Mercredi 2 décembre 2020.
C’est le début du second déconfinement. Il fait beau.
Les librairies et les bibliothèques rouvrent enfin. Tant mieux car j’ai faim.
J’ai faim de savoir. J’ai faim de culture. J’ai faim de distraction.
Alors en sortant du boulot je me rends dans la librairie juste à côté de chez moi.
Je passe de rayon en rayon. Je regarde. Je m’imprègne.
Je cherche ce qui pourrait me stimuler l’esprit…
Et je vois… « ça. »
Lilian Thuram. « La pensée blanche. »
Déjà je sens une petite larme couler métaphoriquement sur mon visage.
Lilian Thuram, chez moi, c’est le héros de France-Croatie.
C’est le gai-luron à l’esprit caustique des vestiaires des « Yeux dans les Bleus ».
C’est ce capitaine – encore aujourd’hui le plus capé – qui revient pour sauver les meubles en 2006 aux côtés de Zidane et de Vieira.
C’est ce défenseur solide sur lequel se sont construites les meilleures équipes de son époque : Parme, la Juve, Barcelone…
Lilian Thuram, chez moi, c’est un monsieur du foot.
Et moi ça m’emmerde toujours quand mes idoles sont écornées.
…Surtout quand elles contribuent à s’écorner toutes seules.
La « pensée Thuram » je la connaissais déjà un peu avant de me retrouver nez-à-nez avec cette « Pensée blanche ».
Je savais que c’était triste. Je savais que c’était bête. Mais je ne pensais pas que ça pouvait s’étaler sur plus de 300 pages.
Que pouvaient contenir 300 pages de pensée de Lilian Thuram ?
La curiosité morbide l’a malheureusement emporté sur tout le reste.
Je me suis fait du mal.
J’ai pris ce livre et j’ai commencé à le lire.
Première information que j’adresse d’ailleurs à toutes celles et à tous ceux qui seraient attiré(e)s par ce bouquin pour les mêmes raisons que moi : l’introduction suffit.
Tout y est. Pas besoin d’aller plus loin.
Tout le reste n’est que déclinaison ad nauseam de la même bêtise. Des mêmes carences…
Car le vrai problème de Lilian Thuram – comme tous les gens qui peinent à cheminer intellectuellement – c’est que ses raisonnements sont perpétuellement entravés par une incapacité chronique à penser contre lui-même.
L’anecdote d’ouverture est à elle seule des plus révélatrices.
Alors qu’il était invité à une conférence, Lilian Thuram relate ce moment où un conférencier fait la remarque suivante : « Je regrette qu’il n’y ait pas assez de femmes. »
A cela, Thuram répond : « Non le problème c’est qu’il y a trop d’hommes. » …s’étonnant au passage du malaise qu’il installe avec un tel correctif.
Ce malaise, il l’explique tout de suite de la manière suivante : le dominant n’est pas habitué a être ciblé comme étant le problème. Trop souvent on traite de la question de la discrimination en s’intéressant au discriminé mais sans traiter du discriminant. Et de là en déduit-il qu’il faut arrêter de questionner les Noirs et de commencer à questionner les Blancs.
L’enjeu du livre, nous dit-il, sera de faire prendre conscience aux Blancs qu’ils sont blancs.
Et sur ce point encore, Lilian Thuram s’étonne que ses homologues blancs ne comprennent pas la nécessité de cette démarche, voire se crispent…
Ce que Lilian Thuram n’a visiblement pas compris, c’est que ce qui choque quand on préfère dire « il y a trop d’hommes » plutôt qu’il n’y a « pas assez de femmes », c’est qu’en procédant ainsi, on remplace une notion d’inclusion par une notion d’exclusion.
Or, il se trouve que toute la pensée Thuram est construite sur cette logique-là.
Pour Lilian Thuram, le meilleur moyen d’intégrer c’est d’exclure.
Le meilleur moyen de vivre fraternellement c’est de rappeler tout ce qui nous divise.
Et surtout, le meilleur moyen de lutter contre le racisme, c'est de faire en sorte que tous ceux qui ne perçoivent pas leur couleur de peau comme quelque chose d'essentialisant – comme les Blancs – apprennent désormais à le faire systématiquement.
Voilà donc tout le projet de cet ouvrage : nous inviter à prendre conscience de ce qu’est d'être « Blanc ».
