Plus de 20 ans après m'être délectée des Trompeuses Espérances, j'ai eu envie de repartir à la rencontre de Michel Déon.
Je le reconnais, il m'a fallu quelques pages avant d'être pleinement happée par le souffle épique de ce roman. L'alternance entre la forme narrative et épistolaire, la mise à distance induite par le regard du "cinquième homme", celui qui nous conte la trajectoire des 4 autres, exige naturellement un temps de mise en place.
Mais bien vite, la patience est récompensée et on entre de plein pied dans une sorte de tourbillon double où l'échelle individuelle s'entremêle et se confond avec celle de l'Histoire, celle d'un siècle qui aura bien du mal à faire oublier son appétit d'ogre pour les guerres en tout genre.
C'est donc un roman dont l'attrait et le magnétisme montent en puissance au fil de l'intrigue, jusqu'à un dénouement et des révélations tardives qu'un John Le Carré n'aurait pas reniés.
Il faut enfin insister sur la formidable capacité évocatrice de l'auteur. On croit n'avoir qu'à tendre la main pour caresser la crinière des poneys sauvages qui s'ébrouent dans la brume matinale de la New Forest tout autant que, plus tard, on suffoque dans la touffeur ocre et oppressante d'Aden.
La seule composante de ce roman qui n'aura pas trouvé grâce à mes yeux est celle des personnages féminins. Passe encore qu'ils gravitent en périphérie du sillage des héros et de l'Histoire - c'est malheureux à dire, mais on a l'habitude - , c'est davantage que Déon nous propose une brochette de créatures assez étranges auxquelles il peine à prêter vie ou subtilité. Il les cantonne d'ailleurs quasi sans exception à un rapport au sexe névrotique et peu serein: Sarah la libertaire qui flirte avec les limites du dégoût, Delia, la tourmentée fantomatique, aussi belle qu'ascétique, Chrysoula, l'ancienne putain grecque et Maureen, l'Irlandaise disponible dans la promiscuité.
Bref, on ne lit pas ce roman de Michel Déon pour sonder le clair-obscur de l'âme féminine.
Cela le prive sans doute d'une dimension importante, mais pas de sa qualité de grand roman à résonance historique.
Bonne lecture.
Amitiés,
Dustinette
PS: Pour ceux qui le liront en livre de poche, vous serez sans doute très frappé par la portée prophétique des propos qui commencent en page 480. " Des villes entière se couchent en grelottant de fièvre. La science est désarmée. Elle a tout inventé, sauf la maîtrise du microcosme.". Ca continue avec "(...) un petit virus venu d'Hong Kong (...)" et "La première vague est lancée..."...
Ca laisse pour le moins songeur....