Le compositeur baroque Domenico Scarlatti, vénéré par les clavecinistes, a composé 555 sonates pour clavecin au long de sa vie, selon la classification en vigueur. Lorsqu'un inédit de Proust ou de Céline est retrouvé (exemples choisis au hasard...), un feuilleton judiciaire, éditorial et littéraire se met en branle ; et, comme on dit, agite le milieu. Hélène Gestern imagine la découverte d'une supposée 556ème sonate de Scarlatti chez un luthier parisien réputé. Cinq personnages liés au petit monde de la musique vont alors se mettre en chasse de la partition pour tenter d'en attester, ou non, l'authenticité.
Si l'écriture est simple et ne révolutionne pas la littérature, le procédé littéraire est implacable et l'intrigue se lit avec avidité. Le-a lecteur-rice suit l'enquête selon le point de vue des personnages qui défilent dans un ordre défini : l'ébéniste Grégoire Coblence, son associé luthier Giancarlo Albizon, la célèbre claveciniste Manig Terzian, le musicologue de la Sorbonne Rodolphe Luzin-Farge, et le richissime collectionneur Joris De Jonghe. Comme dans la musique baroque et ses fugues, les personnages avancent dans leur enquête, se croisent, se perdent, se retrouvent. Les chapitres sont courts : la mécanique est implacable. Chacun a une bonne raison de vouloir retrouver cette partition. On découvre leur histoire, leurs failles, leurs pertes. C'est un émouvant roman sur l'amour, la rupture, la perte, explorées sous différentes facettes.
Les meilleurs chapitres sont ceux de la claveciniste Manig Terzian : magnifiques sur la musique, ce qu'elle fait à qui la joue et qui l'écoute, très touchants sur la vieillesse et l'amour vieillissant, lui aussi. Il est très difficile d'écrire sur la musique, art fugace et insaissisable par essence, et pourtant, l'autrice y parvient magnifiquement en décrivant la puissance émotionnelle et mystique de la musique sur les êtres. C'est aussi l'occasion de découvrir l'univers musical si l'on ne le connaît pas : celui des luthiers et des restaurateurs, celui des solistes aux carrières fragiles, et aux vanités sans limite, mais aussi celui des universitaires, dont l'ego n'a rien à envier aux artistes. On retrouve dans ce roman le plaisir de l'enquête intellectuelle, ici musicale, comme dans les livres de Vassilis Alexakis sur l'epsilon de Delphes ou le premier mot.
Ne vous divulgâchez pas le plaisir de la résolution en regardant, comme moi, si le roman fait 555 pages : il est plus court. À lire en découvrant les sonates de Scarlatti ; jouées au clavecin, et pas au piano !