Nous sommes EN GUERRE ! (prophétie auto-réalisatrice n°42) À moins de vivre dans une grotte, évidemment pas du côté de Tora Bora, difficile en effet d’échapper à la rhétorique guerrière, portée à l’incandescence par les attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray. Difficile de dire aussi ce que nous réserve l’avenir, surtout avec des journalistes qui courent, comme des poulets à la tête coupée, derrière la moindre émotion, et des politiques enferrés dans une posture belliqueuse qu’ils croient gaullienne. Bref, serrons les dents et les coudes avec un roman noir dont le propos interpelle à plus d’un titre.
L’argument de départ de Dawa ne manquera pas en effet de réveiller des échos douloureux. Un fanatique musulman décide de frapper Paris au cœur. Il planifie plusieurs attentats simultanés avec la complicité de cinq jeunes recrutés dans la cité des 3000. Lumpenprolétariat à la recherche d’un sens à donner à leur existence, ces gamins sont prêts au sacrifice pour une cause qui les dépasse, un islam fantasmé et violent.
Sans déflorer l’histoire, disons simplement que Julien Suaudeau a bien besoin de 550 pages pour démêler une intrigue où se mélangent islam radical et vengeance personnelle, le tout sur fond de géopolitique internationale et de manœuvres politiques. Du grand art qui n’est pas sans rappeler DOA.
L’auteur semble avoir anticipé les attentats qui ponctuent notre quotidien depuis janvier 2015. D’aucuns ont voulu y voir une manière de prédiction, ne retenant de l’histoire que la dérive d’un groupe de jeunes des cités sous l’influence d’un islam radical. Dawa se contente pourtant de mettre en exergue des faits amplement commentés et documentés depuis bien longtemps. Il illustre la faculté du roman noir à se saisir du réel de nos sociétés pour en dévoiler les angles morts et les fractures. En cela, Julien Suaudeau n’est guère éloigné d’un Dashiell Hammett lorsqu’il décrivait l’omniprésence de la corruption dans société américaine des années 1930 et la collusion entre la pègre et le politique.
Avec Dawa, il creuse l’Histoire du présent, s’attachant aux coulisses du pouvoir et des officines de renseignements dont les manœuvres cyniques guident plus sûrement la marche de la démocratie que les rendez-vous électoraux. Il n’oublie pas pour autant le « pays réel », ces banlieues désertées par la République, où s’applique une loi du marché régulée par le droit du plus fort. Il s’efforce également de désamorcer les discours simplistes autour de la radicalisation et du terrorisme, sans verser dans un angélisme malvenu. Dans ce contexte, le djihad apparaît comme l’opium des losers (dixit l’auteur lui-même dans une intéressante ITW). Une démarche illusoire donnant la sensation d’exister aux apprentis terroristes, au moins le temps d’un prime time.
Certes, on peut déplorer quelques facilités dans l’intrigue et la faiblesse des motivations intimes de quelques personnages. En dépit de ce léger bémol, on reste longtemps marqué par la pertinence et l’intelligence du propos.
Depuis Dawa, Julien Suaudeau est revenu à l’écriture avec Le Français, où il raconte la métamorphose d’un jeune Normand, devenu bourreau de l’État islamique. De quoi replonger, mais pas tout de suite…
« Je pense que le problème de ce pays n’est pas de nature culturelle
ou idéologique, mais sociale. Vous avez parfaitement le droit d’avoir
une vision magique du monde et d’être convaincue, à l’image de tous
vos collègues, que tout ira mieux lorsque vous serez aux affaire. La
réalité, dont les gens comme moi ont le devoir de se préoccuper, c’est
que les choses continueront à se dégrader, drones américains contre
djihadistes, tant que dix à vingt pour cent des Français croupiront
dans un état de misère morale et économique. Il n’y a pas de guerre
des civilisations, d’islam contre les valeurs occidentales. Il n’y a
que des pauvres, des culs-terreux au front épais et à la gamelle
creuse, dont la religiosité est un réflexe de fierté infantile, une
tentative de reconquête de soi face à un consumérisme qu’ils
identifient aux États-Unis et à Israël, parce qu’ils continuent à
s’appauvrir pendant que la rente engraisse. Vous pouvez rire, mais
croyez-vous que les talibans existeraient si le PIB des zones tribales
était dix fois supérieur à ce qu’il est ? Éduquez-les, soignez-les,
occupez-les, vous ne rencontrerez plus beaucoup de candidats au
martyre ou à l’émeute. »
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