J’aime les romans-fleuves. J’aime partager pendant des jours et des jours la vision d’un auteur, ses ressentis, ses pensées, son univers. On a hâte de retrouver la lecture interrompue comme on serait impatient de retrouver un ami quitté il y a peu : on a poursuivi sa vie, on a connu des petits bonheurs, il ne nous a pas vraiment manqué mais on le retrouve avec la certitude qu’on va passer un bon moment.
Les Poneys sauvages appartiennent à ce type de roman. On rencontre un groupe d’amis ayant partagé une année d’étude à Cambridge avant la guerre et on suit leurs destins ensuite, à travers la voix du narrateur, destins bouleversés par les événements politiques d’après-guerre, en particulier la guerre froide. Cette période est finalement peu souvent l’objet d’attention et pourtant, nous sommes encore sous le coup des traumatismes qui ont suivi cette guerre.
Un des amis, jeune poète prometteur ayant la grâce sera blessé lors du Débarquement et il planera sur sa mort le doute qu’un de ses amis l’aurait achevé. Ce doute rongera sa sœur dont nous suivrons les voyages à bord d’un voilier, à la recherche d’une vérité qui la rongera et détruira aussi la vie du fils d’un des membres du quatuor d’amis.
La vie de ces survivants de la guerre sera riche, faite de nombreux voyages et nous les suivrons à travers le monde, de Florence aux îles grecques en passant par l’Algérie, l’Irlande, le Yémen, Paris, l’Angleterre, la Pologne. L’art de Déon est de nous faire ressentir l’essence même de tous ces pays parcourus, pour se trouver ou se fuir. Les personnalités sont contrastées et les destins divers : du polymorphe Barry, espion haut en couleur qui en arrivera à tuer sa femme, une ancienne prostituée grecque devenue nécromancienne , nous connaîtrons tous les masques ; du sage Gabriel, fuyant son couple impossible et se retrouvant au centre d’un massacre de trafiquants d’armes dans les îles grecques, nous connaîtrons les désillusions quand, journaliste, il essaiera de révéler les vérités cachées sur Katyn ou sur la colonisation algérienne ; d’Horace, nous suivrons la carrière aux services d’espionnage après ses tentations envers le nazisme. Tous seront liés par l’admiration pour un professeur de Cambridge humaniste, représentant de l'ancien monde, ou la fascination pour la sœur du poète mort.
Un roman de voyages, donc, d’aventures cosmopolites, d’amitié.
Le roman d’un monde profondément blessé où il n’y a plus de place pour l’existence des poneys sauvages…