Ce feuilleton est plus facile d'accès que celui d'Hermès. Les épisodes mettent en scène des héros mieux connus ainsi que des défis identifiables rapidement: Thésée et le minotaure, Dédale et Icare, Héraclès et ses 12 travaux, Œdipe et le Sphinx, les jeux olympiques.
Thésée est un tout jeune garçon, né d'une union entre une princesse, Aethra, et un roi, à moins que cela soit Poséidon qui en soit le père. Il bénéficie de la pédagogie et des conseils de son précepteur, Connidas et découvre grâce à lui comment devenir un homme aux valeurs morales et aux aptitudes physiques. Mais Thésée est admiratif de son grand cousin de Héraclès.
Envieux de cette force de la nature, demi-dieu puisque fils de Zeus, Thésée souhaite suivre ses exploits. Il découvre aussi la rage, la folie qu'Héra lui a insufflé et les meurtres que ce grand héros commet autour de lui. Les douze travaux se succèdent mais s'accompagnent aussi des violences d'Héraclès, mort de sa famille sous l'emprise de la déesse des déesses mais aussi de ses méprises aussi irrévocables, par exemple la mort des centaures, ennemis comme amis.
Connidas met en garde Thésée. Il va devenir un jeune homme, puissant, courageux et peut-être violent. Encore faut-il qu'il soit responsable de ses actes. Et effectivement, après le mystère de sa naissance, Thésée veut lui aussi ses exploits et peu à peu va à la rencontre de son père, le roi d’Athènes, Égée. Il souhaite être digne de la couronne et se portera volontaire pour suivre les jeunes hommes et femmes envoyés pour être sacrifiés dans le labyrinthe en Crète, tuera le Minotaure, emportera Ariane tout en ne la ramenant pas avec lui et fera mourir de douleur son père.
Oui, mais Thésée est devenu roi et cette partie-là du livre est aussi importante. Il érige la convention grecque d'être un bon hôte à celle d'accueillir tous les laissés pour compte. Il change le mode de gouvernement pour une démocratie. Il devra tout de même subir les conséquences de ses actes, gérer les liens avec le roi Minos ou sa descendance, accueillir Œdipe et Antigone tout en donnant une complète liberté à cette dernière. Et puis Thésée devient amoureux, prends femme et se perd... jusqu'à devenir aussi monstrueux que son cousin Héraclès.
"Le feuilleton de Thésée" nous parle de la fougue de la jeunesse, éblouie par la force et l’héroïsme. Elle parle aussi des actes insensés, violents, fous et la responsabilité que peut avoir l'homme même manipulé par les dieux. Le livre parle de rédemption aussi, ou presque. De la sagesse d'un individu pris dans les feux de l'amour et dans la douleur de la perte.
Tout le long, nous pouvons comparer Héraclès et Thésée, le dernier grandit avec sagesse et pourtant.Il deviendra un autre, un mauvais père, un homme de parole mais aux actes intolérables... jusqu'à reprendre ses esprits. Et nous saurons comment Héraclès finit.
Autant à la naissance du monde et des dieux, thème du "Feuilleton d'Hermès", les focus sur les autres intervenants ou les flashbacks dépendaient des pouvoirs de ses nourrices, ici ce sont les oracles qui donnent le la. Thésée est ainsi témoin inactif de la vie d'Oedipe par exemple. Les femmes ont aussi un rôle plus complexe avec par exemple le très beau portrait d'Antigone.
L'auteure ne déçoit pas. Le propos est complexe, la thématique mythologique, évidemment puits sans fond de délices et de péripéties, offre son lot de cruauté, de sang, de peur, de dégoût ou de passages fantastiques avec des créatures fabuleuses. Mais les réflexions amenées par les constants dialogues entre Thésée et son maitre ou son ami Iolaos sont de très belles ouvertures à la réflexion.
Le vocabulaire est riche, les épisodes addictifs. Le jeu d'appel du prochain est haletant et c'est avec énormément de plaisir que nous suivons, non plus un dieu joyeux et hyperactif Hermès, mais un jeune homme à l'éducation parfaite en prise avec la vie, le pouvoir et les émotions.
Murielle SZAC a travaillé avec un autre illustrateur, Rémi SAILLARD. Le résultat est toujours entre l'abstrait, le symbolique et le figuratif. Les doubles pages évoquent les défis sans jamais totalement les illustrer. Il y a aussi un soupçon de surréalisme, un peu DE CHERICO quelques fois. Les petits dessins ponctuant le texte apportent eux une respiration.