Une fois encore après The Council, le mélange entre RPG, jeux narratifs et Point and Click s’avère infructueux et parfois même contre-productif ; les énigmes inutilement farfelues empiètent sur le rythme et la fluidité du récit, les dialogues bloqués par des compétences malmènent la mise en place de véritables choix moraux dans l’intrigue et la rigidité associée aux expériences narratives est vite redondante dans le cadre d’une histoire centrée sur les vampires et leur redoutable agilité de prédateurs nocturnes. Et c’est bien dommage car une fois encore après The Council, le jeu fourmille de propositions intéressantes en matière d’univers, de personnages et même d’arborescence narrative ; Swansong s’efforce de mettre en place un système de jeu cohérent avec les fondamentaux de la Mascarade et de manière globale, cette nouvelle plongée dans l’univers crépusculaire des séducteurs damnés n’oublie jamais de mettre en évidence l’importance de dissimuler ses traces ; toute l’intrigue étant par ailleurs basée sur une vaste conspiration à l’encontre des vampires et s’amusant même à présenter les créatures de l’ombre comme des victimes face à des humains redoublant de fourberie et de cruauté pour lutter contre leur ennemi tapi dans les ténèbres. S’il y a une chose qu’il faut bien concéder à l’égard de la démarche de Big Bad Wolf, en comparaison de la formule éculée des TellTale, c’est bien d’encourager beaucoup plus vivement l’exploration de ces décors en proposant une multitude de dialogues annexes, de secrets inattendus et même de scènes optionnelles selon la patience du joueur à vérifier méticuleusement chaque recoin des environnements visités en quête d’indices. Vous n’êtes pas loin d’incarner un détective de la nuit et Swansong aurait sans doute gagné à mettre cette composante encore davantage en évidence ; en comparaison des autres jeux narratifs réputés pour leur accessibilité parfois outrancière, cette nouvelle proposition ne prend clairement pas le joueur par la main et il ne faudra pas s’étonner d’être bloqué par un puzzle particulièrement retors ou une situation impossible à désamorcer à première vue. Une démarche louable, d’autant que l’enrobage n’est pas d’une facture aussi médiocre que le jeu le laisse craindre au premier abord.
Si le titre prête un peu à sourire au commencement de l’aventure entre sa mise en scène cahoteuse, son mixage sonore dans les chaussettes et son chara design parfois douteux, Swansong propose également des décors très soignés et de nombreuses trouvailles visuelles inattendues, même lorsqu’on pense que le jeu a déjà exploité toutes ses cartouches en la matière, d’autant que ce jeu narratif-RPG-on-ne-sait-plus-trop fait également preuve d’un bel effort de variété dans ses environnements, de façon à illustrer le plus possible les nombreux clans et autres imaginaires sordides associés à l’univers de la Mascarade. Malheureusement, lorsque l’immersion semble enfin prendre forme, il n’est pas rare que l’implication du joueur soit malmenée par une maladresse de conception ; certains chapitres sont certes très réussis mais d’autres peinent à ne pas provoquer un sentiment de frustration face à leur structure alambiquée ou une pirouette maladroite du récit.
Je suis plutôt partisan d’ordinaire de saluer l’audace créative d’un studio, même si cette dernière s’avère teintée de maladresse, plutôt que se complaire dans une paresse ou un pilotage automatique comme bon nombre de jeux narratifs de la dernière décennie ; néanmoins, dans le cas présent, je me demande si Big Bad Wolf ne devrait pas revoir le scope de leurs jeux à la baisse car pour la deuxième fois, leurs bonnes intentions se retrouvent noyées dans un trop plein d’ambitions : à commencer par l’attribution bien trop hasardeuse des compétences qui transforment les joutes verbales récurrentes dans le récit en un jeu de hasard où l’aléatoire prédomine davantage que la réflexion du joueur ; je comprends l’initiative de vouloir retranscrire les fiches de personnages héritées du jeu de rôle papier mais trop d’options se révèlent fermées au joueur dans le cas présent là où un Immersive Sim et un véritable RPG proposeraient une structure de jeu assez ouverte pour accueillir différents profils du joueur dans leur espace interactif. Enfin, l’intrigue s’avère également assez boulimique en nous proposant d’incarner trois protagonistes œuvrant parallèlement pour préserver la Mascarade et parfois les intérêts du Prince de Boston ; une initiative qui semble surtout vouloir embrasser le plus possible les différents clans proposés par le jeu de rôle papier mais malheureusement, Swansong peine à proposer une structure vraiment interconnectée entre ses multiples anti-héros, bien loin des intrigues entremêlées d’un Detroit Become Human, de telle sorte que ses intrigues parallèles sont parfois vécues comme une distraction en attendant la reprise réelle des évènements : l’écriture n’est en effet pas assez finaude pour conférer un véritable intérêt distinct à ses trois vampires qui n’agissent jamais réellement les uns sur les autres, pas plus que l’enrobage sonore et visuel ne fluctue vraiment selon le personnage incarné (hormis quelques ruptures de ton bienvenues pour la Malkavian) et hormis Galeb, archétype ténébreux (mais efficace) du vampire intimidant, je ne bondissais pas vraiment d’enthousiasme à l’idée de contrôler les autres membres de la Camarilla, même si en toute honnêteté, Leysha est probablement le personnage qui gagne le plus en ambiguïté (et parfois en empathie) au fil du récit.
Néanmoins, malgré tous ces écueils, je ne peux nier avoir apprécié cette nouvelle plongée dans l’univers trop peu exploité de la Mascarade ; même si en définitive, Swansong n’accomplit aucune fulgurance de ses aînés : sa structure RPG est bien trop faillible en comparaison des mécaniques RolePlay de Bloodlines (malgré les nombreuses tares de ce dernier) et son écriture ne peut rivaliser avec les tourments identitaires de Shadow Of New York ; quant à son aspect Point and Click, je ne pense pas que c’est réellement une approche souhaitée pour ce type d’univers. Peut-être Big Bad Wolf parviendra-il à peaufiner ou plutôt affiner sa formule au fil du temps, comme Spiders y est semble-il parvenu depuis Greedfall après de nombreuses itérations perfectibles ; en attendant, l’accueil réservé à ce Swansong me semble un brin sévère compte tenu de l’absence de proposition alternative pour un jeu de vampires de cet acabit à l’heure actuelle (Mascarade ou non). Perclus de défauts mais aussi gorgé de bonne volonté, un titre qui vous posera sans doute cette simple question en fin de compte : préférez vous voir votre calice à moitié vide ou à moitié plein ?