Show, don't tell

Avançons qu’il est difficile de s’immerger dans un jeu sans dialogues, sans aucun personnage présent à l’écran, sans règles. Avançons également qu’il peut paraître rebutant de consentir à échanger quelques heures de notre précieux temps contre une plongée dans des souvenirs hautement intimes qui ne sont ni les nôtres, ni ceux de nos proches, mais ceux d’une personne inconnue.

Avez-vous déjà fouillé dans les cartons de votre grenier pour y retrouver quelque chose, et redécouvert, au hasard, d’autres objets oubliés mais pas disparus ?

Unpacking propose, à sa manière, une expérience similaire.

Le principe du jeu est simple : sur un fond de musique douce, nous défaisons des cartons de déménagement, et rangeons les affaires qui se trouvent à l’intérieur dans un nouveau lieu de vie, et ce plusieurs fois d’affilée, dans différents appartements ou maisons. Nous accomplissons cette tâche en incarnant toujours un même personnage. C’est ici qu’intervient la magie.

De son adolescence à son entrée dans l’âge adulte, nous suivons les déménagements du personnage et ses rencontres, sans jamais apercevoir âme qui vive. Nous retrouvons, au fil des déménagements, des pots à crayons, des gommes, des posters, et des accessoires divers. Nous cherchons une place confortable pour cette peluche, une place pour cette chaise afin qu’elle ne nous gêne pas. Nous nous insérons dans un habitat, avec nos possessions et parfois parmi celles des autres, et ce faisant, nous tissons nous-même une narration, une histoire pour chaque objet, nous mobilisons des souvenirs qui ne sont pas les nôtres. Ici réside toute la force d’Unpacking.

Je me dois de préciser que j’approche le jeu en tant qu’homme gay, blanc, et bientôt trentenaire : cette considération peut paraître totalement superflue, mais elle est selon moi incontournable dans la mesure où Unpacking, par les objets qu’il nous intime d’ordonner et par la période dans laquelle il s’inscrit (quelque part entre la fin des années 90 jusqu’au début des années 2010) trouve le génie de sa narration non dans ce qu’il nous dit – très peu, en réalité – mais dans ce qu’il nous suggère, les références auxquelles il fait appel, et plus encore : dans les souvenirs dans lesquels ils nous projette. C’est peut-être la seule limite, la critique principale que l’on peut formuler à l’encontre d’Unpacking : le jeu s’adresse à un public susceptible d’être touché, ému par les souvenirs et références culturelles de cette période spécifique.

Certes, en rangeant les possessions de notre personnage, nous dévoilons peu à peu la vie de celui-ci. Toutefois, en tournant dans tous les sens un Rubik’s Cube, ou en rangeant dans la bibliothèque les trois gros tomes de cette série de romans fantasy, ou encore en retrouvant cette vieille console de jeu et en la cachant sous un oreiller, nous faisons surtout appel à des souvenirs personnels, intimes, étrangement déconnectés du jeu lui-même, mais inscrits dans la nostalgie bizarre de cette période ni tout à fait lointaine, ni si proche de nous dans le temps désormais.

Unpacking est, en fin de compte, un jeu étrange, une drôle d’expérience dont on ressort un peu meurtri. Cela ne constitue en rien un défaut. Il nous faut embrasser la mélancolie dans laquelle nous pousse le jeu, pour l’apprécier pleinement.