Être un écrivain, c'est avoir en permanence ce regard distancié, ce recul sur toute chose et sur chacun, à tout moment. De cela découle souvent (mais pas toujours) une faculté d'observation qui seule permet l'analyse.
Enfin, et c'est le point essentiel, il faut avoir la capacité de restituer le fruit de ses observations à travers le prisme infernal d'un mélange de finesse et de justesse qui saura toucher un public à priori indifférent, public plus prompt à sa pâmer pour ceux qui ont déjà été remarqués par la critique ou le plus grand nombre, pour ceux-la mêmes, parfois, qui nous ont inspirés et nous ont donné un jour envie d'écrire.
Et je ne parle du courage et du temps pour se lancer dans l'aventure d'un premier roman.

Stanislas Wails possède toutes ces qualités.
Au delà des petits défauts qui émaillent le roman dans sa première partie, l'évidence, éclatante, s'impose: ceci est un vrai roman, et son auteur est un vrai écrivain.

Une mauvaise conscience tenace m'ayant aidé à vaincre une intimidation ancestrale, je me suis plongé depuis le début de l'été dans quelques grands classiques français et russes.
Ironie de l'apparition de cette "maison Matchaiev", son auteur semble devoir se situer (modestement, dirait-il, sans doute) exactement au carrefour de ces différentes écoles. Pourtant c'est un sentiment beaucoup plus Proustien que Dostoievskien que m'a inspiré la lecture de ce récit touchant. Une façon de constamment comparer une situation avec une autre pour mieux en faire ressortir les singularités, mieux nous faire comprendre ce que nous sommes, comment et pourquoi nous agissons et réagissons.
Ce qui me donne absolument foi dans la capacité de Wails d'écrire d'autres très bons (et encore meilleurs ?) livres, c'est cette justesse, cette faculté de décortiquer avec une précision diabolique des personnages aussi différents que ceux qui nous proposés ici. La palette d'individus est si large et si justement traitée dans son ensemble (la fratrie, mais aussi ceux qui gravitent autour, Roman par exemple !) qu'on ne doute à aucun moment que la suite sera passionnante.

Je parlais plus haut de petits défauts. La première partie du livre est a mon sens émaillée d'un peu trop de situations légères, à l'origine de dialogues sonnant très juste mais donnant parfois une impression de fragilité fleurtant parfois avec de la futilité.
Mais cette impression est assez rapidement balayée par la suite, une deuxième partie de roman dont chaque moment nous traverse par touches de lumières, de sensations, d'odeurs et de moments forts qu'une qualité d'écriture rend immersifs.
Les membres de la famille sont aussi différents que peuvent l'être des étrangers, pour autant, ce qui les lie est plus forts que ce qui les sépare.
On fait partie du clan Matchaiev en fin de récit, soit parce qu'on s'est identifié à les des trois membres de la famille, soit et c'est plutôt mon cas, parce qu'une partie de chacun d'entre eux nous appartient et nous ressemble.

J'aime conclure mes critiques littéraires par deux ou trois petits extraits qui, mieux que toutes les laborieuses phrases que je serai capable d'écrire, donneront envie, je le souhaite ardemment, à celui qui est en train de me lire, de plonger dans ce roman. Des petits moments, en tout cas, qui, ici ou là, en guise d'exemple, m'ont particulièrement plu.

"La pluie devint soudain très forte, c'était une de ces averses qui viennent déchirer sans crier gare les premières journées claires et paisibles du printemps, comme pour rappeler aux infortunés humains qui commençaient à s'habituer à la présence du soleil, que le bonheur n'a de valeur que si pèse sur lui à chaque instant le danger de disparaître."

"Le paquet se terminait par des photos de ses parents datant d'avant sa naissance, photos qu'il répartit avec la même célérité. Mais la dernière, il ne put s'empêcher de la tenir quelques secondes entre ses doigts. Il calcula qu'au moment où elle avait été prise, Sergueï et Dolorès étaient plus jeunes que lui aujourd'hui. Assis sur un lit, visiblement heureux et insouciants, ils fixaient tous les deux l'objectif avec une expression de défi. Pierre n'osa les regarder trop longtemps dans les yeux: non de peur de se noyer dans leur passé, mais au contraire de leur révéler l'avenir, puisque lui désormais, depuis l'autre rive du temps, le connaissait."
guyness
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le 18 sept. 2011

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