Un livre autobiographique qui m'a réellement transporté.

La navigation commerciale au XIXème siècle a une aura d'aventure, et on en a une vision très romantique si l'on est ignorant de la chose. A la fois, le roman de Dana est bourré d'aventures, mais aussi de désenchantements, ramenant le lecteur à la dure réalité de la condition de matelot. Dana, l'auteur, est un fils de bonne famille, qui, malade, quitte l'université et s'engage comme simple matelot, pour se revivifier. Dana part de Boston pour un long voyage, double le Cap Horn, puis passe ensuite presque deux ans sur les côtes californiennes à aller de baies en baies, dans une zone restreinte, à charger des peaux, et parfois reste de longs mois à terre dans des entrepôts perdus dans cette région hostile, à traiter ces mêmes peaux. Monotone et difficile, on est loin du voyage au grand large... pourtant l'ambiance maritime est très puissante, dans les rencontres, les personnages décrits, de la noblesse espagnole/mexicaine décadente (pour Dana) aux Indiens tant californiens que des "Îles Sandwich". En passant par des matelots, lieutenants, seconds, capitaines, agents de commerce de toutes sortes, de toutes origines, aux histoires hautes en couleurs ou tristes à pleurer. Cette ambiance aussi, d'une Californie déserte en 1835, ponctuée de missions espagnoles et de petits villages approximatifs comme Los Angeles ou Santa Barbara. Quand on sait ce que sont ces villes aujourd'hui, on voit, par opposition, l'incroyable explosion urbaine des Etats-Unis depuis un siècle et demie.

Dans le roman de Dana, on voit où échoue la conquête de l'Ouest, sur les côtes du Pacifique, quand la Californie n'est pas encore américaine.

Le livre en lui-même est fort bien mené, avec beaucoup de réflexions du temps sur la condition sociale du marin, la hiérarchie du bord et la société californienne. Néanmoins, le bouquin par moments regorge de termes techniques dont la profusion rend le lexique inutilisable. Je pense que ça peut vraiment rebuter. Ou alors, comme ce fut heureusement mon cas, on peut décider de passer au-dessus pour suivre et vivre le récit humain, en se laissant juste bercer par les noms poétiques des voiles, des cordages et des manœuvres, lors des passages ardus. Si l'on y arrive, le bouquin accroche vraiment, et les 600 pages de l'édition de poche passent comme un charme. La fin est particulièrement palpitante, avec la dernière peau chargée, on ressent avec Dana l'impatience du retour après ces très longs mois californiens; on partage les émotions des marins qui quittent la baie dans un dialogue de "Hourras!" avec les autres bateaux qui y restent ancrés, et ont encore de longs mois de service sur ces côtes à récolter des peaux, on frémit aux prémisses du passage du Cap Horn en plein hiver lors du retour et on vit l'appréhension qui monte à son approche tumultueuse...

Cet écrit autobiographique d'un jeune homme de la société bourgeoise de Boston est aussi intéressant dans les ambiguïtés et les omissions volontaires du narrateur, quant à son jugement sur la vie bourgeoise à Boston, à son positionnement dans cette société brutale et fruste, et à ses relations avec les autochtones, en particulier les femmes. En creux, et malgré le témoignage engagé en faveur du monde des marins de Dana, on peut aussi lire tout ce que ce jeune homme, reprenant sont droit après deux ans comme matelot, ne peut se permettre d'écrire -ou de ne pas écrire- dans un livre qui sera édité, et lu par ses pairs, tant bourgeois que marins...

En tous cas, un chouette bouquin qui transporte définitivement et avec conviction dans un monde qu'on connaît si peu, bien qu'il soit fort ancré dans nos imaginaires.
dadujones
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le 19 janv. 2012

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dadujones

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