À l'Ouest, rien de nouveau, ou presque.

Issue du très jeune studio Wolfeye, Weird West a pour objectif de perpétuer la philosophie de l'immersive sim (je vous renvoie en fin de critique pour la définition Wikipédia.), et pour cause à la tête de cette nouvelle équipe se trouve un des fondateurs d'Arkane, Mr Raphaël Colantonio, qui a su joindre à lui une meute d'anciens du studio. Cette équipe d'une dizaine de personnes a voulu avec Weird West tenter une voie plutôt originale, un décorum de western mâtiné de fantastique, le tout architecturé autour de cette fameuse volonté "immersive”. Récemment, on a vu apparaître une mini vague d'œuvres se servant de l'Ouest américain comme toile de fond, tout en agrémentant cela de monstres et autres joyeusetés, comme Hunt: Showdown. Cependant, Wolfeye a fait le choix d'un jeu uniquement solo, sous la forme d'un twin stick shooter (Hotline Miami, Ruiner etc.), et si le jeu regorge de nombreuses idées intéressantes et démontre l'expérience des personnes derrière ce premier projet, je ne peux m'empêcher de regretter le manque de courage concernant certaines décisions et un essoufflement trop rapide, explications.

Dès l'ouverture, on comprend rapidement via la première cinématique, que l'on sera amené à contrôler 5 personnages tout au long de notre aventure. Si les silhouettes dessinées en fond nous laissent imaginer quelles voies seront possibles, rien n'est encore sûr quant à la nature des protagonistes. Je reste volontairement flou pour ne pas trop en dévoiler, mais dans l'ensemble Weird West a été intrigant concernant sa narration, faute d'être démesurément flamboyant. La mise en scène reste très (trop ?) légère, on se doute que cela est dû à des contraintes humaines et budgétaires plus que par choix consentis des développeurs. Le doublage inexistant hormis pour un narrateur, à de rares moments, n'aide pas forcément à renforcer l'immersion, en soi cela n'est pas un défaut à proprement parler, mais je ne peux nier que j'aurai adoré voir un doublage complet, surtout dans ce monde pour le coup très "weird" et que le seul doublage présent, celui du narrateur est très bon.

Plus important si le scénario ne vous mettra pas forcément la tête sens dessus dessous par sa complexité, il se goupille d'une manière très satisfaisante mettant le joueur face aux choix entrepris tout au long de son aventure, une bonne manière de conclure quand on sait comment il est important de finir sur une note positive et cela même si tout n'est pas parfait sur la dernière ligne droite, mais j'y reviendrai avec la partie gameplay.

Comme abordé quelques lignes auparavant la mise en scène reste sommaire, pour ne pas dire quasi-inexistante, cela ne serait pas un souci si de nombreux dialogues s'offraient à nous, ce qui n'est malheureusement pas le cas. S'il existe une tonne de documents éparpillés dans le monde, il aurait été plus intéressant de développer l'univers via des dialogues plus complexes entre les différents protagonistes, sachant que ce travail d'écriture a été reporté dans des bouquins un peu posés partout. J'ai comme le sentiment que Wolfeye n'a pas osé confronter les joueurs face à de longs échanges de peur de lasser ceux-ci, mais sans aller dans un extrême de CRPG, quand on possède un univers si original et réussi sur le plan visuel et technique, on ressent comme un arrière-goût amer, un sentiment qui revient souvent comme si Wolfeye traumatisé par les réceptions publiques des anciennes œuvres d'Arkane, a eu peur de froisser les joueurs, et c'est aussi ce que j'ai vécu au travers du gameplay.

Alors soyons clair, j'ai aimé le gameplay twin stick de Weird West, que cela soit à la manette ou au combo clavier souris les deux sont très satisfaisants en mains. Ça bouge bien, c'est intuitif et les armes et pouvoirs sont plutôt jouissifs à utiliser.

Une large variété de pouvoirs et armes sont bien présents, de plus, chaque protagoniste aura une ou plusieurs spécificités qui pourront être déblocables et utilisées avec parcimonie lors des phases d'infiltration ou d'échanges de tirs.

