Il est temps d'écrire une critique sur ce chef d'oeuvre absolu de science fiction (pardon, d'anticipation) qu'est 1984.
La force de cet ouvrage est que plus il vieillit, plus il est jeune, splendide télomère de nos ignorances juxtaposées: les thèmes de la perte de liberté, de la guerre et de la surveillance sont plus que jamais d'actualité, dans un monde de pseudo-démocratie qui valorise ouvertement la délation, la surveillance, l'abrutissement des masses par la télévision, de l'enfant par l'Ipad et du chien par des croquettes en polyester. Le seul point que l'auteur n'avait pas prévu est que l'usage de la force parait superflu grâce à l'habileté des réseaux sociaux, les gens dissèquent leur vie personnelle aux yeux de tous, sciemment et avec joie.
Ce livre nous rappelle à quel point nous devons définir notre liberté avant de la poursuivre, choisir nos contraintes pour être Libres. Sans ce formidable effort Humain de philosophie , de sciences et de réflexion, l'aliénation devient un jeu d'enfant et il est aisé de priver l'individu de son unité, de son indivisibilité, et de devenir une masse fourmilière avilie et obéissante, travaillant calmement sans raison en attendant une mort précoce et apaisante dans un monde sans étoiles. L'arrêt de l'enseignement de la philosophie au lycée, l'arrêt des mathématiques, du français et de l'Histoire, l'ère des tablettes et de la non-notation, la mort du livre, le nivellement par le bas et le culte ultime de la médiocrité la plus abjecte font partie de ces rouages éprouvés, pensés depuis des siècles, si bien décrits et pourtant jamais reconnus lorsqu'ils rampent dans nos maisons, infernaux serpents de la décadence d'une société d'ovins qui ne savent ni lire ni compter, mais crient très fort et s'indignent très vite, si on leur en donne l'ordre. Orwell nous rappelle que l'aliénation peut être telle que la liberté peut revêtir toute les formes qu'on lui autorise, même si elle n'est que celle de se nourrir, travailler et dormir.
1984 dépeint avec une précision macabre l'image d'une société selon un modèle de Skinner, grande animalerie au service du puissant, dont le pouvoir ne réside que dans l'ignorance totale, la guerre, et la misère. Maintenir le peuple sous le seuil de la douleur avec suffisamment de pain et d'eau, sous un ciel vidé d'étoiles et une vie pleine de mort.
Oublions l'Histoire et tout pourra (re)commencer.