Jeremy Cook, linguiste misanthrope, solitaire et désabusé, est un homme de paradoxes. A la fin de sa première aventure, on le quittait tandis qu’il convolait avec celle qui, pensait-il, l’avait traité de « parfait trou du cul ». Dans sa deuxième, on le laissait, célibataire endurci, recoller les morceaux d’un couple brisé. Et dans cette troisième aventure ? On regarde, sourire triste aux lèvres, son petit monde se fissurer, ses convictions s’évaporer. Si l’amour dure trois ans, c’est un maximum : Cook est un chercheur raté, un petit homme sans ambition, un sans-amis en perpétuelle galère de thune. On n’aurait pas pensé qu’il en arriverait là. On n’aurait pas cru que son histoire d’amour partirait en vrille. Ni qu’il en reviendrait à ses premières (d’amours), l’étude du langage des bébés, avec cette petite fille qui répète en boucle « putain con » en guise de cobaye. Le dessin de couverture pose bien l’ambiance : Cook, au milieu des ruines fumantes de sa vie à même pas 35 piges. C’est clair, des erreurs ont été commises.
Mais il y a Ben. Ben est encore plus mal que lui. Ben, par un triste coup du sort, est un riche industriel sur la paille. Avec ses quatre filles et sa femme Susan, Ben est dans la merde sévère. Ben est un prince déchu : celui de la noix. Jeremy et Ben vont se rencontrer. Tout ça n’a aucun sens. Aucun, si ce n’est cette thématique commune de l’erreur. Peu importe de quand elles datent : de deux, cinq ou dix ans, toutes finissent par retomber sur la figure de ceux qui les ont commises. David Carkeet, lui, s’amuse, en petit Dieu inique et moralisateur, à faire tomber ses personnages, à ébrécher leur monde trop propre et leurs certitudes trop confortables. Derrière l’humour gentil, son troisième Cook est un roman sarcastique et crépusculaire sur les apparences trompeuses du bonheur. L’auteur est prêt à en découdre. Le lecteur, lui, se demande un peu ce qu’il fait là : tout semble gratuit, décousu, aléatoire. Jeremy Cook est relégué au rang de personnage secondaire. On ne comprend pas vraiment ses motivations, on ne sait pas ce qui fait avancer l’intrigue. Et si le véritable héros était Ben ? Ou Susan ? Ou l’une de leurs filles ? Ou cet employeur excentrique et fou qu’on rencontre au début, sorte de version 2.0 du Pillow de l’épisode précédent ? Et puis : qu’est-ce que c’est que cette fin ?
Derrière un nihilisme de façade assez surprenant qui marque une rupture de ton avec les deux précédents volumes, The Error of Our Ways dissimule peut-être, en fait, un petit problème plutôt embêtant. Beaucoup de personnages entrent et sortent du récit sans raison, beaucoup de pistes sont ouvertes et refermées avec négligence. La linguistique, thème habituellement récurrent eu égard à la profession du héros, est ici muselée, intervenant sans trop de raison, laissant le lecteur incapable de tracer le trait d’union entre des enjeux dramatiques dispersés (je ne vais pas spoiler, mais ils sont très nombreux, souvent laissés sans conclusion). Et, même si on se régale toujours du style fin et accessible de Carkeet, on se dit que sa nouvelle formule manque de cohérence et de piquant, un peu comme si ce livre avait été écrit en pilote automatique. On peine à comprendre les raisonnements de Cook, lui d’habitude si transparent et attachant, ici plus cynique et désabusé, en proie pourtant à d’inexplicables élans d’altruismes injectant un optimisme artificiel dans un roman cynique. Le dénouement, saisissant d’humour noir, peine quant à lui à recoller les pièces du puzzle. Des erreurs ont été commises, c’est sûr (note : de typo notamment, carton rouge à l’éditeur pour la version ebook). Cela fait bizarre de se dire que la trilogie Jeremy Cook se conclut ainsi, brutalement, un peu gauchement peut-être. C’est d’autant plus dommage que le livre se dévore d’une traite, comme ses aînés, et qu’il réussit à faire passer une morale complexe, certainement beaucoup plus roublarde qu’attendue, dont on ne peut dire, avec certitude, si elle est optimiste ou profondément destructrice.