Je ne vais pas cacher ma fascination pour Muriel Barbery : c'est à mes yeux l'autrice française qui maîtrise le mieux la langue à l'heure actuelle ; à tel point que, si j'avais la possibilité de discuter une toute petite heure avec une personnalité vivante, elle ferait partie des trois premiers noms qui me viendraient en tête. Juste pour lui demander : "Comment faites-vous pour écrire aussi bien ?"
Oui mais voilà, il faut savoir adapter l'écrit à l'histoire, la forme à la matière.
Lorsqu'il s'agissait du défi d'écrire sur ce qu'on ne sait d'ordinaire formuler en mot, sur ce qui échappe à l'univers du langage - le goût, la saveur, la senteur, la sensation - une langue belle et riche est le meilleur atout.
Lorsqu'il s'agissait de retranscrire les pensées d'une concierge incroyablement intelligente et cultivée, ou les idées d'une enfant surdouée en quête de sens, une maîtrise parfaite de la langue est un outil merveilleux, et même le seul outil possible.
Mais lorsqu'il s'agit de décrire le quotidien de deux fillettes, ou de planter le décors d'un monde fantastique complètement inconnu du lecteur, cette langue devient un sérieux handicap. Plus que cela même, elle devient un obstacle.
Tant que Muriel Barbery joue les philosophes écrivaines, en mettant en mot ce qui échappe au quotidien du lecteur, sa langue est une lumière : elle révèle, dessine les contours d'une expérience quotidienne et réelle mais hélas inaperçue, avalée par la routine et ses nécessités prosaïques. L'autrice devient une véritable artiste, un guide, un prophète qui donne à savoir au lecteur ce qu'il ignore ignorer sur lui-même. C'est merveilleux.
Mais quand elle joue les écrivaines fantastiques, sa langue repousse le lecteur. Par moment, on ne comprend même plus ce qu'on lit. On tente tellement de décortiquer les phrases, que le sens, la description, le monde décrit, la situation présentée que l'on doit comprendre pour la suite nous échappe. C'est alambiqué, lourd, abscons. Et inutilement alambiqué, lourd et abscons. On veut comprendre, on veut cerner ce monde d'elfes, ces conseils, ces histoires. Mais on est écarté.
Alors certes, on a parfois l'impression de lire du Giono, et c'est magnifique. Mais Giono savait retourner à une langue simple, parfois même argotique et familière, quand il faisait parler des gens simples, ou quand l'action le nécessitait. Ici, on a même la mauvaise surprise d'avoir des dialogues aussi alambiqués que les descriptions des liens vibratoires unissant les fillettes en train de créer un pont entre deux mondes coexistant ! C'est un cruel manque de pertinence que l'on explique mal. Même les scènes d'action sont alourdies, appesanties... Quelle longueur !
Non. C'est raté, c'est mal équilibré, mal pensé, mal préparé peut-être. En fait, c'est peut-être trop bien écrit pour une simple fable enfantine.