Ingmar Bergman - Commentaires
Géant parmi les géants, tenant une place absolument unique dans l’histoire du cinéma, Bergman est un continent à lui tout seul. Énoncer les titres de sa filmographie, traversée par tant de chefs-d’œuvre, donne le vertige : il est sans doute l’un des quatre ou cinq plus grands réalisateurs ayant ...
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créée il y a plus de 12 ans · modifiée il y a plus d’un anLa Prison (1949)
Fängelse
1 h 19 min. Sortie : 11 mars 1959 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Le premier film dont Bergman est l’auteur intégral contient deux séquences mémorables : un étonnant pastiche du burlesque primitif et une séquence de rêve qui glisse vers le cauchemar. Le sang, le désespoir, le brouillard et autres lieux communs du cinéma nordique y sont retournés comme une vieille veste et activent une réflexion sur le statut même de la création et de ses mécanismes baroques (automates, boîtes à musique, surimpressions, brouillage onirique). Avec Pirandello, l’auteur partage le secret de confondre dans l’inextricable le passé et le présent, le monde et sa représentation. Comme Breton, il sait au cœur de la réalité discerner ce qui la transcende. De Sartre enfin, il trouve une prise directe sur l’existence qui lui fait traiter en naturaliste les plus graves et métaphysiques des questions.
Vers la joie (1950)
Till glädje
1 h 38 min. Sortie : 1950 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
On pourrait dire de ce film de jeunesse qu’il n’est qu’un bon mélo, appliqué, besogneux, scolairement exécuté, qui permet au réalisateur de faire ses dents sur la profondeur de champ, les flashbacks et autres fondus enchaînés. Ce serait ne pas voir que sous le simple conteur perce le grand créateur, par sa directions d’acteurs précise, son sens de l’ellipse (le mariage de Martha et Stig), la concision et la densité de ses dialogues. Les inquiétudes passionnées qui se manifestent ici (la fragilité du couple, l’usure du temps, le narcissisme dévorant de la vocation artistique, le remords lancinant de la trahison amoureuse) témoignent déjà d’une expression sûre. Et la scène finale atteint, sur fond de Beethoven, une sorte de grâce immanente qui sèche les larmes et transforme le désespoir en acceptation sereine.
Jeux d'été (1951)
Sommarlek
1 h 36 min. Sortie : 30 avril 1958 (France). Drame, Romance
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
À l’occasion d’un retour sur les lieux d’une idylle estivale et adolescente, marquée d’un drame dont elle peine à s’affranchir, une ballerine se souvient. L’occasion pour Bergman de faire jouer certains ressorts propres au "nevermore" suédois, et d’allier dans un même mouvement de joie et de mélancolie les beautés volatiles d’une saison vécue dans une euphorie passagère – jusqu’à la mort qui survient, dont le souvenir empêche de vivre, et dont la catharsis surviendra lors d’une scène de miroir en coulisse. Tourné sur les îles situées au large de Stockholm, le film capte avec douceur et gravité la cristallisation d’un jeune couple, ses exigences, ses querelles, dans un climat de suavité en accord avec la fraîcheur lumineuse de Maj-Britt Nilsson, faite d’été et de soleil, d’eau et de caresses – notre premier amour.
L'Attente des femmes (1952)
Kvinnors Vantan
1 h 48 min. Sortie : 3 décembre 1958 (France). Comédie dramatique
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
La nostalgie de la jeunesse et des amours passées et leur pendant amer, la solitude, ont ici une importance cruciale. Car la situation de ces cinq femmes, dont les aléas sentimentaux sont racontés en flash-backs, est métonymique de leur vie quotidienne : toujours attendre le retour des hommes. D’un récit à l’autre, la lumière s’impose pourtant, une ardeur à profiter de l’instant présent avant que ne viennent les blessures inéluctables, une foi en la solidité du couple, par-delà les turbulences, se font jour, jusqu’à la dernière partie résolument comique, légère et pétillante, où une nuit forcée dans un ascenseur favorise le rapprochement complice entre l’héroïne et son époux. C’est bien dans cette clameur de vie, relayée par le charme des actrices et la fluidité radieuse du style, que le film trouve sa beauté.