Les pouvoirs et le choix de situer l’univers de Weird West dans un Ouest américain fictif, permettent des choses excitantes manette en main, mais je préfère vous garder la surprise concernant les capacités disponibles, mais surtout sur ceux que l'aura à affronter avec cet arsenal. On notera quand même un manque de boss, frustrant quand on sait que l’un d'entre eux laissait présager beaucoup de choses sur la fin, ce qui n’arrivera malheureusement jamais.

La progression de l'arbre de compétences s'effectuera par l'intermédiaire de collectibles plus ou moins cachés à travers le monde de Weird West et chose importante, car cela permet une rejouabilité partielle, certaines compétences sont communes entre les personnages et d'autres sont liées uniquement à un et concernant les objets, ils sont transférables d'un personnage à un autre, il vous suffira de retrouver le personnage précédemment joué (indiqué sur la carte) pour récupérer votre stock. Avec ces deux points en tête, on peut parfaitement s'aider pour vaincre les difficultés les plus élevées et privilégier la progression d’un personnage sur un autre.

Cela m’offre une transition parfaite pour aborder deux soucis en lien direct avec le gameplay, le premier étant la difficulté même du titre. Weird West est bien trop permissif et ce même en choisissant "difficile" dans les options. J'ai commencé le jeu en normal et après quelques heures, je me suis aperçu que cela gâché littéralement mon aventure, car il n'y avait aucun challenge et il était si facile de récupérer de la vie que les mécaniques de nourriture et de chasse m'étaient complètement inutiles, j'ai donc vite basculé sur “difficile”. Face à ce souci je ne conseille qu'une chose, lancez-vous en mode “difficile" dès le départ, si vous voulez profiter des possibilités offertes par le jeu dans la progression et la résolution d’une mission sans rouler sur tout le monde et se retrouver à ne pas avoir besoin de 50% des features offertes.

Autre sujet et certainement l’un des plus importants et sensible à aborder est autre que le côté “immersive sim” de Weird West. Oui, Weird West se situe déjà bien au-dessus de la moyenne générale sur ce point, mais est-ce vraiment compliqué aujourd'hui ? Si vous êtes amateurs, d'immersive, de près comme de loin, comprenez bien que celui-ci ne pousse pas ses mécaniques très loin, ou devrais-je dire plutôt que celles-ci s'avèrent régulièrement inutiles et que sauter au milieu de la foule arme au poing reste souvent la seule solution procurant de la satisfaction.

S'il existe toujours quelques voies pour résoudre une seule situation, Weird West pêche par un manque cruel de renouvellement des lieux, ce qui crée une sorte d'entonnoir où l’on se retrouve régulièrement à entreprendre la même méthode encore et encore. Malgré un level design souvent réussi, les lieux qui demandent de réfléchir de manière élaboré se comptent sur les doigts d'une main, et sur plus d'une vingtaine voir même une trentaine d'heures cela fait long. Il aurait été appréciable que certaines méthodes telles que l'infiltration gagnent en possibilités. Il manque par exemple la capacité de lancer des objets de manière contrôlée ou encore le feu qui possède une superbe technique de propagation, mais ne sert pas à tant que cela pour le gameplay.

Je suis le premier attristé par ce constat, sans être un mauvais immersive sim, c'est surtout en partie dû au fait que Weird West s'essouffle vite, trop vite et que c’est seulement au bout de quelques heures et une dizaines de lieux visités, qu’on a compris comment aborder tous les problèmes qui se poseront à nous.

Heureusement, le monde est bien organique et les conséquences de nos actes une fois revenus sur les lieux d'un échange de bons procédés peuvent clairement se faire sentir.

Tuer ou non un personnage central au récit peut clairement impacter le reste de l'aventure, sur ce point je retrouve tout ce qui fait l'essence et l'ADN d'Arkane et pour un petit studio comme Wolfeye, c'est un travail colossal qui a été abattu, même si on n'atteint pas la folie d'Arx ou vous pouviez trancher la gorge de littéralement tout le monde.

