Il y a des livres qui m'ont sauvé la vie, comme Le K (Dino Buzzati), Jonathan Livingston le goéland (Richard Bach) ou mon recueil de poèmes de Verlaine. Et il y en a d'autres qui ont failli la détruire.
J'ai lu ce livre lors d'une période de ma vie où j'étais particulièrement fragile : j'avais 15 ans, j'étais au lycée et même si je savais depuis tout petit que j'étais différent, je ne savais absolument pas en quoi.
C'est alors que je suis tombé sur ce livre, et ça a été la révélation : j'étais simplement surrefficient ! Surdoué ! Hypersensible ! Cerveau droit ! Et oui, tout ça à la fois, même si certains de ces termes ne veulent rien dire scientifiquement ! Tout content de moi, je lisais ce livre en pensant que mon cerveau était supérieur (même s'il fallait rester humble, évidemment), que j'avais une grande morale, un grand sens de la justice... C'est LE livre dont j'avais besoin, j'en étais addict, il me rendait heureux et me rassurait sur toutes mes difficultés et mon sentiment d'être étrange.
Si seulement j'avais su que j'étais entièrement bercé de mensonges.
Tout d'abord, le QI en soit ne veut pas dire grand chose. Né dans des circonstances loin d'être superbes (les créateurs voulaient à l'origine prouver qu'il y avait des gens supérieurs à d'autres), il ne mesure qu'une partie de l'intelligence : l'intelligence logique, mathématique, et éventuellement linguistique. Quid de l'intelligence émotionnelle, musicale, empathique... ? Donc oui, les surdoués existent, mais le QI ne dit RIEN sur leur comportement, leurs goûts ou leur empathie. Le QI signifie juste qu'il y a des chances que vous soyez doués à l'école (et encore).
Ensuite, l'idée que certaines personnes utilisent plus leur cerveau droit que leur cerveau gauche (ou vice versa) n'a aucune réelle preuve scientifique (à moins que l'on ait des lésions sur une partie du cerveau, voir l'excellent livre L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau), tout comme la pensée en arborescence : ce ne sont que des suppositions, que Petit Poisson (Petitcollin, Petit Poisson, t'as vu je suis drôle haha) impose comme des vérités absolues.
Et surtout, SURTOUT : toutes les caractéristiques que Petit Poisson définit comme propres aux surrefficients (hypersensibilité, sentiment d'être différent...) sont soit des caractéristiques très vagues (je vous met au défi de décrire de manière scientifique ce qu'est exactement un sens de la justice aigu), soit des caractéristiques qui sont en fait propres à d'autres troubles : par exemple, avoir un humour très différent ou une tendance à prendre les choses au premier degré sont des traits typiquement autistiques, et la difficulté à se concentrer pour lire un livre en entier et lire des livres uniquement en diagonale et en loupant des pages ou au contraire en relisant des pages en boucle sont des traits typiques du TDAH. D'ailleurs, si vous vous sentez surrefficient, je vous conseille VIVEMENT de vous renseigner sur l'autisme ou le TDA, car il est (très) probable que vous le soyez.
À l'époque, j'étais allé chez un psy qui m'avait dit que j'étais probablement autiste ; mais je ne le croyais pas : j'avais tous les critères de la surrefficience ! Et être surrefficient était bien plus rassurant qu'être autiste : être autiste, ça implique d'avoir des difficultés sociales, des stims, des intérêts spécifiques, des hypersensibilités sensorielles, des meltdowns et shutdowns, alors que le seul défaut d'être surrefficient est d'être différent, ou d'être trop honnête. Oui, être surrefficient, c'est rassurant car il n'y a que des points positifs, ou des faux points négatifs ("vous vous sentez à part à cause de votre trop grand sens de la justice").
La surrefficience est un mythe savamment orchestré par un Petit Poisson qui, comme tous les charlatans de la psychologie, a pris des traits positifs de neurotypiques (gens sans troubles mentaux) et de neuroatypiques (autistes, TDA, TOCs...), les a décrits de manière très vague et les a compilés dans un livre très simple à lire et non scientifique pour que toutes les personnes jetant un coup d'œil sur la quatrième de couverture s'y reconnaissent et l'achètent. Méchant poisson.
À défaut d'être un livre scientifiquement correct, c'est un magnifique exemple de l'effet Barnum (plus d'informations sur cet effet ici : https://www.youtube.com/watch?v=l2nj2O6yBnQ&t=92s).
Il est aussi un très bon candidat pour ce qu'Alistair dénonce dans cette vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=gqWGtNQUzIc&t=155s
C'est un livre dangereux, que je ne conseillerais à personne (à part ceux intéressés par l'effet Barnum) et surtout pas aux adolescents perdus qui sont neuroatypiques sans le savoir.