Monika (1953)
Sommaren med Monika
1 h 36 min. Sortie : 14 mai 1954 (France). Drame, Romance
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Proche de "Jeux d'été" dans ses thèmes, ses configurations, son développement, cette œuvre à la sensualité explosive recourt aux prestiges d’un réalisme poétique finissant et exalte à la fois les splendeurs de l’été suédois, les feux éphémères de la passion et l’irrédentisme libertaire de l’escapade amoureuse, en brodant de subtiles variations sur l’incommunicabilité au sein du couple. Il se dégage une vraie tristesse de ce portrait de jeune fille libre, assez inconséquente et égoïste, qui perd son amour et ses illusions le temps d’une aventure passagère, et qui joue l’irréductibilité de son désir contre le conformisme social. On sait qu’Harriet Andersson a beaucoup fait fantasmer à l’époque, et il est vrai que la pure célébration érotique de ce corps demeure aujourd’hui assez frappante.
La Nuit des forains (1953)
Gycklarnas Afton
1 h 32 min. Sortie : 18 octobre 1957 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
S’inscrivant dans un sillon expressionniste marqué au travers d’atmosphères lourdes, de jeux de miroirs et de cadrages baroques, Bergman évoque, le temps d’une journée tragique, vicissitudes professionnelles et aléas sentimentaux des membres d’une troupe de cirque fellinienne et miséreuse. Le film s’ouvre sur une stupéfiante séquence allégorique en hors-texte, qui marque de son formalisme distordu et de sa désespérance tout le récit qui la suit : fable sarcastique et cinglante sur le désir souffrant, les illusions du cœur, les rejetés de l’existence et plus largement la place de l’artiste, c’est aussi une méditation douloureuse, au pessimisme à peine éclairé par quelques touches d’ironie noire, sur la crise et la défaite du couple, entre trahisons, doutes et accommodements.
Top 10 Année 1953 : http://lc.cx/ZUzc
Une leçon d'amour (1954)
En lektion i kärlek
1 h 30 min. Sortie : 4 octobre 1954 (Suède). Comédie dramatique
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
À ceux convaincus qu’il ne sait faire que de l’austérichiant, Bergman se montre ici capable d’au moins deux choses : faire rire (eh oui) et filmer le bonheur, le vrai. Certes il s’expose à la limite de l’artifice, des effets d’annonce et de la mise en condition, mais sa joie communicative est celle d’un auteur s’abandonnant aux délices d’un registre qu’il croyait hors de sa portée. Tel un laboratoire de la légèreté, où un couple doit cesser de jouer la comédie pour se retrouver, le film préfigure "Les Fraises Sauvages" sur un mode enjoué, vaudevillesque, plein de réparties savoureuses et proche des sommets américains du genre. Gunnar Björnstrand, rusé, sympathiquement volage, très drôle, et Eva Dahlbeck, avec sa classe sophistiquée de Darrieux nordique, brillent d’une complicité taquine assez formidable.
Top 10 Année 1954 : http://lc.cx/Zwkz
Rêve de femmes (1955)
Kvinnodröm
1 h 27 min. Sortie : 22 août 1955 (Suède). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Même troupe d’acteurs (construite sur le triangle Dahlbeck/Andersson/Björnstrand), mêmes interrogations autour du lien conjugal, de l’engagement, de la frivolité et de la passion, même sophistication discrète dans l’alliage de gravité amère et de légèreté libertine. Deux héroïnes, deux aventures sentimentales mises en parallèle, deux éclairages complémentaires sur la désillusion et la jalousie : une jeune modèle est courtisée par un consul d’âge mûr qui la couvre de cadeaux avant d’être confronté à sa fille froidement calculatrice, tandis que sa directrice de studio tente de ranimer la flamme de l’homme marié qu’elle n’a jamais cessé d’aimer. Au terme de cette journée en forme de mise au point, le constat sans noirceur de la faiblesse de ces messieurs et de la fragilité surmontée de ces dames.
