Le Château blanc (Beyaz Kale) est le troisième roman d'Orhan Pamuk. Il succède à Cevdet Bey et ses fils et La Maison du silence et précède Le Livre noir. Il a été publié en 1985 et a été publié en français en 1996 dans une traduction de Münevver Andaç. L'auteur, futur prix Nobel de littérature a 33 ans lorsqu'il l'achève.
Le livre est dédicacé à Nilgun Darvinoglu, personnage fictif de La Maison du silence que les lecteurs attentifs reconnaitront. En effet, le livre que nous nous apprêtons à lire aurait été écrit par Faruk Darvinoglu, frère de Nilgun, et personnage également de La Maison du silence. On se souvient que dans La Maison du silence, Faruk, le frère qui boit beaucoup passe beaucoup de temps aux archives de Guebzé à lire de vieux documents en tant qu'historien. Ici, il décide de faire un livre des documents qu'il a retrouvé. Nous assistons donc à un certain type de mise en abyme : un récit dans le récit.
Nous basculons immédiatement au chapitre suivant à l'époque du Sultan Mehmet IV dit "le chasseur". Un voyageur italien qui se trouve sur un bateau est capturé par les ottomans. Il arrive à sauver sa vie en utilisant ses connaissances de médecine et se faire passer pour médecin. Il sera présenté à un Pacha qui le présentera à un Maître qui lui ressemble comme une goute d'eau. Il finira par être mis au service du Maître, mais c'est du Maître qu'il deviendra le maître puisqu'il lui apprendra tout ce qu'il sait. Il finira par être présenté au Sultan. Avec le Maître, après avoir été médecins, ils deviendront astrologues, artificiers, vont écrire des histoires puis vont construire une machine de guerre, du genre Léonard de Vinci, tout en faisant des études philosophiques et psychologiques sur la question centrale dans ce livre de la connaissance de soi.
Ici, Pamuk aborde la question de la connaissance de soi par l'angle du double, me semble-t-il pour la première fois dans son œuvre. Ses lecteurs attentifs le savent, cela deviendra par la suite une véritable obsession, puisque ce sera le cas également dans son livre suivant, Le livre noir, avec le personnage principal qui est à la recherche de son oncle disparu et qui tendra peu à peu à se confondre avec lui. Ce sera également le cas dans le livre d'après, La Vie nouvelle où le personnage principal se mettra à la recherche de premier petit ami de sa petite amie qui a disparu, et qui, après avoir enquêté sur sa vie, prendra sa place de plusieurs manières. Ce sera également le cas dans Neige où le narrateur, cette fois-ci Pamuk lui-même reconstitue un épisode de la vie du poète Ka. Enfin, dans Mon père et autres textes, Pamuk fait certaines révélations sur sa relation à son père et cette valise d'écrits que celui-ci lui aurait confié qui éclairent sur son obsession du thème du double, de l'identification à l'autre, de la jalousie, du rapport amour/haine etc.
Pamuk pour la première fois également décide de se plonger dans un passé lointain (XVIIè siècle), chose qu'il refera par la suite dans Mon nom est rouge. Comme dans Mon nom est rouge, il s'agit d'une relation entre maître et élève, même si ici, cette relation est inversée. ce récit m'a d'ailleurs rappelé par moments celui de la consœur de Pamuk, Elif Shafak, L'Architecte du Sultan par un certain nombre de similitudes : un étranger arrive à Istanbul et se retrouvera au service du Sultan, mais deviendra également apprenti d'un maître. Le sultan du livre de Pamuk aime d'ailleurs beaucoup les animaux.
On trouve également dans ce livre un long passage sur la peste qui sévit à Istanbul et qui annonce son dernier ouvrage en date, Les Nuits de la peste. La manière dont il décrit le déroulement des événements est presque en tout points, sinon pour l'époque, similaire.
Enfin, ce thème du double, l'italien qui va, bien qu'il refuse d'abandonner sa religion devenir de plus en plus turc, et le turc qui va apprendre toutes les histoire de l'italien jusqu'à se faire passer pour lui, et inversement, semble vouloir montrer aussi, symboliquement, ou du moins métaphoriquement, la relation de la Turquie et en particulier Istanbul, située entre deux continents à elle-même et à ces deux continents que sont l'Europe et l'Asie, l'Orient et l'Occident.
Ce livre fait partie des livres courts de Pamuk, comme La Maison du silence ou La femme aux cheveux roux, mais pas de ses meilleurs, comme quoi ce n'est pas la longueur d'un livre qui fait l'ennui. Au final, le problème de ce livre est que si l'idée, le concept sous-jacent est intéressant, la manière dont il est traité, le résultat est ennuyeux et extrêmement redondant. Ce livre est à ranger dans les livres de Pamuk que j'ai le moins aimés aux côtés du Livre noir, de La Vie nouvelle ou de Cevdet Bey et ses fils. Comme dans ces livres, Pamuk privilégie son concept, et pour cela, dans une démarche post-moderne, il prend une distance telle vis à vis de l'histoire et de ses personnages qu'on a du mal à s'identifier et entrer dans le récit. Chose qu'il parviendra tout de même à faire plus tard - dans une certaine mesure - dans Mon nom est rouge ou Cette chose étrange en moi. Enfin, ne vous attendez pas à trouver d'histoire d'amour ici comme dans Le Musée de l'Innocence.
Quant à moi, je conclue ici ma lecture de tous les romans de Pamuk dont je me suis efforcé de livrer à chaque fois des critiques (inégales). Il ne me restera plus désormais qu'à lire ses essais et livre de souvenirs que sont Istanbul, d'Autres couleurs ou l'Innocence des objets en attendant que sorte son prochain roman et en espérant qu'il soit meilleur que Les Nuits de la Peste.