Jake, professeur d’Anglais dans une petite bourgade des Etats-Unis, découvre une faille temporelle menant à la fin des années 50 dans le restaurant d’un de ses amis. Ce dernier lui demande tout simplement de terminer le boulot qu’il avait entrepris : empêcher l’assassinat de Kennedy.
C’est avec ce pitch plein de promesses que le King nous embarque dans un long voyage de plus de mille pages. Des décennies après, l’assassinat de JFK continue de passionner. D’une part à cause de la part d’ombre et de doute qui subsiste (même si l’auteur expose un avis assez clair sur le sujet) et d’autre part car il représente un véritable tournant dans l’histoire des USA. En effet c’est à cette époque que le rêve américain, l’insouciance et la toute puissance du pays se sont écroulés pour laisser apparaître les doutes et les peurs de citoyens. C’est cette période charnière, ce basculement que dépeint King dans son récit. Les premiers pas de Jake en 1958 sont décrits comme un rêve nostalgique. Quelques heures dans un passé à la Retour vers le Futur, un charme fou. On observe ensuite une rupture brutale de ton lors d’un bref passage à Derry durant les évènements de Ca. Les fans de l’auteur apprécieront ce clin d’œil sympathique loin d’être gratuit. Tout le bouquin est construit de cette façon, par contraste, par opposés, par évènements qui se répondent. Les fameuses harmoniques observées par le narrateur (le livre est écrit à la première personne) sont les signes visibles de la lutte infinie entre le Bien et le Mal que Stephen King dépeint dans chacun de ses romans. Avec évidemment des passerelles entre les deux qui assurent au final l’équilibre des choses, le Yin et le Yang qu’un Passé tenace tentera de protéger face aux assauts du héros bienveillant.
22/11/63 c’est également une plongée documentée dans les années 60. Pour ceux qui connaissent un peu cette période, c’est un véritable plaisir de voir comment King a intégré la petite histoire dans la grande. Certains personnages réels côtoient nos héros et l’ensemble est d’une cohérence rare. L’une des grandes réussites du bouquin est la façon dont est décrit Lee Harvey Oswald. Il apparaît au début comme un bad guy classique, le Mal incarné tel qu’on le voit souvent dans les romans de King. Et petit à petit, sans trop en apprendre non plus, on se rend compte de la complexité du personnage. Toute la partie consacrée à Oswald est passionnante. Heureusement, les nombreux autres personnages ne sont pas en reste. Le talent de l’auteur n’est plus à démontrer, il sait caractériser et nous faire nous attacher à ses héros. L’histoire d’amour au cœur du livre peut paraître un brin naïve, je l’ai trouvé personnellement très belle et touchante. D’autant plus qu’elle cache parfois quelques moments de violence tétanisant.
Mais en plus de son aspect historique passionnant, en plus de ses personnages parfaitement écrits, 22/11/63 est un thriller génial, un « page turner » comme on n’en voit pas si souvent. C’est incroyable cette capacité de l’auteur à nous faire complètement oublier le livre que nous tenons entre les mains. Sa façon de s’effacer pour ne laisser place qu’à l’histoire, simplement l’histoire qui nous scotche chapitre après chapitre. Le suspens est parfaitement maîtrisé, sans temps mort, avec cette épée de Damoclès qui flotte au-dessus de Jake, ce compte à rebours jusqu’à la date fatidique de l’attentat. Fantastique, espionnage, romance… tout est là pour former l’un des meilleurs romans de l’auteur. On referme le livre avec l’envie de refaire un tour à Lisbon Falls, au lycée de Jodie, dans la puanteur de Mercedes Street et dans la terrifiante Dallas. De la même façon que les évènements, les lieux raisonnent et se répondent. Au bout de 1000 pages on a l’impression d’y avoir vécu et Stephen King sait parfaitement jouer avec ce sentiment comme avec tous les autres que nous fait traverser 22/11/63. Déjà classique.