Ça fait un certain temps déjà que je ne prends plus le temps d’écrire sur Senscritique. Toutefois il m’est apparu presque essentiel de laisser un modeste avis sur la question de Tunic. Laisser un avis car, comme beaucoup, j’ai été subjugué, ravi par la proposition d’un jeu qui ne payait pas de mine.
C’est d’ailleurs ce qui m’engage le plus ici. Surpris, retourné dans tout les sens, abasourdi même par les applaudissements successifs accordés au ludique. J’ai été conquis par ce que je considère probablement comme le meilleur jeu vidéo sorti depuis Outer Wilds (rien que ça, et encore de l’indé tiens). Tunic est un jeu indépendant conçu et développé par un canadien ô combien talentueux nommé Andrew Shouldice. Le premier réflexe sera d’y voir un élégant hommage au Zelda de l’ancien temps , A Link to the Past en première loge. L’ensemble accompagné d’un visuel en isométrique aux couleurs chatoyantes et aux contours floutés qui ne seront pas sans évoquer le remake récent de Link’s awakenning…
Une épée, un bouclier , une tunique verte….
Donc pourquoi pas. Je savais avant d’entamer le titre qu’il avait été salué et chaudement recommandé. Pour son visuel et ses mécaniques. Et les mécaniques pourtant elles ne sont pas, mais alors pas du tout engageantes. Exit le tuto, le menu et les textes sont indéchiffrables, on s’en prend vite plein les dents, la vie ne se régénère pas, les roulades, les statues feu de camp…. Ho non, ho non pas ça.
Je me suis bien entendu douté qu’il y avait anguille sous roche mais j’imaginais déjà un clone pervers en isométrique d’un souls-like quelconque avec tout ce que je peux détester dans les mauvaises propositions de ce style de jeu. Même si, roulement de tambour, Tunic effectue avec brio l’incorporation de ses mécaniques de Souls-like au cours de notre aventure, le tout accompagné d’un gameplay et d’un game-design suffisamment clair et précis pour ne pas être éreintant.
Mais au début de l’aventure…. Ça fout les jetons. Et le crypticisme est de mise. Tu croyais jouer à Zelda ? Haha NON. Vas-y démerdes toi.
Alors oui, je peux certes toujours me reposer sur l’immersion systémique que procure avec fracas le contact avec le jeu vidéo. Cette sensation si agréable que l’on a, lorsque l’on joue régulièrement, d’être imprégné naturellement par les mécaniques de jeux. Ici ça fonctionne très bien, si bien...que c’est là que Tunic nous emmène.
Vers l’appréciation sans tâche de l’immersion systémique. Ha ça je l’ai pas venu venir.
J’ai pris une première droite, assez vite, à la découverte de la première page du fameux « manuel de jeu ». Certes tout va reposer sur les épaules de ce manuel, mais il s’agit probablement du meilleur outil ludique du jeu. Et c’est pas pour rien, il a été pendant longtemps la seule aide à disposition du joueur consommateur avant l’intervention d’internet (et même un peu après!). Les pages de ce manuel sont éparpillées dans le jeu et servent littéralement de verrous de progression. Et là ou j’ai cru n’y voir qu’un simple concept qui sera inévitablement répété ad nauseam jusqu’à la fin, le jeu a su m’apporter une deuxième droite en construisant avec brio l’ensemble de son architecture ; de son game-design et world-design, par la lecture et le déchiffrement de ce carnet de jeu. La progression s’y fait naturellement.
Carnet qui évoque fortement A Link to the Past, quoi de plus élégant ici franchement ? La prise à contre-pied est sublime et le dit manuel n’encourage dès lors plus que toute la manifestation des procédés d’immersion systémique. Il y a plusieurs couches de game-design , et c’est presque naturellement qu’elles viendront se manifester ,à l’égard des difficultés rencontrés, des chemins parcourus et des raccourcis débloqués. Dès lors le crypticisme s’efface, chaque page apportant son lot de réponses et d’informations, sur le gameplay, les éléments de jeux intra comme extra-diégétiques, le lore, les secrets ….
Jusqu’à la fin du jeu, et jusqu’à la troisième baffe, la surcouche, le jeu dans le jeu, le nappage au chocolat, le petit coup de rein de Jonathan Blow…. Cet itinéraire doré.
Beaucoup y trouveront une limite. Parce que Tunic va au bout de son concept, jusqu’au-boutiste dans sa proposition ,il ne déroge pas à l’usage des grands jeux. Celui de sortir la feuille de papier et le crayon. Une dernière énigme à résoudre, une proposition intrusive, la manifestation du génie s’opère avec grand fracas.
Je l’avoue, aveu d’échec de ma part, il m’a bien fallu lorgner les soluces du jeu pour trois des énigmes de Tunic et je ne pense pas être le seul, loin de là. La frustration et l’énervement peuvent susciter une certaine colère. A raison sans doute. Elle est la même que celle de The Witness, celle de proposer toute la progression relative à l’architecture de son monde, quoiqu’il advienne. Sans concession pour le joueur, qu’il soit suffisamment acharné/malin/Rain Man pour cela…. Difficile de ne pas se sentir ici exclu par le jeu qui à cette ultime nappage tend vers un élitisme parfois fort incommodant….
Cela ne change toutefois pas mon avis envers l’idée fondamentale de Tunic. Celle de pousser, plus loin, plus fort le rapport entre le joueur et les règles du jeu et de proposer avec panache une véritable proposition ludique. Savamment exécuté, en grande partie fruit d’un homme, Tunic est ce qui est arrivé de mieux au média depuis le crépitement délicieux d’un feu de camp à l’aube d’une nouvelle journée de 22 minutes. J’ai aimé Tunic, beaucoup, car il est l’un des jeux qui vont me donner encore une fois une raison d’être fier du jeu vidéo, d’être fier de m’y intéresser, de m’y consacrer, d’être fier de le défendre et de le considérer plus, bien plus qu’une sous-culture ou divertissement de bas étage, comme le font nombreux de nos pisse-vinaigres contemporains. Et pour cela merci Andrew Shouldice.