Mais comme souvent avec Weird West les quelques bons points semblent contrebalancés rapidement par un curseur de l'immersive qui n’ose pas être tourné du bon côté. J'ai par exemple été surpris de constater que malgré le peu de variétés dans les lieux on nous indique clairement sur la carte avec un gros point jaune ou aller et quoi faire. Il aurait été intéressant de laisser plus de latitude au joueur dans le parcours qu'il souhaite entreprendre. Si du point de vue macro Weird West a bien cette pâte Arkane, dans sa globalité celle-ci n'est pas tellement présente et c'est pour moi une légère déception, je suis bien trop attaché aux jeux qui ne me demandent pas aux joueurs de les prendre par la main, surtout venant de vétéran d'Arkane.

Ce point est particulièrement critiquable durant le dernier tiers du jeu, ou j'ai eu le sentiment d'être en mode automatique sans même me poser des questions quant à quoi faire par la suite, mais simplement sauter de lieu en lieu marqué sur la carte jusqu'à la fin du scénario, car n'ayant plus rien de vraiment passionnant à explorer, dû à cette variété plus que limitée.

Vous l'aurez compris ce que je reproche à Weird West, c'est de ne pas aller au bout de ses idées, se situant dans un ventre mou entre des aides au joueur trop présentes et une difficulté trop permissive. Souhaitant être immersive, mais qui n'ose pas le devenir, on ressent comme un traumatisme des anciens d'Arkane effrayés à l'idée de faire face à un échec similaire subi par le passé. Mais comme Prey et Dishonored 2 en particulier ou même Arx pour repartir plus loin, ce sont des oeuvres qui ont su gagner leurs légitimités sur la durée et dans une sphère indépendante saturée, à mon avis il aurait été plus judicieux de ne pas avoir peur de tourner les potards de l'immersive à leur maximum. Il y a certes des contraintes de moyens ou peut être même que mon attente n'était pas juste, mais il semble que le succès relatif mais existant du jeu ait été en grande partie dû à une envie des joueurs de jeux où la débrouille est l'épine dorsale de l'aventure et sur ce point, Weird West en réussit déjà beaucoup, mais loupe le coche sur des points pourtant essentiels à cela, et je rejoins de nombreux avis concernant cette facette de l'oeuvre.

Un dernier mot sur la partie sonore qui comme abordé rapidement plus haut est excellente. Sans parler de grande musique, elle est parfaitement rythmée, collant avec justesse à l'ambiance générale ainsi qu'aux situations de jour comme de nuit, lors d'une infiltration comme d'un massacre.

Je vais être honnête si j'aurai pu mettre 11/10 à Weird West, j'aurai été le premier ici à vouloir le faire, mais dans une volonté d'aider les développeurs s'ils lisent cela un jour, ou même d'orienter correctement ceux qui liront cette critique, je me devais d'élaborer ma pensée et en particulier sur la voie de l'immersive timidement empruntée par Wolfeye.

Le premier jeu d'un studio est toujours un exercice compliqué et le travail abattu sur Weird West reste titanesque pour une équipe comme cela, et même si cette critique peut sembler dure, elle est avant tout là pour pointer des soucis que je juge suffisamment importants pour être mentionné. Pour éliminer toute confusion, je ne regrette pas mon achat de Weird West bien au contraire, car le jeu nous offre des moments grisants de plaisir et possède une DA très réussie. Je lui reproche principalement de ne pas avoir été au bout de ses idées et tout semble affaire de compromis ce qui positionne Weird West quelque part dans un no man’s land, pas assez poussé pour passionner les amateurs d'immersive, ni trop grand public pour passionner les foules, un juste-milieu qui m’a laissé sur ma faim là où j'espérai une continuité de la philosophie d’Arkane.

Eux-mêmes savent ce qui n'allait pas dans Weird West, gage que cet apprentissage sera utile pour leur prochain projet.

Pour pousser les recherches, définition d’un immersive sim : https://en.wikipedia.org/wiki/Immersive_sim

Condition de test :

Options graphiques au maximum, verrouillées à 75fps, en 1440p.

Sajuuk
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le 14 mai 2023

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