Sourires d'une nuit d'été (1955)
Sommarnattens leende
1 h 48 min. Sortie : 20 juin 1956 (France). Comédie, Romance
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Donnant à l’artiste l’occasion de sortir de son pré carré, ce marivaudage vaudevillesque en forme de comédie rococo se montre tour à tour charmeur et féroce, illustrant à travers une demi-douzaine de personnages plusieurs conceptions de l’amour qui oscillent de l’idéal romantique à l’éloge épicurien. Le film convoque Shakespeare (la nuit d’été et les chassés-croisés), Beaumarchais, Feydeau, le souvenir de "La Règle du Jeu", et se livre à une analyse aigue et chaleureuse des rapports conjugaux, jusqu’à une mémorable partie de roulette russe. Enveloppée d’un optimisme discret mais tenace, la ronde libertine des protagonistes charme et enchante, les actrices sont rayonnantes, les beautés de l’été nordique superbement filmées, et le film radieux car il triomphe de la gravité que l’on pressent.
Top 10 Année 1955 : http://lc.cx/Zwk9
Le Septième Sceau (1957)
Det sjunde inseglet
1 h 36 min. Sortie : 17 avril 1958 (France). Drame, Fantastique
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 9/10.
Annotation :
Déjà Bergman est au sommet de son inspiration et de sa gloire. Pour lui, l’art se révèle la plus vitale disposition dans notre nécessaire accommodement à la mort. Refusant tout dogmatisme, même lorsqu’il oppose au fanatisme et à l’intolérance le "lait de la tendresse humaine", il joue le jeu de la naïveté iconographique et brode librement sur l’imaginaire médiéval : les références aux tableaux flamands et aux gravures sur bois y alimentent une méditation complexe sur le doute métaphysique, l’inéluctabilité de notre finitude et l’angoisse de l’au-delà. Son onirisme limpide, ses traits d’humour désespéré, la puissance évocatrice de ses tableaux (le couple épargné et leur enfant comme parabole de la Sainte Famille, provisoirement sauvée grâce au sacrifice du chevalier) font de cette allégorie tragi-comique un classique inépuisable.
Top 10 Année 1957 : http://lc.cx/ZwmE
Les Fraises sauvages (1957)
Smultronstället
1 h 31 min. Sortie : 17 avril 1959 (France). Drame, Romance, Road movie
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
L’artiste n’a pas quarante ans lorsqu’il signe ce qui ressemble à un film testamentaire, qui lui est ce que la madeleine est à Proust, et qui substitue au scepticisme métaphysique du précédent opus une nostalgie poignante. C’est le magnifique bilan existentiel d’un vieil universitaire, un cortège de regrets et de récriminations, incrusté de grandes interrogations (la vie, la mort, Dieu…) et de questions morales (le couple, la solitude, l’égoïsme, le bonheur terrestre…), dans un style qui doit autant à l’expressionnisme qu’à la tradition symbolique scandinave. La beauté de la lumière, la netteté eidétique, les contre-champs fluides, l’allusif du dialogue… tout concourt à l'harmonie d’une œuvre qui file comme le ruban fantomatique d’un rêve, sous la double vocation d’une projection vers le terme d’une vie et d’un retour à l’origine de ses jours.
Top 10 Année 1957 : http://lc.cx/ZwmE
Au seuil de la vie (1958)
Nära livet
1 h 24 min. Sortie : 31 mars 1958 (Suède). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Trois femmes, la chambre d’une maternité, la vie comme seul sujet de conversation et d’introspection : on ne peut s’imaginer plus bergmanien. Si l’on y ajoute que ces héroïnes sont confrontées aux vicissitudes de leurs corps, à la mort et à la souffrance, et qu’une quatrième, maternante, attentive, toute de tendresse et d’apaisement, veille sur elles, on obtient le dispositif anticipé de "Cris et Chuchotements". Avec un art totalement maîtrisé du rapport caméra/personnage, de la déclinaison des sentiments en fonction des situations, le cinéaste développe un huis-clos poignant où d’impressionnantes scènes de douleur et de hurlements alternent avec de grandes bouffées d’altruisme, d’écoute, de chaleur humaine. Une leçon de dramaturgie portée par une sensibilité à fleur de peau.
Top 10 Année 1958 : http://lc.cx/Zw9w
Le Visage (1958)
Ansiktet
1 h 41 min. Sortie : 26 décembre 1958 (France). Comédie dramatique
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 5/10.