…Et il y a donc 300 pages au total.
Autant vous prévenir à l’avance : accrochez-vous, ça va être un festival.
Lilian Thuram commence d’abord par nous expliquer comment ce qu’on nous enseigne à l’école est un pur concentré de culture blanche visant à exprimer l’esprit de domination et de soumission des Blancs. Et c’est la Géographie qui se retrouve la première en ligne de mire.
En effet, Lilian Thuram nous invite à regarder ces planisphères qui placent l’Europe en haut – en position supérieure – et comment ces mêmes planisphères agrandissent artificiellement les continents blancs pendant qu’en parallèle, ils rétrécissent l’Afrique afin que celle-ci apparaisse encore plus petite que la Russie…
Alors pour la gouverne de Lilian Thuram, il faut qu’il sache qu’on ne peut pas représenter intégralement et fidèlement un objet sphérique de manière plane. C’est impossible. Forcément il y aura des déformations quelque-part. Sur les projections de Mercator qu’on utilise en Europe, on a décidé de déformer vers les pôles et de préserver les régions équatoriales, c’est vrai. Mais que Lilian Thuram se cultive un peu : chez les Australiens, sur les cartes qu’ils utilisent, l’Europe est en bas. En Amérique, c’est l’Amérique qui est au centre. Et sitôt est-il question d’évoquer des évènements se déroulant dans un hémisphère plutôt que dans un autre qu’on préfère utiliser des projections polaires, comme c’est le cas dans les manuels scolaires relatant de la Guerre froide.
Tout ce que je viens d’expliquer là, c’est du niveau 6e.
Pour le coup, je pense que Lilian Thuram va devoir se mettre à la page assez vite s’il ne veut pas tomber dans le panneau de ceux qui voudront lui faire croire que les planisphères actuels cherchent à affirmer la suprématie raciale des manchots empereurs tout ça parce que l'Antarctique est le continent le plus artificiellement grossi sur les cartes européennes.
Quelques pages plus loin, c’est l’Histoire qui se retrouve ensuite visée.
Lilian Thuram lui reproche de poser la culture gréco-romaine comme le point de départ de l’Humanité, au point que même au Japon, on commence aussi les programmes d’Histoire avec l’étude de l’Égypte antique, preuve – s’il en fallait encore – qu’il « s’agit bien de proclamer que le monde gréco-romain est le début de toute l’humanité ». (Oui je l’ai notée celle-là parce qu’elle est quand-même belle.)
…Quoi ? …Vous avez l’impression d’avoir loupé un épisode là ?
Bah OK, alors on va reprendre ensemble.
D’une part Lilian Thuram nous explique qu’en Europe, les leçons d’Histoire commencent avec l’étude de l’Égypte. Et d’autre part Lilian Thuram nous explique que l’Égypte, c’est le monde gréco-romain.
Alors soit, je peux encore entendre qu’après Alexandre le Grand et César, l’Égypte fait partie intégrante du monde gréco-romain, mais je ne crois pas que ce soit de cette Égypte là dont veuille nous parler Lilian Thuram.
Car l’Égypte qu’on enseigne en 6e, c’est celle qui se développe près de trois millénaires avant la fondation de Sparte, d’Athènes et de Rome (et qui n’a rien à voir avec le monde gréco-romain) et d’autre part – désolé de l’apprendre à notre champion du monde adoré – mais en 6e, en France, on ne commence pas les cours d’Histoire avec l’Égypte mais… avec les premiers Humains. (…Et c’était déjà le cas quand moi j’étais en 6e, et ça remonte à plus de vingt ans l'air de rien.) En d’autres mots – quand bien même on peut reprocher beaucoup de choses aux biais contenus dans les programmes d’Histoire – le fait est que, concrètement, ce qui est « proclamé » à l’école comme étant le début de l’Humanité… eh bah c'est le début de l’Humanité quoi.
Passé la page 50, j’ai commencé à lire en travers.
Malgré tout, j’ai quand-même pu capter à droite et à gauche des belles perles.
