L’immature Lolita au troublant sex-apille

« Je voulais que ce livre soit écrit comme une mauvaise traduction de série B américaine », avait confié Lolita Pille lors d’une interview à propos de son troisième roman. Et peut-être aussi comme une excellente traduction de la personnalité d’écrivaine de son auteure, où malheureusement la balance penche plutôt du côté des tares.


Ce livre-qui fut, pendant longtemps, son dernier-, quitte les rivages de la semi-autobiographie à la première personne pour se faire plus ambitieux, universel; il choisit pour cela de s’inscrire dans le polar d’anticipation, genre hybride qui permet, à travers l’individualité d’une quête (le polar) de dresser un portrait d’une communauté, d’une société futuriste malade.


Autant le dire, et même si on constate que le sujet et le style ont mûri depuis « Hell », l’ensemble reste toujours aussi peu maîtrisé que dans le premier livre de la romancière: Pille empile de façon confuse les détails surgis de nulle part, les tergiversations, les évènements et sous-évènements, et par-dessus tout les effets de style, les phrases imagées mises là dans le but sincère de bien écrire. Quelquefois, ces tournures font leur effet, mais assez souvent cela donne des trucs comme celui-ci: « Leur étreinte eut quelque chose de collégien. Quelque chose d’un accrochage désespéré. Une volonté de s’agripper l’un à l’autre, de fondre leur métaux distincts en un seul, dont la classification chimique oscillait entre l’incendiaire et l’explosif. » Ou encore celui-là: « C’était ces yeux gris, presque transparents, dont la fixité semblait sans cesse lutter contre l’imminence des larmes où, de loin en loin, le rire et la joie passaient avec l’espérance de vie d’un coup de jus. » On finit par frôler l’indigestion...


Notons également cette propension à forcer le trait de l’univers représenté et de ce qu’il est censé dénoncer de notre monde actuel, jusqu’à la caricature: présenter une société qui ferait miroiter à ses citoyens un idéal d’ « hyperdémocratie » adaptée aux besoins de tout un chacun, en échange du renoncement à toute forme de liberté, et les inciterait à la surconsommation d’un soi-disant bonheur artificiel pour leur faire oublier la tyrannie qu’elle exerce sur eux était en soi une excellente idée, qui se trouve d’ailleurs bien exploitée à certains moments (voire le rôle des technologies dans la vie de chaque habitant de la Ville, ou plus simplement les rues et quartiers portant tous des noms de marques); mais la façon de montrer la détresse de la population et la corruption de ses élites, ou plus simplement de certains profiteurs du système, est souvent trop forcée pour faire vrai. Pille, qui semble avoir peur que son lecteur ne la comprenne pas, vient sur lui sur-signifier, de façon bien lourdingue, à quel point la situation des personnages de son roman est pourrie, à quel point leur désespoir, en même temps que leur espoir insensé d’un monde meilleur, est grand (là aussi, c’est une manie de son écriture qui n’a pas évolué depuis « Hell »). Pareil pour sa façon de mener son histoire à la façon d’un polar des années 50 : l’auteure grossit tellement le trait à coup de petites phrases sèches et de passages à base de virées dans des quartiers sordides que cette narration en devient pratiquement un cliché de polar des années 50, certes assumé comme elle l’a dit lors d’une autre interview, mais in fine pas très intéressant, puisqu’elle se contente de reprendre les codes du roman noir sans y ajouter grand-chose...


Et pourtant, ce livre a la moyenne. Parce que malgré les énormes défauts sus-cités, on ne peut nier une certaine sensibilité qui se dégage des pages, ainsi que ce qui m’a toujours plu chez cette écrivaine: une gouaille. Un côté forte tête, une envie de foncer dans le tas, d’être sans concessions. Il y a aussi ce cynisme désespéré, qu’on retrouve à nouveau chez son héros, cette quête d’un bonheur impossible à atteindre, d’une rédemption au travers d’un amour, certes réel, mais dont on ne pourra jamais jouir tout à fait, qui résonne à chaque fois de façon juste. On sent ici la personnalité de l’auteure se glisser en travers des pages, et donner (enfin) son identité à un livre très brouillon, melting-pot de références pas toujours bien digérées.
De cet aspect de ses livres, Lolita Pille sait toujours tirer quelque chose: aux belles phrases de fin qu’on avait pu lire dans « Hell » succèdent ici un chapitre d’introduction de haute volée (au style presque Nothombesque, d’ailleurs), ainsi qu’une impression diffuse de révolte, qui reflue de temps à autre, comme les vagues de la mer que notre personnage souhaite voir à tout prix. Impression qui encourage à poursuivre sa lecture et créé à certains moments un attachement entre « Crépuscule Ville » et son lecteur.


Ainsi sauvé de justesse de la médiocrité par la forte personnalité de sa conceptrice, ce livre reste un objet, certes difforme, mais étrangement sympathique. Le charme Pille, décidément, opèrera toujours.

DanyB
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le 15 août 2019

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Dany Selwyn

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