« Soudain, Goon rugit comme Tarzan en montrant un car à deux étages, plaques allemandes et palmiers peints sur la carrosserie, qui prend de l’élan sur la voie d’entrée de l’autoroute. A l’arrière, une silhouette familière. » Cette silhouette, c’est Bierrot qui a faussé compagnie au groupe et s’est enfui à bord d’un car de touristes étrangers. L’histoire vient de démarrer et déjà tout part à la dérive ! Après une halte dans un relais autoroutier, un des adolescents handicapés a profité de l’inattention de Julia, l’éducatrice débordée et occupée à régler une histoire de vol de peluche saint-bernard pour prendre la poudre d’escampette. Le ton est donné : entre comédie burlesque et enchaînement de péripéties se dessine un road trip totalement improbable, où les personnages hauts en couleur se font attachants. Loin de ce qu’on lui connaît d’habitude, le romancier suisse Thomas Sandoz s’est attaqué avec La balade des perdus à un genre difficile à maîtriser, celui de l’humour. Et le résultat ? Décapant !
Cinq éclopés sur la route
Dans cette bande de joyeux lurons maladroits, il y a Pauline la sensible, Bierrot qui veut câliner toutes les femmes qui croisent sa route, le géant Goon que seule la musique peut calmer et enfin Luc, le narrateur, qui n’a comme seul problème que celui d’être en fauteuil roulant, sa tête fonctionnant parfaitement. Il livre d’ailleurs un autoportrait féroce : « Je ressemble à une poupée qu’on aurait trempée dans l’eau bouillante, rosâtre et ridée, bouffie et tremblotante. » Mais si le minibus doit rapidement retourner au foyer, c’est car Luc presse tout le monde. Et pour cause, il veut effacer toute trace de sa vie virtuelle, puisqu’il est bien malgré lui à l’origine d’une réforme de la ministre de la Santé. Prodiguant des conseils sur un forum sous le pseudonyme de Dr GoodLuck, il veut éloigner les médias de sa piste. Car maintenant, tout le monde veut retrouver la trace de celui qui a orchestré cette réforme ! Si les péripéties et déconvenues s’enchaînent, tout cela se fait sur fond de politique. Mais c’est plus un prétexte qui sert de moteur à l’action qu’un véritable enjeu. Au travers de ces «Monstres et Cie», comme les appelle le narrateur, Luc dresse ainsi un tableau peu reluisant de notre époque, tout en autodérision.
Le rythme gaguesque des Charlot et la tendre folie de Tex Avery
On a connu Thomas Sandoz avec des sujets bien moins joyeux : Même en terre (Prix Schiller en 2011) traitait des enfants décédés, Malenfance du désamour d’une mère et Croix de bois, croix de fer questionnait les dérives du missionnariat. Pour aborder l’humour, l’écrivain chaux-de-fonnier ne change pas son style ; très pur, limpide, sans excès de verbiage, Thomas Sandoz construit une langue sensible qui tend la phrase. Alors qu’habituellement le style de Sandoz creuse les émotions pour mettre à vif les sens, enrobant le tout d’une profonde mélancolie, il use ici son phrasé pour délivrer des chutes improbables, sans pour autant qu’elles sonnent faux. Les situations deviennent de plus en plus cocasses, mais Sandoz ne surcharge pas le style et c’est ce qui rend ce texte extrêmement jouissif. Avec La balade des perdus on retrouve l’atmosphère des grands départs de vacances qui tournent à la catastrophe, le rythme gaguesque des Charlot et la tendre folie de Tex Avery. C’est une lecture drôle et où l’on prend plaisir à voyager aux côtés de ces éclopés, qui ne peut que faire passer un bon moment de lecture. Le seul bémol est peut-être que cela ne va pas au-delà de l’humour.
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