Première hypothèse : les lecteurs de ce livre


Le titre incite à imaginer une intrigue de bas niveau. Il n’en est rien. En 142 pages, aucune scène directement scatologique n’est à déplorer. Tout juste remarque-t-on un moment où l’un des personnages se permet une blague de ce type aux dépends d’une inspectrice. Celle-ci n’y voyant que du feu, c’est franchement amusant. On apprécie la finesse de la situation qui permet aux trois personnages qui travaillent dans cette pissotière d’un quartier londonien de partager un moment de réelle connivence.


Deuxième hypothèse : Warwick Collins


Il est vrai qu’il affiche un certain goût pour les titres à tendance provocatrice, puisqu’il est également l’auteur de Fuckwoman (2002). A sa décharge, le titre original du roman qui fait l’objet de cette critique est le très sobre Gents qui indique juste que les toilettes en question sont pour hommes. Le fait est qu’une proportion notable des usagers vient à cause de la réputation du lieu : toilettes fréquentées par les homosexuels.


Troisième hypothèse : les homosexuels


Elle illustrerait une association d’idées entre la « saleté » des pratiques et la saleté du lieu. Cette hypothèse ne tient pas non plus. Si des homosexuels viennent à cet endroit, ce n’est certes pas pour bavarder devant une tasse de thé (contrairement aux employés qui adoptent cette tradition so british avec un incroyable naturel), mais bien pour s’isoler à deux (ou plus) dans un endroit relativement discret, pour des activités à caractère sexuel. Si ces activités ne sont pas décrites (le narrateur, employé de la pissotière, ne peut qu’évoquer ce qu’il aperçoit sous les portes), le texte en parle (sur un ton étonné qui évite la crudité). Les trois protagonistes ont leur code pour évoquer ces clients particuliers : ils les appellent les reptiles. Parce qu’ils considèrent que les reptiles se faufilent à des endroits où on ne peut plus les déloger et qu’ils ont le sang froid. Les employés (par la mairie), leur font la chasse (d’eau ?) en tentant de les effrayer ou de les placer dans des positions trop inconfortables. Que la fréquentation du lieu soit due à une minorité montrée du doigt est mauvais pour la réputation. La consigne est claire, il faut que cela cesse. Ce ne sera évidemment pas sans conséquences. En résumé, si les homosexuels viennent là, c’est tout simplement parce que c’est un des rares lieux où ils peuvent se rencontrer et non à cause d’un penchant pour le nauséabond.


Quatrième hypothèse : les jamaïquains


Les employés de l’établissement sont tous trois d’origine jamaïquaine. En déduire que les jamaïquains se complairaient dans les excréments serait absurde. La narration évoque plutôt des odeurs de propre et l’usage d’eau de Javel pour maintenir le carrelage immaculé. Que l’endroit favorise des rencontres que la majorité réprouve n’est pas du fait des jamaïquains. Ils luttent contre cette tendance, avant même qu’on s’en inquiète en haut lieu. En réalité, ils n’ont pas trop le choix. Les emplois qu’ils occupent sont pour eux l’occasion de s’intégrer dans la société londonienne et on les observe désireux de bien faire. Si l’un est le chef, le second se montre très astucieux et le narrateur, nouvel arrivant, ne demande qu’à trouver sa place dans l’équipe. La perversité, car perversité il y a, vient de l’extérieur. Les jamaïquains veulent conserver leur emploi, les homosexuels un lieu pour se rencontrer et la mairie une réputation inattaquable. Comment concilier des intérêts si divergents ?


Extrait (Chap. 6) :


« Il devint un expert dans la reconnaissance des bruits désincarnés, aussi sensible qu’un animal. Il savait qu’il était possible de dire, d’après le seul son, quelle cabine s’était ouverte ou fermée. Les portes des dix-sept cabines formaient comme une gamme musicale. Chaque espace creux qu’elles enfermaient avait une fréquence différente. L’écoulement de la chasse d’eau dans la cabine 3 émettait un autre son que celui de la cabine 11. Il arrivait parfois à deviner la masse ou le poids de l’individu qui occupait cette cabine d’après la forme des légers bruits dans l’espace enclos, le cliquetis d’une boucle de ceinture, le glissement du pantalon, le soupir d’apaisement. »


Avec ce roman qui se boit comme du petit lait, Warwick Collins amuse, distrait et met le lecteur dans sa poche, ce qui lui permet de prêcher tranquillement la tolérance. La pissotière tire son existence des besoins naturels de l’homme. A qui la faute si les besoins naturels de certains vont jusqu’à la recherche de rapports homosexuels ? Si cette tendance était mieux acceptée, ces hommes n’auraient pas besoin d’un tel lieu pour se rencontrer. Et si les jamaïquains arrivaient en Angleterre dans de meilleures conditions, peut-être trouveraient-ils des emplois plus épanouissants. Quant aux dirigeants de la ville, ils pourraient négliger cette histoire de réputation s’ils ne pensaient pas à de futures élections.

Electron
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le 25 nov. 2019

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