Il y a quelques mois, j’ai rêvé que Claire était morte et que toute ma vie s’éteignait.
J’imaginais son corps sans vie, renversée par une voiture, alors qu’elle rentrait de soirée pendant que je dormais. J’imaginais les premiers jours sans elle, les questions incessantes, les questions sans réponses, les regards compatissants, les condoléances, la culpabilité, les heures qui passent et la vie qui ne s’arrête pas, les vêtements qui traînent, les affaires dans l’appartement qu’on ne peut se résoudre à jeter, l’enterrement, les larmes, et la certitude de ne plus jamais sourire un jour. Je me suis réveillé en sueur, Claire dormait à côté de moi, paisible et belle. Ce n’était qu’un cauchemar. Heureusement.
C’est ce qu’aimerait penser Gabriel, j’imagine, dans « Fidèle au poste » d’Amélie Antoine.
Les premières pages du livre pose le décor. On assiste, en spectateur passif, à la noyade accidentelle de Chloé, dans la baie de St-Malo, lors d’une baignade matinale. On regarde, en voyeur impuissant, l’inquiétude, la détresse monter peu à peu chez Gabriel, son mari, qui l’attend à la maison. Et l’on scrute du coin de l’oeil, l’arrivée d’Emma, jeune photographe qui rêve d’humanitaire et de gloire sur papier glacé, et qui se retrouve dans une association « Traverser le Deuil » comme bénévole. Voilà, l’histoire est lancée. Moteur, action. Trois personnes, trois voix, trois destins qui se coupent et se rejoignent, au fil des chapitres, au fil des mois. Le lecteur regarde les scènes s’enchaîner. Zap. Gabriel souffre, Gabriel pleure, il erre dans la maison et se laisse dépérir. Il sent la présence de sa femme, il a parfois l’impression qu’elle est là, qu’elle l’observe, sans rien dire. Zap. Chloé est morte, Chloé est muette mais Chloé regarde son mari couler peu à peu et perdre pied. Zap. Emma, qui accompagne Gabriel dans son deuil, Emma qui tombe peu à peu amoureuse, Emma qui fait rire Gabriel, lui qui ne faisait que pleurer, qui lui change les idées, lui qui commence à avoir des doutes sur la fidélité de sa défunte épouse. Zap. Chloé, qui de l’autre côté du miroir, voit son mari reprendre goût à la vie, et qui est jalouse à en crever mais qui ne peut rien dire. Zap. Emma qui se retrouve face à un dilemme cornélien, tiraillée entre ses envies professionnelles et ses désirs amoureux. Zap. Gabriel, qui demande à Emma d’aménager chez lui. Zap. Zap. Zap. Jusqu’au moment où. Jusqu’au moment où. La réalité se brouille et l’envers du décor apparaît. On pense à « Sixième Sens » mais il n’en est rien, on pense à « Gone Girl » mais il n’en est rien non plus. « Fidèle au poste » n’est pas qu’une histoire d’amour, loin de là, c’est avant tout une histoire sur le deuil, sur la perte de l’autre, c’est une histoire d’ambition et de vanité, de rêves de gloire et d’argent facile, c’est une histoire sur le besoin d’exister aux yeux du monde, quitte à mourir, quitte à tout foutre en l’air. A la fin de ce livre, on reste scotché, déboussolé par le programme que l’on vient de voir, que l’on vient de lire. L’écriture d’Amélie Antoine est simple, eficace, nul besoin de figures de style à outrance pour faire passer le message. C’est clair, net et précis. A découvrir, donc.
Lorsque j’ai commencé ce blog, en début d’année, je pensais ne parler que de mes livres classés par ordre alphabétique dans ma bibliothèque. Mes Indispensables, mes Coups de cœur, afin de vous donner envie de les lire, les relire. Je ne pensais pas être contacté par des auteurs, des auteures pour parler de leurs œuvres. Et pourtant. Je remercie vivement Amélie Antoine de m’avoir écrit et m’avoir donné l’occasion de lire ce livre. Et je suis persuadé, que comme moi, une fois que vous l’aurez lu, vous resterez « Fidèle au poste » dans l’attente de ses futurs ouvrages.
Vincent Lahouze