Ici, Lilian Thuram s’insurge qu’on puisse encore dire aujourd’hui que Christophe Colomb a découvert l’Amérique alors qu’il y avait déjà des Amérindiens qui vivaient sur ce continent. Et pour justifier son affirmation, Thuram prend comme référence un bouquin de 2007 écrit par Marie-France Schmidt, une prof d’Espagnol. A ce régime là, autant aller jusqu’au bout de la démarche et prétendre qu’on continue en France de présenter la colonisation comme une œuvre civilisatrice et citer Eric Zemmour...
Un peu plus loin on nous parle de la dette infligée à Haïti par la France pour que lui soit remboursée son manque à gagner lié à la fin de l’esclavage ; dette qui existe bien et qui a bien été formulée en ces termes. Mais au petit jeu de kicélégentils et de kicéléméchants on aurait peut-être pu préciser qu’avant ça, au temps de la République, c’est cette même France qui avait aboli l’esclavage pendant qu’en parallèle, le fameux Toussaint Louverture – le grand « libérateur » de la cause noire – s’était bien gardé de supprimer la traite négrière qui l’enrichissait grassement.
Encore plus loin on nous explique comment la France a pu signer la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, condamnant l’esclavage, alors que quelques années plus tard elle réprimait toujours un soulèvement à Madagascar. Soit, mais il faut qu’on m’explique où est le rapport là. C’est quoi le lien entre l’esclavage et la répression d'un mouvement autonomiste ? Sitôt la République lutterait-elle contre des mouvements souverainistes qu’elle pratiquerait sitôt une forme d’esclavage ? Qu’on m’explique…
Et puis enfin, un peu en fin de bouquin (mon préféré) il y a cette merveilleuse histoire que nous raconte Lilian Thuram qui est censée illustrer le racisme latent en France. Ça se passe en Bretagne, une femme burkinabè va à l’hôpital pour accoucher. Une fois son enfant mis au monde, elle réclame auprès du personnel soignant le cordon ombilical de sa progéniture afin qu’elle puisse satisfaire un vieux rituel propre à sa culture. Seulement voilà, les infirmiers n’étant pas au courant, ils ont jeté le cordon. Cette femme s’est ainsi retrouvée meurtrie jusqu’au plus profond de son âme à cause de ce grave sacrilège porté à l'encontre de sa culture.
Donc si je comprends bien : cette histoire là est donc typique du racisme qu’on connait aujourd'hui en France, c’est ça ? Le racisme d'aujourd'hui, ce sont des gens qui maltraitent des femmes africaines en ignorant leur coutume ?
Aurait-on pu envisager que la mère informe le personnel soignant de ses coutumes avant de venir accoucher dans une région où celles-ci sont inconnues ? Bien sûr que non ! Ce sont ces vilains Bretons qui sont fautifs ! Eux qui ne savent que bouffer des kouign-amanns et boire du chouchen au lieu de s’instruire sur les us-et-coutumes des milliers de civilisations et tribus du monde ! #paysdefascistes.
Voilà donc ce qu’est la « Pensée blanche » de Lilian Thuram.
C’est du bon vieux sophisme qu’on enchaine à tour de bras, sans avoir peur un seul instant du ridicule.
C’est du « cherry-picking » à l’envie qui ne peut fonctionner que sur des incultes comme peut l'être Lilian Thuram lui-même.
Parce que bon, si le bon Lilian avait un minimum de culture sur le monde dans lequel on vit, il n’oserait jamais demander aussi gaillardement – dans le cadre d’une réflexion sur le racisme anti-blanc – qu’on lui cite un seul pays où on incite à violenter les Blancs !
…Parce que s’il avait de la culture, il saurait qu’on pourrait lui en citer !
Moi, par exemple, je peux lui sortir le Zimbabwe de Robert Mugabe. Et Robert Mugabe c’était pas du petit ressentiment anti-colonial hein ! C’était du genre « le seul homme blanc qu’on peut croiser dans notre pays doit être un homme mort » ! (Et on est en période post-coloniale à cette époque hein. Je tiens à le préciser…)
Mais Lilian Thuram sait-il qui est Robert Mugabe ?
Sait-il placer le Zimbabwe sur une carte ou bien peine-t-il à le faire à cause de ces planisphères de Blancs qui rétrécissent trop l’Afrique ?
Parce que bon, au jeu du « je veux bien voir ce qui m’arrange » on pourrait en découvrir des choses ne serait-ce qu’en se baladant sur le continent africain !
