D'un entraîneur total
Il a fallu longtemps, et surtout en France, pour que le sport devienne un objet d’étude à part entière. Méprisé, décrié par les intellectuels, le sport n’a finalement pris son ancrage dans la...
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le 12 sept. 2015
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Il a fallu longtemps, et surtout en France, pour que le sport devienne un objet d’étude à part entière. Méprisé, décrié par les intellectuels, le sport n’a finalement pris son ancrage dans la sociologie, la philosophie et la science que tout récemment (notamment à travers les travaux de Norbert Elias et Eric Dunning (‘Sport et civilisation : la violence maitrisée’)). En ce qui concerne le football en France, il faut attendre l’Euro 1984 et surtout la Coupe du Monde 1998 pour que le public et les médias autres que spécialisés commencent à s’y intéresser massivement. Néanmoins, les « footeux » sont toujours décrits comme des caïds irresponsables, tout juste bons à aligner deux mots d’une platitude navrante en conférence de presse – alors que les questions des journalistes sont évidemment d’une intelligence rare… Des magazines comme SoFoot ou Les Cahiers du football s’attèlent depuis des années à rendre intellectuel ce sport qui ne l’est pas pour la plupart des gens. L’exemple du livre de Thibaud Leplat est assez frappant.
Leplat est un des correspondants de SoFoot à Madrid. Il dresse ici une biographie de Josep ‘Pep’ Guardiola, ancien entraîneur du FC Barcelone et actuel du FC Bayern. Leplat avait déjà écrit une biographie de l’alter-ego diabolique de Guardiola en la personne de José Mourinho (‘Le Cas Mourinho’), récit peu intéressant et assez faiblement documenté sur la vie du Special One. Le manque flagrant d’informations tactiques était à déplorer. Leplat écrit donc entre 2014 et 2015 une nouvelle biographie, celle de Guardiola, prophète du football depuis son arrivée comme entraîneur à Barcelone en 2008. Pour rappel, entre cette date et 2012, Guardiola a gagné quatorze titres, dont un hallucinant sextuplé en 2009 (championnat, coupe, Ligue des Champions, Supercoupe d’Espagne, Supercoupe d’Europe, Coupe du monde des clubs). Une autre Ligue des Champions est venu couronner ce palmarès en 2011, après avoir torpillé Manchester United en finale – Alex Ferguson lui-même dira que cette équipe de 2011 était la plus forte qu’il n’ait jamais affrontée. Depuis 2013, après une année sabbatique, Guardiola est l’entraineur du FC Bayern et double champion d’Allemagne sans aucune contestation possible tant la domination de son équipe hybride germano-espagnole est frappante.
Leplat décide donc de s’intéresser à cet homme, entraîneur novice à son arrivée, génie quelques mois après, cerveau d’une des plus grandes équipes de l’histoire du sport. Son enfance catalane rapidement abrégée, le livre se penche en détails sur son rôle dans la Dream Team entraînée par Johan Cruyff dans les années 1990, équipe qui présente déjà des similitudes avec celle de Guardiola des années plus tard. La différence entre les deux s’est faite au niveau de la méthode qu’a apportée Guardiola, après des mois passés à rencontrer des professionnels du sport (football comme autres sports) et des « personnalités » (Zapatero, Kasparov…). Ces passages du livre de Leplat sont les plus intéressants car ils permettent de voir l’étendue de la passion du personnage.
L’auteur adopte une position intéressante car nécessairement biaisée par son amour pour le club rival du Barça, c'est-à-dire le Real Madrid. Humilié et offensé 2 – 6 à Bernabeu en 2009, le Real offre un « septième titre » à son ennemi de toujours. Leplat prend comme postulat de départ à son histoire un lundi soir de novembre en 2010, où Barcelone reçoit le Real au Camp Nou, pour ce qui deviendra le plus grand match de l’entraîneur Guardiola : un massacre unilatéral, une leçon en mondovision devant 400 millions de téléspectateurs et cent mille Catalans en tribune, pour une victoire 5 – 0 et le sentiment que cette équipe est injouable. Malgré tout, cette équipe procure de l’envie et de l’intérêt même chez le fan du rival honni.
Passé les faits, c’est sur cet aspect que Leplat joue le plus dans son livre, et c’est véritablement ce qui m’a le plus gêné. Leplat use et abuse du symbolisme pour tenter de légitimer intellectuellement le football, qui, sans être le jeu décrié par les poujadistes de tout bord, n’est pas non plus le parachèvement intellectuel de l’humanité. Que Guardiola ait lu Edgar Morin pour construire sa méthode de management sportif, cela ne fait aucun doute ; que l’auteur s’attelle à nous le rabâcher à tous les chapitres, c’est peu conseillé. Guardiola est décrit comme un mythe, confirmant le proverbe que « nul n’est prophète en son pays ». Il a du se battre contre des egos surdimensionnés (Eto’o et Ibrahimovic au Barça, tout le board du Bayern) pour finalement montrer au monde entier qu’il détenait la solution pour bien jouer au football et gagner. Néanmoins, le livre se termine sur une note sinistre, avec la volée prise par le Bayern face au Real (1 – 0 puis 0 – 4, demi-finales de Ligue des Champions 2013 – 2014, Real futur vainqueur de la compétition), mais aussi et surtout pour la mort de Tito Vilanova, ancien assistant et proche de Guardiola. Cette année encore, le Bayern a été broyé par le Barça au même stade de la compétition européenne, avec un match indigeste des Bavarois au Camp Nou (énormes risques défensifs face au trio d’attaque infernal de l’adversaire, aucune initiative et de la possession pour la possession (si Mourinho était allé jouer comme ça dans un match d’une telle importance, les critiques n’auraient pas été tendres)).
Outre ces égarements, ce que cette critique veut signaler et pointer du doigt dans le livre de Thibaud Leplat, ce n’est pas l’évidence même du charisme de Guardiola, ni de ses résultats sportifs, ni de sa construction intellectuelle. L’homme est cultivé, ne connait pas que le football et s’insère à merveille dans ce melting pot qu’est Barcelone (aussi bien en sport que la ville en général). Néanmoins, attribuer un symbolisme extravagant pour tout et n’importe quoi finit par nuire au propos, qui était pourtant plutôt bien construit et documenté. Le style de Leplat est le même que l’on retrouve dans ses articles sur SoFoot : beaucoup trop intellectualisé pour ce qui ne reste finalement que « la bagatelle la plus sérieuse du monde » (Christian Bromberger). Ce n’est pas dérangeant, mais s’en tenir à une simple analyse sportive et tactique aurait été davantage bienvenue, sans chercher incessamment à titiller ce « comme un symbole » cher aux journalistes médiocres.
PS : il est aussi dommage que le livre ne consacre pas plus de pages aux gigantesques affrontements entre le Barça de Guardiola et le Real de Mourihno, notamment à ces Clasicos ahurissants du printemps 2011, d’une intensité parfois à la limite de la violence, mais dont on peine aujourd’hui à retrouver une trace. Sans doute que ces détails se trouvent dans un autre des livres de Leplat, ‘Barcelone – Real Madrid, la guerre des mondes’.
PPS : à lire aussi la causerie d’avant-match de Guardiola aux joueurs du FC Bayern, en février 2014, avant d’affronter à Londres Arsenal en huitième-de-finale aller de Ligue des Champions (‘Herr Pep’, de Martí Perarnau, aussi disponible dans le hors-série tactique de SoFoot).
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le 12 sept. 2015
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