Annotation :
Dans sa composition serrée et contrastée, dans son cadre socio-historique (le milieu du XIXè siècle, la rencontre entre magnétiseurs et notables ruraux), le film est symptomatique du Bergman des années 50. Étrangement séquencé, assez opaque dans son propos, plombé par des plages de comédie boiteuses, le récit oppose rationalisme et surnaturel, fausseté du visible et ambigüité du sens en une suite de retournements des apparences : un homme s’y révèle une femme, un don Juan puceau, un cadavre est pris pour un autre, un charlatan fait des prodiges… Le cinéaste joue avec la représentation, démonte explicitement son art de l’illusion en un jeu permanent de masques et d’artifices, sans que jamais ces intentions ne trouvent à s’incarner véritablement.
La Source (1960)
Jungfrukällan
1 h 29 min. Sortie : 7 décembre 1960 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
L’auteur retrouve l’univers moyenâgeux en s’appropriant une légende folklorique cruelle, l’histoire d’un viol, d’un meurtre et d’une vengeance qu’il traduit en de superbes images expressives, jouant des contrastes plastiques, des oppositions symboliques, de la sculpture de l’ombre et de la lumière. Chaque séquence atteint une intensité poétique assez saisissante, le long d’une balade du temps jadis où l’homme, dépassé en permanence par son existence, confronté à la souffrance de la perte et à l’horreur du ressentiment qui entraînent angoisse, délire et folie, trouve dans l’existence du divin une raison d’espérer, la voie de sa rédemption. Bergman avouera plus tard considérer le film comme une piteuse imitation de Kurosawa ; qu’il nous soit permis de ne pas être d’accord avec lui.
À travers le miroir (1961)
Såsom i en spegel
1 h 30 min. Sortie : 5 septembre 1962 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Bergman opère dès lors une série de retraitements, privilégie le quatuor à cordes, entame une conquête inédite de l’espace intérieur. Le motif de l’insularité, magnifié par les compositions très picturales de Sven Sykvist, confère un supplément de concentration à un film qui fait vivre la crise spirituelle de ses protagonistes de la façon la plus physique qui soit. Papier peint ouvrant sur un autre monde, entrailles inondées d’une épave où éclate le delirium tremens, Dieu-araignée aux yeux rouges : la folie schizophrène de l’héroïne (Harriet Andersson en pleine désagrégation psychique) interroge la religion, l’incommunicabilité des êtres, l’impuissance des proches… Mais le dialogue renoué lors du final, qu’éclaire un disque solaire incandescent, affirme une foi vibrante en l’amour salvateur.
Les Communiants (1963)
Nattvardsgästerna
1 h 21 min. Sortie : 30 avril 1965 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Comme engourdie par le froid neigeux de son cadre hivernal, cette étude introspective autour d’une demi-journée de sacerdoce ecclésiastique fait du doute existentiel et de la crise de foi les sujets d’une méditation inquiète, austère, mise en scène avec la concrétude presque neutre d’un Robert Bresson. L’éternelle angoisse des hommes, le désarroi engendré par le silence divin et l’absurdité du monde s’y expriment dans les voix de pratiquants tourmentés, auxquels le pasteur, miné par l’échec de sa vie et la mort de son épouse, est incapable d’apporter quelque réconfort. Bergman rappelle ici à quel point le refus de l’engagement affectif conduit à la solitude, à l’assèchement du cœur, comme dans cette scène cruelle qui voit l’institutrice humiliée et rejetée par celui qu’elle aime.
Le Silence (1963)
Tystnaden
1 h 36 min. Sortie : 11 mars 1964 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Une œuvre d’une noirceur terrible, un film de chambre porté par un scepticisme absolu quant à la question de la communication entre les êtres – le silence du titre, c’est celui de ces sœurs qui ne peuvent plus se comprendre, l’une desséchée et cataleptique, l’autre vorace et suant de désir sexuel. Deux grandes actrices bergmaniennes s’y confrontent dans un champ de ruines affectif, un enfer de rivalités et de frustrations qui exprime la déliaison entre l’âme et le corps et ne peut déboucher que sur le vide ou la mort. Cette vision de la domesticité aristocratique peut rebuter mais elle est éclairée par un espoir irraisonné, une ligne vive dans les ténèbres : celle de la foi profonde Bergman envers l’humanité, en des circonstances extrêmes qui poussent les protagonistes à la cruauté.
