Il n'est pas dans mes habitudes de lire des romans du siècle dernier. J'ai deux hypothèses sur les raisons m'ayant conduit à ces Poneys sauvages : l'espoir inconscient d'une parenté avec les Détectives sauvages de Roberto Bolaño (spoiler : je n'en n'ai pas vue), et la curiosité de découvrir un exemple du style des Hussards de l'après-guerre. Je dois reconnaître qu'il m'a fallu m'accrocher pour venir à bout des 550 pages de l'édition Folio, mais je ne regrette rien. C'est vrai que l'on n'écrit plus vraiment comme cela aujourd'hui ; c'est très dense, assez virtuose, et ambitieux.
Les poneys sauvages raconte par fragments les vies de quatre jeunes gens fracassés par la Seconde Guerre : les anglais Horace McKay, Barry Roots et Cyril Courtney, et les français Georges Saval et le narrateur. J'ai dû mettre 300 pages pour bien identifier qui était qui, la narration mêlée de lettres ne facilitant pas la tâche du lecteur, et pourtant on ne s'arrête pas. On est porté par le souffle romanesque de ce second vingtième siècle que Michel Déon restitue avec brio : l'impact de la guerre sur les destins des hommes, l'importance de la politique et de l'idéologie - de l'Histoire, en réalité - dans l'après-guerre. Ça virevolte, on file à toute vitesse aux côtés de l'auteur (qui pourrait être le narrateur) ; on suit Georges Saval et compagnie en Grèce, en Crète, au Yemen, en Pologne. On voit l'Irlande et on peut presque caresser ces poneys, qui apparaissent en rêve à un personnage. Le talent de Déon est dans sa capacité à restituer des ambiances, c'est-à-dire des lieux - aussi bien un pub anglais que le désert yéménite ou le port d'Égine - mais surtout le Zeitgeist de l'après-guerre. On ne comprend pas très bien les actions des personnages, qui passent de la fureur passionnelle à la plus grande froideur sans explication. Agents secrets double ou triple, poètes à moitié fous, tous ont leurs raisons et le monde a tellement changé qu'on ne peut sûrement plus les comprendre. Les poneys sauvages est un de ces livres que l'on sait que l'on relira dans sa vie de lecteur. Pour mieux comprendre que la première fois, peut-être ; pour retrouver ces personnages libres à une époque où l'Histoire existait encore, sans doute ; mais surtout pour retrouver l'écriture galopante de Michel Déon et son époque romanesque.