Ce livre n'est pas d'Ibn Arabi mais de Awahad al-dîn Balyânî, et en comparant les thèses du Traité de l'unité aux textes du natif de Murcie, nous voyons bien la différence.

Le Traité de l'Unité propose une métaphysique audacieuse : seul Dieu existe, rien d'autre n'existe. Cette assertion est assénée sur vingt pages, avec au final peu d'arguments, un refus de discuter et de prendre au sérieux les objections d'autres théologiens, et une accusation un peu délirante : tous ceux qui pensent que des êtres existent à part Dieu seraient des associateurs et des idolâtres. C'est un peu fort de café, c'est un sophisme complet : ce n'est pas parce que nous affirmons des existences individuelles, que nous posons des équivalents ontologiques à Dieu. Ibn Arabi à qui le traité a été faussement attribué, l'avait très bien compris : dans La Sagesse des prophètes, il construit un schéma ontologique qui comprend Dieu, les Idées universelles qui sont ses intermédiaires et les existences individuelles. Il soutient la nécessité d'affirmer la transcendance et l'immanence de Dieu à la fois, dans un geste quasi hégélien qui dialectise l'Absolu et le monde. Il explique que Dieu est à la fois incomparable (théologie négative) et analogique, avec un accent pré-thomiste. Nous sommes loin du dogmatisme de Awahad al-dîn Balyânî qui ne voit même pas qu'en niant toute différence entre Dieu et le monde, il rejette la transcendance.

En niant toute individualité, Awahad al-dîn Balyânî ne prend pas de pincettes contrairement à Ibn Arabi. Son texte est surprenant et mérite d'être lu, mais il est philosophiquement extrémiste et tombe sous le reproche d'acomisme adressé par Hegel à Spinoza. D'ailleurs ce Traité de l'Unité ressemble un peu à une Éthique écrite par un Spinoza très pressé et brutal. En affirmant que rien n'existe à part Dieu, Awahad al-dîn Balyânî nie même toute possibilité d'union avec Dieu, puisque l'union suppose une séparation préalable entre ceux qui s'unissent. Exit donc tout le travail spirituel du mystique. Exit aussi les notions d'amour et de générosité, si centrales chez Ibn Arabi, qui rapproche l'existence (wujûd) de la générosité (jûd). Dieu crée en effet dans un acte d'amour perpétuel chez Ibn Arabi, et l'union consiste à aimer pleinement Dieu. Tout cela n'existe pas dans le texte de Awahad al-dîn Balyânî. Il n'y a qu'à comparer le Dévoilement des effets du voyage d'Ibn Arabi à ce Traité de l'Unité.

Autre différence majeure : Ibn Arabi cherche des médiations entre l'homme et Dieu, par l'intermédiaire de l'imagination ou même parfois de la raison spéculative. À l'inverse, Awahad al-dîn Balyânî balaye tout : perception, imagination, raison ne sont d'aucun secours selon lui pour approcher Dieu. Là encore, le texte qui pourrait ressembler à celui d'un néo-plotinien est en fait totalement étranger à l'esprit de la métaphysique grecque de l'Un, si présent chez Ibn Arabi.

Mais il est inutile de discuter, puisque les opposants aux thèses de Awahad al-dîn Balyânî sont qualifiés d'aveugles incorrigibles.

Syderen
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Lire la philosophie médiévale et Littérature islamique

Créée

le 27 juin 2022

Critique lue 1.2K fois

2 j'aime

5 commentaires

Syderen

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

2
5

D'autres avis sur Le Traité de l'unité

Le Traité de l'unité
Iphisophie
6

L'anti Massignon

J'ai bien aimé cette lecture : le style, assez erratique, donne du charme au texte.Sur le fond, c'est une radicalisation de la doctrine du wahdat al wujud, qui nie l'existence de tous les êtres si ce...

il y a 22 heures

Du même critique

Essai sur les femmes
Syderen
2

Le Roi des incels

Schopenhauer est un auteur très connu, mais de façon superficielle. Ses textes misogynes, réactionnaires et son pessimisme légendaire en sont sûrement responsables. Or, il est faux de réduire...

le 24 juin 2022

20 j'aime

8

Ménexène
Syderen
8

La rhétorique de Platon peut-elle casser des briques ?

Tout comme sa dialectique, la rhétorique de Platon casse en effet des briques – ici celles du patriotisme athénien. Ce livre est un petit bijou, un pur régal. Quand on voit le Gorgias et à peu près...

le 17 juil. 2022

10 j'aime

De beaux rêves
Syderen
8

Des cauchemars pour les spiritualistes

Cet ouvrage est extrêmement bien mené. Dennett est à l'opposé d'un certain nombre de mes idées philosophiques, mais je suis forcé d'avouer que ses thèses tiennent la route. Son objectif est de...

le 27 juin 2022

9 j'aime