Pour ouvrir cette rentrée littéraire, on retrouve un auteur qui a su s’imposer comme l’un des grands romanciers francophones d’aujourd’hui : Alain Mabanckou. Il est un des rares écrivains contemporains à construire, livre après livre, une œuvre. Avec Les cigognes sont immortelles, Alain Mabanckou se penche à nouveau sur l’histoire de son Congo natal, pour la rendre personnelle. Non pas autobiographique, mais personnelle dans le sens qu’il arrive à ancrer des enjeux politiques et sociétaux dans le quotidien d’un personnage de fiction, Michel, sans que ce soit démonstratif. Comme à son habitude, Mabanckou nous brosse le portrait d’un pays en pleine mutation historique sous un ton léger, parfois badin. À Pointe-Noire, dans le quartier Voungou, la vie suit son cours. Autour de la parcelle familiale où il habite avec Maman Pauline et Papa Roger, le jeune collégien Michel a une réputation de rêveur. Ces personnages, nous les avions découverts dans Demain j’aurai vingt ans ! Par petites anecdotes, on découvre la vie du quartier et ses habitants, leurs querelles et leurs petits commerces. Mais bien vite, leurs existences tranquilles sont troublées par un fait majeur. En ce mois de mars 1977 qui devrait marquer l’arrivée de la petite saison des pluies, le camarade président Marien Ngouabi est brutalement assassiné à Brazzaville. Dès lors tout change pour Michel et sa famille. Des oncles surgissent de nulle part, les relations avec les voisins sont plus tendues… Pour Michel le rêveur, c’est un apprentissage brutal qui commence. L’apprentissage du mensonge aussi…
C’est avec une habileté remarquable qu’Alain Mabackou nous fait vivre les tensions qui émaillent le Congo en cette année 1977. Sans avoir l’impression d’assister à une tournure politique majeure, nous assistons aux répercussions directes de celle-ci sur le quotidien d’habitants sans lien apparent avec le régime. Puis peu à peu la fresque se dessine et c’est un pays morcelé entre le Nord et le Sud, entre le colonialisme et la décolonisation, entre les rivalités et luttes des différentes tribus qui se dévoile. Un Congo familier, aux odeurs et saveurs du souvenir. Mêlant l’intimisme et la tragédie politique, Mabanckou explore les nuances de l’âme humaine à travers le regard naïf d’un adolescent qui, d’un coup, apprend la vie et son prix. Il use d’un processus romanesque assez commun — en partant du microcosme, il élargit peu à peu au macrocosme — mais le fait si intelligemment qu’on ne perçoit pas le glissement. S’attablant à rendre des faits historiques aussi limpides que percutants, Mabanckou s’attache à rendre la grande histoire aussi transparente que possible, jusqu’à la faire croiser les destinées particulières. Ainsi ce qui n’était que des détails insignifiants au niveau historique prend une importance capitale en façonnant différemment la vie des personnages. À travers une langue marquée par son oralité, il construit des personnages qui ne s’estompent pas. Le petit Michel, rêveur maladroit, va se retrouver pris dans l’engrenage des faux-semblants de la révolution bien malgré lui… Que l’on s’intéresse ou non à l’histoire ou la politique, on se laisse emporter par la prose de Mabanckou et on dévore ces pages d’histoire sans même avoir l’impression d’être face à un récit de source historique. En mêlant politique, histoire et tranches de vie, le romancier les fait se croiser pour construire un autre événement charnière ; celui de l’enfance. Mabanckou est passé maître dans l’art de nous livrer des fresques historiques sous l’apparence d’histoires simples. Et c’est le propre des grands romanciers je pense que d’avoir une telle fluidité au risque de passer pour trop simple.
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