Puisqu’il s’agit de la première enquête signée Pieter Aspe, commençons par son commissaire, Pieter Van Inn, probable double de l’auteur vu qu’ils portent le même prénom. Affecté à Bruges, il a tendance à devenir routinier. Au centre de sa vie, son métier et sa demeure de qualité en plein centre historique de la ville. Son seul luxe, mais quel goût ! Buveur de bière (préférence affichée pour la Duvel), il sait où il va, mais a tendance à perdre ses moyens en présence d’une femme séduisante. Et quand Pieter Van Inn s’exclame, son réflexe est de jurer « Benson im Himmel ! » expression pour laquelle la traductrice (Emmanuelle Sandron) a renoncé à trouver un équivalent en français (Pieter Aspe écrit en Flamand). L’enquête le met en relation avec Hannelore Martens, substitut du procureur, jeune, belle (très féminine) mélange de candeur et d’audace qui n’aura aucun mal à le mettre dans sa poche pour constituer un duo de choc.


Bruges (ville touristique par excellence, voir au cinéma « Bons baisers de Bruges ») est un élément clé du bouquin, l’auteur faisant respirer son passé qui imprègne le centre-ville. L’envers du décor, c’est que des malfaiteurs peuvent se fondre dans la masse, au vu et au su des forces de l’ordre comme des touristes (qui n’y voient que du feu). Sous la plume de Pieter Aspe, Bruges apparait comme gouvernée par des petits rigolos qui ont leurs habitudes, leurs réseaux. Cela va des policiers (en friction avec les gendarmes) au bourgmestre, en passant par les concurrents aux prochaines élections. Apparemment, ce n’est pas mieux du côté de la magistrature.


Sous ces auspices peu propices au maintien et au respect de la loi, ce n’est pas un crime qui se présente à Van Inn qui attend une belle affaire depuis bien longtemps, mais une histoire qui sent la vengeance à plein nez, comme le titre le laisse entendre. Malgré son système d’alarme, la bijouterie Degroof a subi une visite nocturne. Dévalisée ? Même pas. En fait, les bijoux ont été plongés dans un aquarium (plusieurs dizaines de litres quand même), contenant de l’eau régale. Ah, mais qu’est-ce que l’eau régale ? En résumé, c’est un mélange d’acides concentrés, mélange très corrosif qui attaque les métaux (qui sont en quelque sorte dissous). L’effet pour le bijoutier, c’est qu’il récupère ses pierres, mais pas les métaux qui les sertissent ! Et, puisque le titre l’annonce également, il est question d’un carré. Cela pourrait correspondre à un groupe de 4 personnes cherchant à se venger. En fait, il s’agit d’une sorte de signature laissée bien en évidence non loin de l’aquarium, 25 lettres constituant le carré de Sator.


Remarque au passage, les lettres du mot OPERA, mises dans un autre ordre donnent APERO…


Une énigme pleine d’éléments inattendus, avec un mélange d’érudition, de couleur locale à tendance humoristique voire caricaturale et ironique, de belles promesses du côté de la séduction entre Van Inn et la jeune Hannelore qui trouve naturel d’épauler le policier dans son enquête alors qu’elle devrait être dans son bureau. Ce qui met la puce à l’oreille de Van Inn ? Son supérieur lui fait comprendre qu’on apprécierait que l’affaire soit rapidement classée. Comme si la famille Degroof se contentait de faire jouer l’assurance. Ghislain, le bijoutier, n’est que l’héritier d’une famille où son père règne en patriarche fier et fort d’un pouvoir aux nombreuses ramifications. Tous ces éléments ne font que rendre compte du début de l’enquête, car les rebondissements vont intervenir (avec de nombreuses fausses pistes), le plus mémorable valant la mise en place d’un dispositif relevant de l’autodafé, une véritable mise en scène qui ne peut qu’attirer l’attention.


Pour cette première enquête, Pieter Aspe fait preuve d’une imagination hors du commun avec une intrigue bien orchestrée, où l’inattendu est mis en valeur par un ton personnel où l’humour fait mouche régulièrement. La ville de Bruges vit sous sa plume. Les bémols ? L’idylle entre Van Inn et Hannelore est trop belle (comment croire qu’Hannelore tombe sous le charme ?), rien n’inspire de vraie crainte au lecteur (enjeux bien moindres que dans d’autres romans policiers), même si on peut apprécier que l’auteur ne cherche pas la surenchère par la violence. La résolution de l’énigme laisse un peu sur notre faim, le passé autour du nom Degroof manquant de clarté à mon goût.


Bref, sans trop se prendre au sérieux, Pieter Aspe donne ici à lire un roman policier qui, après avoir séduit les publics belge et néerlandais ne manquera pas de donner envie au public français d’explorer un filon original.

Electron
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le 16 déc. 2015

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