joueur aurait-il eu la bonne idée de comprendre les histoires de pages, de lignes dorées, puis de séquence à reproduire, pour peu qu’il se soit planté dans l’interprétation de la page 12 (ou de la page 9 qui est aussi bien gratinée, à base de recharge de sauvegarde tout de même !) , ou bien pour peu qu’il se soit planté dans la reproduction d’un seul des CENT virages de la séquence – voire même qu’il ait mal appuyé une direction au moment de faire sa combinaison à la Sainte-Croix ! – la seule réponse qu’il aura c’est : ERREUR.
Erreur où ? Qu’est-ce qui est faux ? Qu’est-ce qui est juste ? Il y a BEEEEAUCOUP trop d’inconnus dans cette énigme pour qu’on puisse espérer la résoudre sans y passer sa vie…
(…ou sans tricher comme moi. ^^)


C’est juste CON.


Et je l’avoue : j’en veux un peu à Andrew Shouldice pour ça.
Je lui en veux parce qu’autant il a su mobiliser et réagencer habilement les codes de Link’s Awakening et d’ Elden Ring – au point d’aller jusqu’à une alternative qui questionne positivement les formules proposées par ses modèles – autant il n’a pas su faire de même pour ces deux autres sources d’inspiration évidentes que sont Fez et The Witness.
Alors certes, je n’irais pas jusqu’à dire que ce Tunic est allé jusqu’à reproduire à l’identique les défauts de ses ainés…


Le simple fait d’avoir relégué la composition des séquences à la seule croix directionnelle – laquelle n’est pas utilisée par toutes les autres fonctions du jeu – ça c’est déjà un vrai avantage par rapport à Fez.


…Par contre je ne peux m’empêcher d’y trouver le même péché d’orgueil.


Et là je pense clairement à la propension qu’ont eu The Witness, Fez – et donc aussi ce Tunic – à se lancer dans une course absurde avec des énigmes de plus en plus longues, complexes et obscures.


…Et c’est con parce que, à mes yeux, ça a conduit ce Tunic à passer à côté de quelque chose de véritablement énorme.


Parce que l’air de rien, ce jeu est une incroyable démarche d’artiste. Et si je parle de démarche d’artiste c’est parce que ce jeu est clairement une œuvre qui appelle à éduquer le regard.
Comme j’ai pu le souligner un peu plus haut, l’esthétique de ce jeu n’a vraiment rien d’anodine. Couvert de la tunique de Link, on aurait été en droit de ne voir dans ce titre qu’un banal décalque de Zelda. Seulement voilà, sous la tunique se trouve justement un animal bien malin. Un renard.
Plus l’intrigue avance et plus notre regard est éduqué ; les ennemis ne sont pas forcément ceux que l’on croit, les merveilles du monde ne sont pas forcément si merveilleuses, et les solutions qui s’imposent à nous ne sont pas forcément les bonnes.
Le souci c’est que je trouve que l’idée qu’initie la fin aurait mérité d’imprégner davantage tout le jeu.


Parce qu’en effet, avec cette double-fin, on induit l’idée que le combat et l’annihilation de l’ennemi ne sont pas nécessairement la solution et qu’au contraire elle serait même l’entretien du problème. Aussi, celui qui a privilégié l’exploration et la compréhension plutôt que la force dispose d’une chance de briser le cycle… Et de s’épargner le dernier combat.
Cette idée-là, c’est de l’or.
Cette idée-là, elle aurait gagné à imprégner vraiment davantage tout le jeu !
Moi par exemple, j’avais réussi à esquiver le combat contre le chef de la garde dans la forêt de l’Est en le contournant discrètement afin d’aller ouvrir la porte dans son dos ! Ça avait été lent et tordu, mais j’y étais parvenu !
(Bon, par contre, une fois arrivée à la grande cloche, je me suis rendu compte que la taper au bâton ne servait à rien et qu'il me fallait sûrement trouver l'épée malgré tout. Ce que j'ai fait, et ce dont le chef de la garde se souvient ! ^^)
Si ce type de mécaniques avait été davantage présentes, j’aurais trouvé le jeu remarquablement habile et profond.


…Et si d'un côté je ne dis pas qu’il aurait fallu que, dans tout le jeu, une solution non-violente aurait du être envisageable, de l'autre je pense néanmoins que s’il avait davantage pensé à explorer des alternatives, ce Tunic serait allé encore plus loin…
…Et surtout s’il avait rendu son énigme de fin plus accessible, il aurait clairement touché les cieux !


Bref, c’est tout con, mais ce qui a manqué à ce Tunic pour être un chef d’œuvre à mes yeux, c’est clairement une question de progressivité et de dosage.
Malgré tout, il ne faudrait pas non plus que mes chipotages critiques vous dupent quand à la réalité de ma pensée sur ce titre.
J’ai aimé Tunic. Beaucoup.
Je l’ai trouvé efficace, percutant, et surtout disposant d’un véritable sens du geste précis, du moins si on laisse de côté son final tarabiscoté.
Pas de collectionnite ni d’arbre à compétences à compléter. Pas de parpaing de lore ou de bavardages abscons. Juste du jeu, et des idées de jeu…
…Et moi, ça, c’est justement ce que je veux.
Pas les plâtrées lourdasses de From Soft' et autres Ubi.
Du jeu, du vrai, moi ça me suffit.

Critique lue 1.1K fois

12
8

D'autres avis sur Tunic

Tunic
jujub
4

Death's door wins !

Jeu désinstallé après 8 heures à essayer de l'aimer car j'étais attiré par les références à Zelda 3.-La direction artistique semblait cool mais s'avère redondante. Toujours les mêmes modèles avec...

le 7 oct. 2022

14 j'aime

3

Tunic
Dfez
10

Non, ce jeu n'est pas zelda x dark souls (petite review du "vrai" jeu sans spoil)

Lorsqu'on cherche des informations sur Tunic, on tombe trop souvent sur des descriptions journalistiques douteuses à base de "le zelda-souls indé !". Autrement il ne reste que des spoil, qu'il faut...

Par

le 27 juil. 2023

12 j'aime

2

Tunic
lhomme-grenouille
8

Dans ta rondelle, Elden !

Oui. Oui vous avez bien lu. Oui, par ce titre, j’établis une connexion directe entre ce Tunic et Elden Ring. Oui oui, vous ne rêvez pas : j’entends bien comparer dans ma critique ce jeu tout mignon à...

le 20 nov. 2022

12 j'aime

8

Du même critique

Tenet
lhomme-grenouille
4

L’histoire de l’homme qui avançait en reculant

Il y a quelques semaines de cela je revoyais « Inception » et j’écrivais ceci : « A bien tout prendre, pour moi, il n’y a qu’un seul vrai problème à cet « Inception » (mais de taille) : c’est la...

le 27 août 2020

238 j'aime

80

Ad Astra
lhomme-grenouille
5

Fade Astra

Et en voilà un de plus. Un auteur supplémentaire qui se risque à explorer l’espace… L’air de rien, en se lançant sur cette voie, James Gray se glisse dans le sillage de grands noms du cinéma tels que...

le 20 sept. 2019

207 j'aime

13

Avatar - La Voie de l'eau
lhomme-grenouille
2

Dans l'océan, personne ne vous entendra bâiller...

Avatar premier du nom c'était il y a treize ans et c'était... passable. On nous l'avait vendu comme l'événement cinématographique, la révolution technique, la renaissance du cinéma en 3D relief, mais...

le 14 déc. 2022

161 j'aime

122