Persona (1966)
1 h 24 min. Sortie : 21 décembre 1966 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Film-balise, véritable bouleversement esthétique, une œuvre d’une exceptionnelle importance tant dans la carrière de Bergman que dans l’histoire du cinéma toute entière. Mettant la représentation traditionnelle en charpie, l’artiste use des pouvoirs du médium comme un instrument d’écoute et d’auscultation introspective : dans le magma de la coalescence, il enregistre autour de la transmutation des corps et de la porosité des visages les chimères monstrueuses de la dépossession absolue. Plus complexe dans sa structure que tout ce qu’il a élaboré jusqu’alors, traitant du transfert de personnalité et du conflit entre le masque social et l’image de l’âme intérieure, les formalisant directement en actes plastiques et narratifs, le film pousse jusqu’aux limites les plus extrêmes ses tentatives d’investigation du psychisme et de la dévoration imaginaire par les voies de l’auto-analyse.
Top 10 Année 1966 : http://lc.cx/BCP
L'Heure du loup (1968)
Vargtimmen
1 h 29 min. Sortie : 15 mai 1968 (France). Drame, Épouvante-Horreur
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
On peut dire qu’ici Bergman redistribue les cartes de "Persona" en se positionnant de l’autre côté du miroir et en s’adonnant au déchaînement de ses tourments les plus obscurs. Il renoue de façon explicite avec l’expressionnisme d’un Murnau et la puissance expressive des tableaux de Bosch ou Goya, évoque la part la plus intime de la névrose de l’artiste, son désarroi devant une réalité qu’il ne maîtrise plus, et fait la terrifiante description des fantasmes dont procède le processus créatif. Infanticide strident au bord de l’eau, vampire marchant au plafond, vieillarde retirant ses yeux… : les visions cauchemardesques se succèdent, en émanations directes d’un empire du mal symbolisé par une famille de châtelains démoniaques et dégénérés, et gouverné par l’humiliation, le sadisme et la mort.
La Honte (1968)
Skammen
1 h 43 min. Sortie : 30 avril 1969 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Le cinéaste offre une nouvelle perspective à cette éprouvante radiographie de la terreur, mais en déplaçant sa formalisation sur un terrain plus uchronique : celle d’un chaos fulgurant, imprévisible, déchaîné sur un pays en guerre. Secoué par les événements (propagande mensongère des soldats-journalistes, détachement absurde des médecins tortionnaires), ballotté dans un paysage de désolation jusqu'à dériver en barque au milieu des cadavres, un couple déjà fragile se fissure, voit la mesquinerie, la bassesse et l’abjection se propager en son sein même, et l’insoutenable conscience de l’humiliation lui sucer ce qui lui reste de raison et de dignité. Le questionnement sur la condition humaine est noir et âpre, ce qu’il suscite peu agréable à éprouver – le film, lui, est très fort.
Top 10 Année 1968 : http://lc.cx/2ir
Une passion (1969)
En passion
1 h 40 min. Sortie : 4 septembre 1970 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
L’île de Farö encore et toujours, quatre personnages réunis en de subtils rapports interconjugaux, et le passage définitif à la couleur, arborant une palette impressionniste assez singulière malgré la rudesse granuleuse de l’image. Bergman poursuit l’analyse du désarroi et de l’angoisse domestiques à travers la rencontre de deux solitudes en proie à leurs fantômes respectifs, qui tentent de reformer une vie de couple mais s’aperçoivent que nulle reconstruction n’est possible sur une terre brûlée. La noirceur crue et l’austérité presque nihiliste du propos sont comme refusées par une forme de douceur meurtrie, par la limpidité d’une narration libre et elliptique, et par la distanciation quasi expérimentale conférée par les commentaires des acteurs sur la nature de leurs personnages.
Top 10 Année 1969 : http://lc.cx/2iy
Le Lien (1971)
Beröringen
1 h 53 min. Sortie : 17 novembre 1971 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 5/10.
