Quoique j’aie lu la quasi-intégralité de l’œuvre de Bourbon-Busset, c’est toujours à cette Lettre que je reviens. Je la conseille à ceux qui ne connaissent pas le journal amoureux, l’expérience aimante au jour le jour que l’auteur a bâti d’années en années (et que l’on retrouve facilement chez Gallimard, dans l’élégante collection Blanche). Elle peut en être l’introduction comme une petite « synthèse » –mot bien aride pour les belles pages qu’il désigne- que ce journal contient.

Cette lettre me touche sans doute d’autant plus qu’elle s’adresse à la femme morte, à la partenaire éteinte qui a enluminé sa vie. Cette absence, au cœur de laquelle résonne pourtant, plus que vive, l’idée/la présence de l’autre, exalte d’autant plus la pureté et la magnificence des sentiments les ayant liés. Elle semble impuissante à détruire la communion d’esprit, la joyeuse obstination d’aimer qui a présidé à leur vie.

On y découvre, ému, la belle nature de leur alliance : la rencontre de deux contraires, un esprit très rationnel et l’autre plus sensitif, et leur union, une vie où deux âmes se sont reconnues, inclinées l’une en face de l’autre et entrelacées, comme la plante grimpante et son tuteur, jusqu’à former un tout indivisible, où les opposés et les ressemblances se marient. Ce lien, cette poétique coïncidence est avant tout une histoire de respect, de la reconnaissance d’un fait qui me semble oublier quand je vois/lis/écoute la façon dont on traite l’amour aujourd’hui : l’Autre me complète, me soutient, me révèle à moi-même. Sa différence me nourrit, détruit mes limites, me réinvente chaque jour.

Dans un monde où l’on présente bien souvent les relations amoureuses comme un bête produit de consommation (je te désire, je te dévore puis je te jette, j’en désire un/une autre correspondant mieux à la liste de références idéales que j’ai dressée comme un panier ikéa, je le/la dévore… cycle présenté comme normal/libéré/libertin et qui m’a toujours semblé révéler, au contraire, le malaise d’une société où l’individu a peur de rester face à lui-même et préfère consommer du lien social plutôt que de reconnaître ses failles et d’y plonger), c’est un petit livre que je conserve précieusement sur ma table de chevet, une sorte de mémento, de mentor, de ce qu’est l’amour à mes yeux.

Plus que de banales pensées nécessairement réductrices, en voici la première page :

« J’ai connu la grâce de vivre un grand amour partagé. C’est à toi qu’en revient le mérite. Du premier au dernier jour, tu m’as devancé. Je n’ai fait que te suivre. Les dernières années, pourtant, j’ai comblé mon retard et cela a été, pour nous deux, la source d’une joie extrême.

Il fallait ta mort pour que certaines choses pussent être écrites. Souvent, tu me l’avais dit. J’avais protesté, tout en te donnant secrètement raison.

Désormais, nous sommes tout le temps ensemble. C’était ton rêve. Il est accompli. Il m’a fallu du temps et du courage pour le comprendre. Maintenant encore, par moments, je lâche pied. Tu es là et tu m’aides. Je ne veux pas te décevoir. J’essaie de me montrer digne de ton âme intrépide.

A toi seule je pouvais dire certaines choses. Je te le disais mieux qu’à moi-même. J’ai besoin de penser que tu lis par dessus mon épaule pendant que j’écris. »

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le 6 sept. 2013

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