On en parle par exemple de l’amour fraternel que se vouent les Baoulés, les Bétés et les Dioulas en Côte d’Ivoire ? …Ça aussi c’est une démonstration que le racisme c’est une pure production de la pensée blanche ou bien c’est moi qui ai loupé un épisode ?
Ah mais non, suis-je bête ! Le racisme n’en est un que lorsqu’il est systémique. Et le racisme n’est systémique que lorsqu’il est produit par les Blancs sur les Noirs.
Pardonnez-moi j’avais oublié… Ça doit être à cause de ma « fragilité blanche ».
En fait, « La pensée blanche » de Lilian Thuram, c’est une bonne vieille illustration du principe de la paille dans l’œil du voisin et de la poutre qu’on a dans le sien.
A vouloir absolument démontrer qu’il y a du racisme blanc, Lilian Thuram oublie qu’il produit lui-même du racisme tout court.
Et oui j’insiste parce que je pense qu’il faut qu’on se le tienne pour dit : ce bouquin est juste raciste. Point barre.
Quand Lilian Thuram s'intrigue en début d'ouvrage que son pote Pierre s'identifie plus spontanément comme « normal » plutôt que comme « blanc », notre champion du monde adoré n'a pas l'air d'accepter le fait qu'on puisse n'accorder que si peu de considération à sa couleur de peau, alors que pourtant ça devrait être l'idéal de tout penseur anti-raciste.
Non, pour Lilian Thuram, Pierre DOIT se percevoir comme blanc.
Du point de vue de Lilian Thuram, l'antiracisme ne consiste donc visiblement pas à faire en sorte que l'homme noir soit lui-même perçu avant tout comme « normal ». Non, pour son cas à lui aussi il va falloir qu'il reste noir avant tout.
Et Lilian Thuram semble y tenir à son identité raciale. Il EST Noir, et c'est un présupposé identitaire qu'il impose d'ailleurs immédiatement dans la discussion.
L'échange relaté avec le fameux Pierre commence d'ailleurs ainsi et il ne faudrait pas l'oublier : « Pierre. Je suis bien Noir. On est d'accord ? »
En conséquence, qu'on n'ait pas peur de le percevoir et de le dire : à vouloir absolument conserver son identité noire et à chercher à imposer des identités raciales à tout le monde, Lilian Thuram ne cherche pas à nous éloigner du racisme. Au contraire il cherche à le systématiser.
A un moment donné, quand ç’en a le goût et quand ç’en a l'odeur, il faut savoir prendre la peine de tirer les conclusions qui s'imposent.
Car à bien tout prendre, par cet ouvrage, Lilian Thuram nous démontre bien une chose sur ce qu'est au fond la pensée racialiste.
C'est une pensée qui a besoin de tordre le réel pour exister.
C'est une pensée qui ne sert qu'à coller des étiquettes sur les gens ; à distribuer les bons et les mauvais points.
C'est une pensée qui dit qui excuser parce qu'il est victime et qui condamner parce qu'il est coupable... Et tout ça par essence.
Qu'on se le tienne pour dit : Lilian Thuram est tout sauf un penseur de l’émancipation.
C'est même tout l'inverse.
Lilian Thuram est quelqu’un qui ne veut pas quitter ses chaînes.
Lilian Thuram ne veut pas perdre son statut de victime. Il en a fait une identité, un mode de vie. Il n’a que ça.
Perdre ça, c’est soudainement devoir abandonner une sorte de totem d'immunité.
C'est devoir faire une croix définitive sur la culture de l'excuse.
C'est apprendre à vivre à égalité avec tout le monde, et à co-exister selon des bases communes.
C'est un effort à faire sur soi - c'est certain - mais c'est un effort que Lilian Thuram ne veut pas faire.
Au fond les distinctions raciales lui vont très bien. Car le racisme a cet avantage qu’il est une pensée simple, accessible, et à laquelle il est habitué.
Rester Noir c’est pouvoir rester soi, sans avoir à faire l’effort de se remettre en cause.
C’est se complaire au fond de la caverne au lieu de se risquer à la pleine lumière.
…Et c’est blâmer les Blancs si la lumière lui apparait comme aussi aveuglante.
En fait, par cet ouvrage, Lilian Thuram ne fait qu’exprimer une pensée d’esclave.