Annotation :
Pour la première fois, Bergman se laisse tenter par une coproduction internationale tournée en langue anglaise. Il est assez surprenant de le voir traiter de manière si impersonnelle, avec un tel déficit d’aspérités, cette histoire de passion adultérine en milieu bourgeois, qui montre un être humain ayant toujours vécu dans le matérialisme et la sécurité subitement bouleversé par la découverte de l’absolu et du désordre. Si ce n’est la relative perversité du triangle amoureux et le subtil renversement des rôles entre le mari rassurant, équilibré, protecteur, et l’amant porteur d’une inquiétante pathologie, rien ne distingue le film, plutôt honorable mais peu surprenant, d’un certain académisme psychologisant. Reste la qualité irréprochable de l’interprétation, emmenée par une Bibi Andersson très investie.
Cris et chuchotements (1972)
Viskningar och rop
1 h 31 min. Sortie : 20 septembre 1973 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Quelle place pour le sacrifice et la bonté en ce monde de souffrance ? Dérisoire, répond Bergman, qui a rarement été aussi loin dans l’expression de la douleur physique et morale. Flamboyant comme un feu ultime, rouge comme le sang, noir comme le désespoir, blanc comme l’oubli, le funèbre oratoire est percé de souvenirs poétiques (les promenades champêtres des femmes en robes immaculées), pour mieux imposer la présence de la maladie et de l’agonie, lors de scènes traumatisantes où les corps éructent, sécrètent, râlent, saignent, nous faisant ressentir concrètement la proximité de la mort. La perfection presque monastique du film se traduit en de somptueuses compositions – manoir tapissé de tentures pourpres, douceur d’une servante plantureuse apaisant à demi-nue, telle une pieta, la mourante étique sur son giron.
Top 10 Année 1972 : http://lc.cx/AUa
Scènes de la vie conjugale (1974)
Scener ur ett äktenskap
2 h 49 min. Sortie : 22 janvier 1975 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Forme simple et dépouillée, zooms, longs face-à-face dans des pièces closes : voici la minutieuse et inexorable chronique d’une fausse désunion. Avec un sens incomparable du tempo et de l’épuration, l’auteur creuse jusqu’à l’os, met une nouvelle fois ses tripes sur la table, crûment, sans pudeur, et se place au cœur de la tension qui relie l’épiderme du visage à la projection de la rhétorique. Il ausculte secrets, non-dits et aveux au sein du couple avec une acuité dont Woody Allen sera le seul héritier, et dévoile joutes introspectives, épanchements de terrible cruauté, élans de tendresse insatiable, jusqu’à une réconciliation finale à l’apaisement mesuré qui préfigure celle d’"Eyes Wide Shut". Au sommet de cette œuvre magistrale, profondément touchante dans ce qu’elle renvoie de notre vécu intime, deux acteurs prodigieux de vérité et de complicité.
Top 10 Année 1974 : http://lc.cx/AUV
Face à face (1976)
Ansikte mot ansikte
1 h 54 min. Sortie : 1976 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Une femme face à son miroir, vie contre mort, espoir contre mépris de soi-même : dans son registre favori de l’introspection féminine et avec le concours intense de sa muse, Bergman étudie une violente remise en question personnelle. Une tentative de viol fissure la digue des névroses refoulées et enclenche une psychanalyse sauvage mise en scène en de longs plans serrés qui alternent silences et flots de révélations intimes. Le cinéaste enfonce quelques portes ouvertes mais la raideur de son dispositif est contrebalancée par la force expressive de ses séquences de rêve et par son espoir en la communication entre les êtres – tendre fidélité de l’ami homosexuel et bienveillant, révélation du profond amour qui lie un vieux couple, et dont la prise de conscience consacre la guérison de l’héroïne.
L'Œuf du serpent (1977)
The Serpent's Egg
2 h. Sortie : 7 décembre 1977 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
À ceux qui ne l’auraient pas encore intégré, même après la vision de "L’Heure du Loup", Ingmar vient rappeler qu’il n’a rien à envier aux maîtres de l’épouvante. Il donne ici une logique à sa peur, une raison à son angoisse. On y trouve un savant fou rappelant le docteur Mabuse, des expériences effrayantes pratiquées sur des cobayes humains, une ambiance putride qui exsude la maladie, la pourriture et la mort, un homme en proie à d’horribles hallucinations, des rues croupissantes et des cabarets miteux où planent le spectre de l’antisémitisme et l’ombre d’un mal sans visage. Vision étouffante d’un monde en décomposition, celle du Berlin ravagé de la République de Weimar, accablé par l’inflation, la famine et la misère, et dont le désespoir populaire forment le lit d’une dictature en devenir.
