Dawa
6.8
Dawa

livre de Julien Suaudeau ()

Nous sommes EN GUERRE ! (prophétie auto-réalisatrice n°42) À moins de vivre dans une grotte, évidemment pas du côté de Tora Bora, difficile en effet d’échapper à la rhétorique guerrière, portée à l’incandescence par les attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray. Difficile de dire aussi ce que nous réserve l’avenir, surtout avec des journalistes qui courent, comme des poulets à la tête coupée, derrière la moindre émotion, et des politiques enferrés dans une posture belliqueuse qu’ils croient gaullienne. Bref, serrons les dents et les coudes avec un roman noir dont le propos interpelle à plus d’un titre.
L’argument de départ de Dawa ne manquera pas en effet de réveiller des échos douloureux. Un fanatique musulman décide de frapper Paris au cœur. Il planifie plusieurs attentats simultanés avec la complicité de cinq jeunes recrutés dans la cité des 3000. Lumpenprolétariat à la recherche d’un sens à donner à leur existence, ces gamins sont prêts au sacrifice pour une cause qui les dépasse, un islam fantasmé et violent.


Sans déflorer l’histoire, disons simplement que Julien Suaudeau a bien besoin de 550 pages pour démêler une intrigue où se mélangent islam radical et vengeance personnelle, le tout sur fond de géopolitique internationale et de manœuvres politiques. Du grand art qui n’est pas sans rappeler DOA.


L’auteur semble avoir anticipé les attentats qui ponctuent notre quotidien depuis janvier 2015. D’aucuns ont voulu y voir une manière de prédiction, ne retenant de l’histoire que la dérive d’un groupe de jeunes des cités sous l’influence d’un islam radical. Dawa se contente pourtant de mettre en exergue des faits amplement commentés et documentés depuis bien longtemps. Il illustre la faculté du roman noir à se saisir du réel de nos sociétés pour en dévoiler les angles morts et les fractures. En cela, Julien Suaudeau n’est guère éloigné d’un Dashiell Hammett lorsqu’il décrivait l’omniprésence de la corruption dans société américaine des années 1930 et la collusion entre la pègre et le politique.


Avec Dawa, il creuse l’Histoire du présent, s’attachant aux coulisses du pouvoir et des officines de renseignements dont les manœuvres cyniques guident plus sûrement la marche de la démocratie que les rendez-vous électoraux. Il n’oublie pas pour autant le « pays réel », ces banlieues désertées par la République, où s’applique une loi du marché régulée par le droit du plus fort. Il s’efforce également de désamorcer les discours simplistes autour de la radicalisation et du terrorisme, sans verser dans un angélisme malvenu. Dans ce contexte, le djihad apparaît comme l’opium des losers (dixit l’auteur lui-même dans une intéressante ITW). Une démarche illusoire donnant la sensation d’exister aux apprentis terroristes, au moins le temps d’un prime time.


Certes, on peut déplorer quelques facilités dans l’intrigue et la faiblesse des motivations intimes de quelques personnages. En dépit de ce léger bémol, on reste longtemps marqué par la pertinence et l’intelligence du propos.


Depuis Dawa, Julien Suaudeau est revenu à l’écriture avec Le Français, où il raconte la métamorphose d’un jeune Normand, devenu bourreau de l’État islamique. De quoi replonger, mais pas tout de suite…



« Je pense que le problème de ce pays n’est pas de nature culturelle
ou idéologique, mais sociale. Vous avez parfaitement le droit d’avoir
une vision magique du monde et d’être convaincue, à l’image de tous
vos collègues, que tout ira mieux lorsque vous serez aux affaire. La
réalité, dont les gens comme moi ont le devoir de se préoccuper, c’est
que les choses continueront à se dégrader, drones américains contre
djihadistes, tant que dix à vingt pour cent des Français croupiront
dans un état de misère morale et économique. Il n’y a pas de guerre
des civilisations, d’islam contre les valeurs occidentales. Il n’y a
que des pauvres, des culs-terreux au front épais et à la gamelle
creuse, dont la religiosité est un réflexe de fierté infantile, une
tentative de reconquête de soi face à un consumérisme qu’ils
identifient aux États-Unis et à Israël, parce qu’ils continuent à
s’appauvrir pendant que la rente engraisse. Vous pouvez rire, mais
croyez-vous que les talibans existeraient si le PIB des zones tribales
était dix fois supérieur à ce qu’il est ? Éduquez-les, soignez-les,
occupez-les, vous ne rencontrerez plus beaucoup de candidats au
martyre ou à l’émeute. »



Source

leleul
8
Écrit par

Créée

le 1 oct. 2016

Critique lue 247 fois

1 j'aime

leleul

Écrit par

Critique lue 247 fois

1

D'autres avis sur Dawa

Dawa
Matthieu_Marsan-Bach
7

Le Chaos des Humanités Écorchées

Entre Aulnay-sous-Bois et Paris, un terrible attentat se prépare sous l'intense surveillance d'un vieil homme ressassant sa vengeance, des montagnes de l'Algérie aux tours des cités, depuis près d'un...

le 16 janv. 2019

1 j'aime

Dawa
leleul
8

Critique de Dawa par leleul

Nous sommes EN GUERRE ! (prophétie auto-réalisatrice n°42) À moins de vivre dans une grotte, évidemment pas du côté de Tora Bora, difficile en effet d’échapper à la rhétorique guerrière, portée à...

le 1 oct. 2016

1 j'aime

Dawa
amaranth
9

Double vengeance

Dawa : en arabe, invitation au non-musulman à écouter le message de l'islam. En langage courant, signifie la plupart du temps, "gros bazar". Ici, c'est l'histoire complexe de deux hommes marqués par...

le 23 nov. 2015

1 j'aime

2

Du même critique

Knockemstiff
leleul
8

Critique de Knockemstiff par leleul

Knockemstiff. Le nom claque sec comme un coup de cravache. Dans cette bourgade typique de l'Amérique profonde, perdue au fin fond de l'Ohio, dans un coin paumé où même Dieu ne retrouverait pas son...

le 12 avr. 2013

9 j'aime

1

Gueule de Truie
leleul
2

Critique de Gueule de Truie par leleul

L'espoir fait vivre dit-on. On a envie de le croire, même si cet espoir fait plus souvent mourir comme en témoignent les nombreuses idéologies et croyances prônant un monde meilleur. Et si le...

le 27 févr. 2013

8 j'aime

1

Efroyabl ange1
leleul
9

Critique de Efroyabl ange1 par leleul

La mort récente de Iain M. Banks m’a beaucoup attristé. Par un hasard tragique, elle coïncide à peu de choses près avec la parution dans l’Hexagone de Feersum endjinn, roman intraduisible aux dires...

le 25 juin 2013

7 j'aime