Ses chaînes lui vont très bien. Il sait que sans elles, il est nu. Il sait que sans elles il n’a rien à dire. Rien à faire valoir.
Alors au lieu de partir se risquer dans le royaume universel des idées, Lilian Thuram, comme beaucoup d’autres, prône la fragmentation afin de rester roi sur son île plutôt que d'appeler à l'union d'un archipel culturel dans lequel il ne pèserait plus rien.
Et je trouve ça merveilleusement ironique de chercher à fonctionner ainsi, parce que c’est justement le fondement même du racisme : diviser pour dominer, exclure pour exister, et hiérarchiser pour justifier le fait que les règles ne valent pas de la même manière pour tout le monde…
Comme je le disais en début de cette critique, au fond, tout ce qu’est ce livre tient en son intro.
Et au final, tout pourrait se résumer en cet étonnement que Lilian Thuram entend formuler dès les premiers lignes : « les Blancs semblent ignorer qu’ils ont une couleur. »
Eh bien face à cette exaspération qu’exprime Lilian Thuram j’aurais tendance à vouloir répondre par une autre.
Non Lilian. Ce ne sont pas les Blancs qui ignorent qu’ils ont une couleur, ce sont juste les anti-racistes qui considèrent que la couleur de peau des gens ne les définit pas.
Et quand tu dis qu' « il est intéressant de constater qu’on étudie l’art nègre (sic), la pensée noire, la musique noire. » te demandant du coup « pourquoi serait-il interdit d’étudier la pensée blanche, la littérature blanche, la musique blanche ? », moi j'aurais tendance à te répondre que les éléments de réponse à ta question se trouvent justement dans les termes que tu emploies.
Est-ce que tu es vraiment sûr de vouloir adopter la même logique que ceux qui parlent d' « art nègre » ?
Franchement, qui parle encore comme ça aujourd’hui ?
Dans quel monde vis-tu ?
Au niveau de qui entends-tu te rabaisser quand tu décides d'étudier les choses en termes de « pensée noire » contre « pensée blanche » ?
Pourquoi ne pas simplement étudier la pensée tout court, la littérature tout court et la musique tout court ?
Ne serait-ce pas plus simple ?
Ne serait-ce pas éviter bien des imbroglios ?
Parce que bon, avec ta grille de lecture raciste, on risque très vite de ne plus s’en sortir.
Par exemple, Camus, c’est de la littérature blanche ou pas ?
Et Benny Goodman, c’est de la musique noire ou pas ?
Crois-moi, mon cher Lilian, avant de te lancer dans la pensée noire ou blanche, essaye d’abord la pensée tout court. Tu verras : tout le monde s’en portera mieux, toi le premier.
Après en avoir suffisamment lu, ce bouquin, je l’ai reposé sur son présentoir, l’esprit morne.
Le cœur triste.
Étonnamment il a fallu qu’à ce moment-là, quelqu’un que je ne connaissais pas me voie le livre en main.
Il s’est mis soudainement à sourire et me disant : « Ah Lilian Thuram ! France-Croatie ! J’oublierai jamais… »
Son sourire était sincère. Son intervention spontanée.
Il avait dû seulement voir le visage du champion affiché sur la couverture, mais pas le titre.
Je n’ai pas voulu effacer ce sourire-là. Je n’ai pas voulu dire à cet homme ce que contenait l’ouvrage ; lui expliquer que derrière le footballeur de talent se cachait un esprit étriqué qui prône tout l’inverse de ce que France 98 a su incarner.
Je n’ai pas voulu briser l’icône.
Je n’ai pas voulu lever l’illusion…
J’ai voulu sauver cet instant…
Tu vois Lilian… Encore aujourd’hui, spontanément, quand les gens pensent à toi, ils pensent à l’homme, au sportif, au champion.
Aux yeux de ces gens là, ta couleur de peau est un détail comme peut l’être ta taille ou ta pointure de chaussure.
Elle n’est qu’une donnée qui te compose sans te caractériser.
En devenant un champion, tu as bien plus œuvré contre le racisme qu’en écrivant ton torchon.
Donc la prochaine fois qu'il te prend l’envie d’écrire, dans l’intérêt de tous, je t’en prie, penses-y à deux fois.
Parce qu’au fond, l’expression de sa pensée, c’est un petit peu comme le sport de haut niveau, mieux vaut laisser ça aux champions…