À l’instar de Daemon, Dernier meurtre avant la fin du monde mélange indistinctement le polar à la SF, mais avec une proximité temporelle tehnico-sociale si proche que la frontière en demeure mince. En l’occurrence, même pas d’avancée technologique à signaler puisqu’à l’inverse Ben Winters nous décrit une régression, dans le genre pré-apocalyptique. Même si l’aspect polar prédomine, l’aspect SF du sous-genre l’imprègne tout entier, insidieusement.
Car le contrepied de ce roman vient du fait que l’humanité SAIT. La catastrophe sera bien là, le fait est confirmé par les plus grandes instances scientifiques du monde et qu’elle ne sera même pas du fait de l’homme ; aucune ambiguïté possible. Inéluctabilité oblige, les 333 pages sont empreintes d’un profond pessimisme, présent dans chaque chapitre et toutes leurs subdivisions, dans une insistance créant une ambiance particulièrement sombre. Le plus sombre étant non pas la prolifération de petites gimmicks inévitables dans le genre (exaltés religieux, négationnistes, complotistes…), mais bel et bien la résignation dans laquelle s’enferment les personnages. Hank Palace et son obstination inébranlable, Naomi Eddes et le poème qu’elle n’achèvera jamais, Andreas et sa fragilité patente… tout une bande faisant peine à voir.
L’auteur ne commet même pas le piège des temps verbaux, puisque son récit est conté au présent de narration ; le lecteur nage dans l’instantanéité et la perspective constante de l’avenir, et les rares incursions à l’imparfait ne servent qu’à ressasser le passé de l’inspecteur. Toute l’enquête tient également à la succession de « petits indices » ou tout autres éléments couplés d’adverbes de faiblesse. Ben Winters ne s’écarte ainsi jamais de sa ligne fataliste à l’extrême. A ce moment-là le lecteur pourrait ainsi se demander si continuer sa lecture en vaut vraiment la peine, puisqu’il en connaît l’inévitable conclusion.
Mais c’est au contraire ce qui manque précisément à Dernier meurtre avant la fin du monde : une temporalité plus large. L’enquête s’étend sur tout juste deux semaines, sans aller jusqu’à la date de la catastrophe, et la tension vécue en parcourant le récit ne s’avère finalement que de nature policière, la tension apocalyptique n’arrivant finalement pas à son terme… Il s’agit bien évidemment d’une trilogie littéraire, cette fameuse fin arrivera donc bel et bien plus tard, mais retarder ainsi de plus en plus l’échéance en atténue considérablement la tragédie, pour le lecteur en tout cas.