Sonate d'automne (1978)
Höstsonaten
1 h 37 min. Sortie : 11 octobre 1978 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Une lettre, une visite, un départ, une sonate, de l’humus, des brumes, une petite tombe, la maladie, les tentatives avortées pour se rejoindre et se trouver. Et la musique qui n’y peut rien, même Chopin. L’écheveau de rancunes, de regrets, de reproches tus ou finalement verbalisés, de ressentiments et de peurs obscures… : toute la sensibilité tourmentée de l’auteur s’exprime à nouveau dans ce drame feutré et cruel, qui met à nu le refoulement d’une relation vécue comme une aliénation et s’attache à dévoiler le mensonge existentiel sur lequel elle s’est construite. Très loin du glamour d’autrefois, Ingrid Bergman trouve un très beau rôle en pianiste de concert opposée à sa fille dans un duel psychologique qui la conduit à affronter tout un passé d’égoïsme et d’indifférence.
De la vie des marionnettes (1980)
Aus dem Leben der Marionetten
1 h 44 min. Sortie : 13 juillet 1980. Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Frustration, meurtre et récession : ainsi font, font, font les petites marionnettes. Parce qu’il n’a pas le courage d’assassiner son épouse, un homme tue une prostituée. Sa folie est analysée de l’extérieur, l’enquête kaléidoscopique remonte la filière en adoptant une construction en sauts de puce, et conclut que tout vient de la mère, cette créature dominatrice qui aliène le fils par inconscient interposé – le rapport psychiatrique de l’expert et le plan final du héros prostré dans sa cellule d’asile évoquent même "Psychose". Dans cette vivisection froide et aigue où les mots constituent des pièges, des barreaux, des excitants factices, l’enfer conjugal est un déballage en alcool et valium dièses, une partie d’échecs sado-maso avec la mort, jouée entre épieurs et épiés. Évidemment, cela n’est pas gai. Mais cela est.
Fanny et Alexandre (1982)
Fanny och Alexander
3 h 08 min. Sortie : 9 mars 1983 (France). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Le dernier film réalisé par Bergman pour le cinéma est celui d’un homme qui aurait atteint la paix des profondeurs, brillant des couleurs du songe où le vieillard et l’enfant se réunissent pour le matin trompeur d’une fin de vie. Il s’agit de son œuvre la plus ample et la plus ambitieuse, une magnifique synthèse qui reprend et dépasse l’ensemble de ses motifs. Souvenirs, réminiscences nostalgiques, crainte des interdits religieux, complicité avec l’univers féminin, découverte de la mort, vivants et fantômes, théâtre et cinéma, art et spiritualité… tout se marie avec une fécondité romanesque digne des géants de la littérature. Il y a quelque chose de définitif dans cette célébration de l’illusion, de la fantaisie, de l’amour et de la générosité, dans cette sublime chronique familiale dont l’exceptionnelle richesse et la chatoyante émotion n’égalent que l’immense tendresse humaine.
Top 10 Année 1982 : http://lc.cx/Uyf
Après la répétition (1984)
Efter repetitionen
1 h 12 min. Sortie : 9 avril 1984 (Suède). Drame
Film de Ingmar Bergman
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Une heure dix de monologue intérieur, sur la scène d’un théâtre sans décor construit, avec seulement quelques meubles, des objets, des paravents, des toiles peintes. Le temps nécessaire pour que les signes algébriques du rêve s’estompent, pour que les faux-semblants se résolvent d’eux-mêmes, pour que s’évanouisse le jeu des apparences et que seul demeure un vieil homme devant un mur de briques. Ce personnage, c’est probablement Bergman lui-même, possédé par la "représentation" de la vie et qui, derrière, cherche aveuglément des bribes de vérité qu’on n’aurait pas encore maquillées. Dans ce face-à-face de visages nus entre le metteur en scène et la jeune actrice, il n’y a pas de flonflons narratifs, pas d’extérieur, tout est dit en vase clos. L’exercice est original autant qu’il est mince et ardu.